Israël impose la fermeture des hôpitaux de Gaza et tue des dizaines de personnes à al-Shifa

Lundi et mardi, Israël a massacré des Palestiniens un peu partout à Gaza, tuant des douzaines de personnes à l’hôpital al-Shifa et imposant la fermeture de celui d’al-Ahli, le seul centre médical qui fonctionnait encore en partie dans le nord du territoire.

 

19 décembre 2023.tués lors d’un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de Gaza.

19 décembre 2023.tués lors d’un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de Gaza. (Photo : Abed Rahim Khatib / DPA)

 

Maureen Clare Murphy, 20 décembre 2023

Mardi, le ministère palestinien de la santé à Gaza a fait état de près de 19 700 décès depuis le 7 octobre, ainsi que de 52 600 blessés. Le nombre actuel de morts est sans doute bien plus élevé : quelque 8 000 personnes sont portées manquantes, mortes plus que vraisemblablement sous les décombres des bâtiments détruits.

Une famine et des maladies sans précédent résultant du siège total imposé par Israël provoquent une vague secondaire de mortalité qui, met en garde le responsable des tâches humanitaires de l’ONU, pourrait bientôt dépasser le nombre de victimes des bombardements.

Israël a dirigé des frappes sur Rafah, près de la frontière entre Gaza et l’Égypte et où des centaines de milliers de Palestiniens ont cherché refuge après les bombardements intensifs et destructions dans le nord de l’enclave et à Khan Younis, à l’est.

Au moins 20 personnes ont été tuées, dit-on, lors des frappes contre Rafah, dont le journaliste palestinien Adel Zuroub, le 97e Palestinien travaillant dans les médias à être tué à Gaza depuis le 7 octobre.

 

Entre-temps, depuis le début de la guerre, Israël refuse l’accès à Gaza aux correspondants étrangers, à l’exception de ceux qui sont intégrés à l’armée. Mardi, à Jérusalem, la Foreign Press Association (Association de la presse étrangère) a adressé une requête à la haute cour israélienne réclamant l’accès immédiat au territoire.

Il est fait état de plus de 100 morts lors des frappes israéliennes à Jabaliya, dans le nord de Gaza, entre le 17 et le 18 décembre. Des douzaines d’autres personnes ont été tuées dans les quartiers de Sheikh Ridwan, al-Rimal, Shujaiya et al-Daraj, dans la zone de Gaza même.


Des douzaines de tués à l’hôpital al-Shifa

On rapporte plus de 30 tués à l’hôpital al-Shifa de Gaza le 17 décembre.

« Trois personnes ont été abattues et blessées à l’intérieur du complexe hospitalier »,

rapporte le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA),

« et trois autres personnes ont été abattues et blessées alors qu’elles tentaient d’aller chercher de l’eau près de l’entrée de l’hôpital ».

L’hôpital a été frappé de nouveau très tôt lundi,

« et plus précisément la porte d’entrée et le bâtiment chirurgical »,

a ajouté l’OCHA. Cinq personnes, dont des enfants, ont été tuées au cours de ces frappes. Vingt-six autres Palestiniens ont été tués quand les forces israéliennes ont frappé de nouveau l’hôpital un peu plus tard dans la matinée, touchant cette fois une zone où s’étaient réfugiées des personnes déplacées.

Des informations indiquent que les efforts en vue de mettre sur pied un nouvel accord d’échange de prisonniers se sont intensifiés alors que le Conseil de sécurité de l’ONU œuvrait en direction d’une résolution visant à soutenir un accroissement de l’aide à Gaza et que les EU n’empêcheraient pas avec leur veto.

Les Émirats arabes unis (EAU), qui ont proposé la résolution, et d’autres États arabes et musulmans ont édulcoré leur langage dans une tentative de compromis avec Washington, laissant tomber, paraît-il, tous propos suggérant un appel au cessez-le-feu.

 

Le Hamas insiste en disant qu’il ne négociera pas un échange de prisonniers tant qu’un cessez-le-feu n’aura pas été déclaré mais, quelques semaines plus tôt, il avait déjà mis sur la table un échange « tous contre tous » censé libérer tous les captifs détenus à Gaza en échange des milliers de Palestiniens emprisonnés en Israël. Ismail Haniya était attendu en Égypte mercredi en vue des pourparlers sur le cessez-le-feu, avait déclaré l’agence de presse AFP.

Les autorités israéliennes ont diffusé une vidéo prétendant montrer une confession d’Ahmad al-Kahlout, le directeur de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, qui avait été arrêté la semaine dernière. Dans cette vidéo de quatre minutes, al-Kahlout déclare que le site a bel et bien été utilisé par le Hamas comme base de ses opérations et qu’il employait des membres des ailes armées du Hamas et du Djihad islamique.

La vidéo de la prétendue confession d’al-Kahlout – le directeur de l’hôpital apparaît assis en face d’un drapeau israélien – constitue une autre tentative manifeste d’Israël en vue de fabriquer de toutes pièces une victoire à Gaza.

Ghassan Abu Sitta, un chirurgien anglo-palestinien qui travaillait à Gaza au cours des premières semaines de la guerre, a déclaré mardi, après l’arrestation du chef des services orthopédiques d’al-Shifa que

« le but de cette campagne d’arrestation de médecins à Gaza était de préparer une série de parodies de procès visant à confirmer la criminalisation du système de santé ».

Israël a fait quelque chose de semblable afin de consolider son emprise sur le secteur de l’aide humanitaire à Gaza en emprisonnant Mohammed El Halabi, le directeur pour Gaza de l’ONG chrétienne internationale World Vision, sur l’accusation complètement imaginée d’avoir acheminé de l’aide internationale à destination du Hamas.

World Vision, qui a soutenu fermement El Halabi, a déclaré lors de sa condamnation l’an dernier que

« l’arrestation, les six années de procès, le verdict injuste et la sentence [de 12 ans] étaient emblématiques des actions entravant le travail de l’aide humanitaire à Gaza et en Cisjordanie ».

L’ONG a déclaré

« que cela ajoute à l’impact dissuasif sur World Vision et sur les autres organisations d’aide ou de développement qui s’emploient à aider les Palestiniens ».

Dans une décision classifiée, un panel de juges israéliens appuyait presque entièrement leur verdict sur des aveux qu’aurait fait El Halabi à l’adresse d’un informateur, après avoir été prétendument battu par ses interrogateurs israéliens.

Le bureau des droits de l’homme de l’ONU « n’a cessé de soulever de graves inquiétudes » dans l’affaire El Halabi à propos « de traitements cruels, dégradants et inhumains qui peuvent équivaloir à de la torture ».

 

Les EU insistent pour que la guerre à Gaza passe par une « nouvelle phase »

Les EU insistent pour qu’Israël ralentisse ses frappes intensives à Gaza et qu’il se dirige vers des opérations plus limitées et plus précises dans le même temps que Washington entravera les efforts internationaux vers un cessez-le-feu qui pourrait contribuer à empêcher une escalade régionale plus importante encore.

Le groupe rebelle yéménite, Ansar Allah, allié de l’Iran, a « juré de défier une mission navale dirigée par les EU » et censée protéger des intérêts commerciaux dans la région. Il promet de continuer à frapper des cibles israéliennes en mer Rouge et ce, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, a rapporté Reuters mardi.

Entre-temps, sur le front nord, le ministre israélien de la défense s’est engagé à repousser le Hezbollah au nord du fleuve Litani, de sorte que les Israéliens évacués de colonies situées à proximité de la frontière libanaise puissent regagner leurs foyers.

Le Hezbollah a déclaré que, lundi, il avait touché deux des batteries israéliennes du Dôme de Fer. Le Dôme de Fer est le système israélien d’interception des missiles.

Le président américain Joe Biden voudrait assister, paraît-il, à une transition vers un conflit d’intensité inférieure à Gaza pour la fin de l’année, transition qui s’alignerait sur l’attente par le ministère israélien de la défense que les opérations au sol à Khan Younis, dans le sud de Gaza, prennent entre trois et quatre semaines.

Avec l’exécution par l’armée et par erreur, la semaine dernière, de trois captifs qui agitaient des drapeaux blancs, Tel-Aviv s’est retrouvé soumis à une pression interne plus grande encore en vue de dégager un accord pour récupérer les 130 captifs restants à Gaza et montrer au public quelque chose qui puisse ressembler à une victoire.

L’armée israélienne continue de rencontrer une résistance acharnée et de subir de lourdes pertes à Gaza, avec 132 soldats tués et plus de 700 blessés au cours de son invasion terrestre. Les organisations palestiniennes continuent de tirer des roquettes en direction de Tel-Aviv et d’autres endroits en Israël.

Israël s’est retrouvé en proie à des critiques après la diffusion de photos et de vidéos montrant des centaines de civils dévêtus et présentés au public comme des agents du Hamas.

Les Palestiniens qui figuraient parmi les centaines de civils rassemblés et arrêtés à Gaza par les forces terrestres israéliennes ont dit qu’on leur avait tiré dessus, qu’ils avaient été torturés et humiliés.

Un homme de 62 ans qui avait été arrêté chez lui et relâché plus tard a dit qu’il avait été interrogé sur le Hamas et sur l’endroit où les captifs étaient détenus à Gaza.

« Quand je leur ai dit que je ne savais pas, ils m’ont tiré une balle dans la jambe. »

Plus tard, l’armée israélienne lui avait amputé cette jambe, a-t-il ajouté.

Un homme a déclaré aux journalistes que l’armée israélienne avait mis en scène des photos et des enregistrements vidéo de lui et d’autres prisonniers civils les faisant passer pour des membres des forces de commandos Nukhba, du Hamas :

 

Un autre homme relâché, se disant travailleur médical, a dit aux journalistes qu’il avait été torturé :

 

« Ils ont amené une ambulance près du mur et m’ont dit d’aller chercher Sinwar »,

le chef du Hamas à Gaza, a-t-il déclaré.

Mardi, les gros titres de la presse israélienne répétaient sans la moindre critique les allégations de l’armée et annonçaient l’élimination,

« lors des frappes sur Rafah, du principal argentier du Hamas ».

Ramy Abdu, le chef de l’Observatoire/Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), a déclaré que Subhi Farwana, l’homme tué à Rafah, n’avait aucun lien avec le Hamas et qu’il était à la tête d’une entreprise de change.

 

Le responsable de l’ONU est « furieux »

Les hauts responsables des organisations internationales et des agences de l’ONU sont désespérés des atrocités en cours à Gaza, parmi lesquelles les attaques israéliennes contre les hôpitaux.

« Je suis furieux que les enfants qui se remettent d’amputations dans les hôpitaux se fassent ensuite tuer dans ces mêmes hôpitaux »,

a déclaré mardi James Elder, porte-parole de l’UNICEF, l’organisation de l’ONU pour les enfants.

 

Elder faisait allusion à Dunya Abu Muhsen, une adolescente qui a été tuée dimanche par un obus israélien au Complexe médical Nasser, à Khan Younis, dans le sud de Gaza. La fille avait survécu un peu plus tôt à une attaque israélienne contre sa maison, attaque qui avait tué toute sa famille.

Le Complexe médical Nasser, « le plus gros hôpital resté entièrement fonctionnel à Gaza, a été bombardé à coups d’obus à deux reprises » ces derniers jours, avait ajouté Elder.

Elder, un ressortissant australien qui travaillait naguère comme journaliste, a exprimé on ne peut plus franchement sa frustration à propos de la situation à Gaza.

Par contre, la directrice de l’UNICEF, Catherine Russell, une mandataire dont le mari a été conseiller en sécurité nationale de l’ancien président Barack Obama, a été la cible des critiques virulentes de ses subordonnés à propos de sa partialité pro-israélienne.

Le porte-parole de l’UNICEF a remis en question la sincérité des déclarations faites par « ceux qui ont le pouvoir d’empêcher le carnage d’enfants ».

« On nous a dit en toute sincérité que le sud [de Gaza] ne subirait probablement pas les mêmes attaques sans discernement qu’au nord »

et, aujourd’hui, les Palestiniens dans le sud, y compris ceux qui ont fui le nord, doivent endurer des attaques de la même férocité.

Il a ajouté que la sincérité des déclarations faites par les dirigeants israéliens – par exemple, « notre but premier est de provoquer des dégâts, pas d’opérer avec précision », ou « nous éliminerons tout » – « a été prouvée par chaque enfant supplémentaire qui a été tué ».

Margaret Harris, porte-parole de l’OMS, a dit que l’état des hôpitaux de Gaza était « inadmissible » et que « cela défiait toute vraisemblance que le monde permette que ce genre de chose se poursuive ».

Mardi, Mirjana Spoljaric, la directrice du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a condamné « l’échec moral » de la « communauté internationale ».

L’incapacité de mettre un terme à

« des niveaux de souffrance aussi élevés (…) aura un impact sur les générations, et pas seulement à Gaza »,

a-t-elle dit à Genève après avoir visité Gaza et Israël.


Israël impose la fermeture des hôpitaux de Gaza

Israël a imposé la fermeture de l’hôpital al-Ahli à Gaza, qui était le seul centre de soins de santé fonctionnant encore partiellement pour les quelques centaines de milliers de personnes restées dans la partie nord de Gaza.

Richard Sewell, doyen du St. George’s College à Jérusalem, a déclaré que l’armée israélienne « avait arrêté la majeure partie de notre personnel » à l’hôpital baptiste.

« Il ne reste qu’un squelette d’effectifs pour s’occuper de plus de 100 patients grièvement blessés »,

sans eau courante ni électricité, a ajouté Sewell.

Fadel Naim, directeur de l’hôpital al-Ahli, a expliqué que les soldats israéliens avaient envahi al-Ahli et « arrêté les médecins, le personnel médical et des patients, détruisant une partie des terrains entourant les bâtiments », ont fait savoir les comptes rendus des médias.

« Nous ne pouvons plus recevoir de patients ni de blessés »,

a ajouté Naim.

L’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, a lui aussi été mis hors service après avoir été envahi par les soldats israéliens, a déclaré l’OMS lundi.

Trois organisations palestiniennes – Al-Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – affirment qu’Israël détruit délibérément le système de soins de santé de Gaza dans le cadre du génocide qu’il mène depuis le 7 octobre.

Dimanche, les forces israéliennes ont pris d’assaut l’hôpital al-Awda dans la zone de Tel al-Zaatar, au nord de la ville de Gaza et ont arrêté son directeur, Ahmad Muhanna, après avoir assiégé l’institution pendant 12 jours.

Médecins sans frontières (MSF) a déclaré que les hommes et les garçons de plus de 16 ans « avaient été emmenés hors de l’hôpital, déshabillés, entravés et interrogés », dont six membres de son propre personnel, après quoi « la plupart d’entre eux ont été renvoyés à l’hôpital après avoir reçu l’injonction de ne pas s’en aller ».

Des douzaines de patients restent à l’hôpital al-Awda, dont 14 enfants, et l’institution est tombée à court de fournitures essentielles, tels anesthésiants généraux et oxygène, a ajouté MSF.

 

Le personnel médical palestinien et les établissements de santé de Cisjordanie sont eux aussi soumis à des attaques israéliennes de plus en plus fréquentes.

Le porte-parole de la Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) a expliqué que les forces israéliennes avaient empêché le personnel des organisations humanitaires d’atteindre une personne qui avait reçu une balle dans la tête au camp de réfugiés de Nour Shams, dans la ville cisjordanienne de Tulkarem. Il en est résulté que cette personne est décédée.

 

Au cours d’un autre incident, un adolescent de 16 ans blessé par un tir d’obus a été arrêté par les forces israéliennes alors que des paramédicaux du Croissant-Rouge le transportaient.

Mardi, le Croissant-Rouge a publié une vidéo montrant des impacts de balles et autres dégâts occasionnés par les forces israéliennes à l’une de ses antennes médicales du camp de Nour Shams :

Les forces israéliennes ont tué 12 Palestiniens en Cisjordanie entre le 16 et le 18 décembre, dont trois enfants et une autre personne qui est décédée des blessures subies au cours de précédentes opérations militaires, selon l’OCHA, des Nations unies.

Cinq personnes ont été tuées au cours d’un raid contre le camp de Nour Shams qui a duré plus de 10 heures. « L’opération a impliqué des confrontations armées avec des Palestiniens et des frappes aériennes, qui se sont traduites par des dégâts importants aux infrastructures », a ajouté l’OCHA.

Plus de 290 Palestiniens, dont 75 enfants, ont été tués par les forces et les colons israéliens en Cisjordanie, depuis le 7 octobre.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 20 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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