Pourquoi l’UE partage-t-elle des secrets avec le lobby pro-israélien ?
Le lobby pro-israélien n’est pas tout à fait monolithique. Certains de ses acteurs s’opposent à des politiques particulières. D’autres approuvent avec enthousiasme une infamie après l’autre.
David Cronin, 10 janvier 2023
Arié Bensemhoun, directeur du bureau parisien du groupe de pression ELNET (Réseau des dirigeants européens), fait partie de la seconde catégorie.
Bensemhoun a défendu Itamar Ben-Gvir, le ministre israélien de la sécurité nationale, suite à sa récente incursion dans le complexe de la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem.
Cette incursion ne peut être dissociée de l’intention déclarée du nouveau gouvernement israélien d’affirmer la suprématie juive dans toute la Palestine historique.
Les membres du parti de Ben-Gvir recommandent une « dernière guerre » contre les Palestiniens. Une « dernière guerre », cela ne ressemble-t-il pas étrangement à une « solution finale » ?
Les ambitions génocidaires d’Israël deviennent de plus en plus claires, quand on y fait bien attention. N’empêche que Bensemhoum a suggéré que le véritable objectif derrière l’intrusion de Ben-Gvir était de faire progresser la liberté religieuse.
Ben-Gvir est un grand admirateur de Baruch Goldstein, [le terroriste américano-israélien] qui avait bestialement massacré des fidèles musulmans à Hébron [en 1994].
Impliquer que Ben-Gvir est aujourd’hui un champion de la liberté religieuse a quelque chose d’extrêmement pervers.
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Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la première fois que Bensemhoun y va de commentaires scandaleux. En 2021, il avait prétendu qu’il « n’y avait jamais eu de peuple palestinien ».
Loin d’être un personnage marginal, Bensemhoun exerce un impact considérable. Récemment, il a accompagné un groupe de représentants élus lors de leur visite au Moyen-Orient.
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Ces députés font partie de Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, le président français.
Alors qu’ils se sont comportés exactement comme l’on s’y attendait – en propageant des mythes sur la « belle démocratie » qu’est Israël – l’un des collègues de Bensenhoum à ELNET a insinué que de telles balades ne sont pas uniquement des missions d’enquête.
Emmanuel Navon, responsable du bureau israélien du réseau, a accueilli les visiteurs en faisant remarquer que la France était un « acteur militaire clé » dans la région de la Méditerranée orientale et dans le Golfe.
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Navon avait précédemment prétendu que les accords d’Abraham – les accords de normalisation entre Israël et les pays arabes – offraient une « possibilité d’expansion et d’officialisation de la collaboration défensive en Méditerranée orientale ».
Selon Navon, quatre États de l’Union européenne – la France, l’Italie, la Grèce et Chypre – pourraient participer à cette coopération, en compagnie d’Israël, de l’Égypte et des Émirats arabes unis (EAU).
La « coopération défensive » est presque à coup sûr un euphémisme pour désigner des manœuvres militaires communes assorties de commerce d’armes.
Désireux de plaire
L’enthousiasme de Navon pour la coopération militaire pourrait expliquer pourquoi l’UE a développé une relation forte avec son organisation.
En octobre, l’ambassade de l’UE à Tel-Aviv s’est associée à ELNET afin d’accueillir une conférence.
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Des documents obtenus suite à une requête au nom de la liberté d’information indiquent que les responsables de l’UE présents sur place étaient avant tout désireux de plaire au lobby pro-israélien.
Andrea Pontiroli, un important diplomate de l’ambassade de l’UE à Tel-Aviv, a donné ce qu’il a appelé une « furtive avant-première » d’un sondage d’opinion qui n’avait pas encore été publié.
Organisé par l’institut de recherche Gallup, ce sondage aurait découvert
« qu’un énorme 72 pour 100 des personnes interrogées considéraient favorablement les relations entre l’UE et Israël et que 24 pour 100 seulement les voyaient d’un mauvais œil »,
s’il faut en croire Pontiroli. La proportion d’Israéliens qui considèrent « très favorablement » les relations avec l’UE a doublé en un an, a-t-il ajouté, passant de 10 à 20 pour 100.
« J’espère que nous ferons tous notre part du travail pour faire en sorte que ces tendances positives seront maintenues et qu’elles continueront à croître »,
a-t-il dit,
« parce que les relations entre l’UE et Israël sont fortes, profondes et mutuellement bénéficiaires et qu’elles n’ont de sens que si elles se reflètent également au sein de l’opinion publique. »
Michael Mann, responsable de la division Moyen-Orient des services diplomatiques de l’UE, n’a pas adopté un ton tout à fait aussi optimiste, dans ses commentaires à propos du même événement.
« Soyons francs », a déclaré Mann.
« La situation est extrêmement sombre. La situation sur le terrain se détériore. Les perspectives d’une solution à deux États, la seule qui soit viable, s’amenuisent sans cesse. »
Mann a prétendu que « dans toute cette grisaille, il y a d’occasionnelles lueurs d’espoir ». Et de citer l’accord portant sur les frontières maritimes entre le Liban et Israël comme « un grand pas en avant ».
En théorie, cet accord accordait un gisement gazier – celui de Karish – à Israël et un autre – appelé Qana – au Liban.
En fait, les petits caractères du marché permettent à Israël de tirer profit des deux gisements. Israël sera en mesure de percevoir des royalties en exploitant une partie du gisement de Qana via un accord complémentaire avec le géant français des carburants fossiles, Total.
Les seuls espoirs susceptibles de se concrétiser via l’accord sont ceux de l’establishment israélien et de l’industrie de l’énergie. Tous deux espèrent devenir plus riches et plus puissants.
Les services diplomatiques de l’UE ont censuré les documents – voir ci-dessous – que j’avais demandés dans le cadre des règles sur la liberté d’information.
Une note préparée pour Mann
contient un élément d’information concernant un échange qui a eu lieu entre des représentants de l’UE et l’État d’Israël, dans un format qui n’était pas destiné à être rendu public »,
ont déclaré les services diplomatiques. Libérer cette information, ont-ils ajouté, « risquerait de nuire à la possibilité de préserver un environnement de confiance mutuelle » dans les discussions entre l’UE et Israël.
Même si le réseau ELNET n’est pas une institution gouvernementale officielle, les diplomates de l’UE ont en effet admis qu’ils partageaient des secrets avec lui.
Quand on lui a demandé d’expliquer pourquoi il donnait des détails jugés sensibles à un groupe de pression, Mann s’est contenté de dire que
« les informations concernaient le soutien exprimé par des représentants du dernier gouvernement israélien au processus de paix dans le Moyen-Orient ».
Il y a quelque chose de pourri et d’antidémocratique dans toute cette affaire.
Les lobbyistes professionnels sont au courant de détails que l’on cache aux activistes des droits humains, aux journalistes et aux simples mortels. La servilité de l’UE à l’égard des partisans d’Israël devient de plus en plus extrême.
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité.
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Publié le 10 janvier 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine