Palestine : le révolutionnaire meurt, la révolution continue
Le 2 mai 2023, après 87 jours d’une épuisante grève de la faim et à l’issue de toute une vie de lutte pour la cause palestinienne, l’éminent prisonnier politique Khader Adnan est décédé aux mains du régime sioniste, à la prison de Ramle. Il a été pleuré dans les cellules comme dans les rues, dans le même temps que les masses promettaient de poursuivre son combat.
Louis Brehony, 28 mai 2023
Ces dernières années, bien des grévistes de la faim palestiniens ont été victorieux dans leurs combats contre l’État en arrachant des sursis et des moments de liberté. Le fait que ces combattants sont fréquemment réarrêtés prouve à la fois leur rôle prépondérant dans le mouvement de libération et la nature impitoyable de l’occupation. Cette fois, l’État sioniste n’était pas disposé à céder et, au lieu de cela, il a tué Khader Adnan, faisant de lui le premier prisonnier palestinien à mourir en grève de la faim depuis 1992.
Le dirigeant assassiné du FPLP, Abu Ali Mustafa, né lui aussi à Arraba, la ville natale d’Adnan, a dit un jour que « la riposte est une constante, alors que les moyens et les tactiques sont ses variables ». Bien qu’il ait préféré rallier le Djihad islamique et non le FPLP au cours de sa période d’activisme estudiantin, Adnan n’avait pas tardé à incarner cet axiome. Arrêté une douzaine de fois à partir de 1999 et emprisonné durant huit années en tout, il s’était lancé dans six grèves de la faim. Durant la toute dernière ainsi que lors d’autres périodes d’internement, on lui avait refusé tout traitement médical, alors que sa famille était soumise à des raids domiciliaires et à de violents harcèlements et autres intimidations de la part des sionistes.
En mai 2023, quelque 1.006 Palestiniens étaient emprisonnés dans le cadre de la « détention administrative », un emprisonnement sans accusation ni procès. C’est le chiffre le plus élevé depuis trois décennies. Du fait qu’Adnan avait déjà été détenu sous ce système précédemment, son arrestation le 5 février était accompagnée d’une accusation plus grave : incitation à la violence et affiliation à une organisation illégale. Il a été faussement prétendu qu’Adnan avait des liens avec des unités de commandos, alors que son rôle au sein de la direction du Djihad islamique était politique plutôt que militaire. Le Djihad islamique a fait remarquer que les arrestations d’Adnan et de son camarade Khaled Gawadreh reflétaient « le degré de confusion et de pression qui harcèle le gouvernement fasciste d’occupation, suite à l’escalade du soulèvement à Jérusalem et en Cisjordanie occupée ».
Le gouvernement de Netanyahou a répondu à cette poussée d’activisme par un appel à la guerre totale contre les factions de la résistance palestinienne. Du fait qu’Adnan était laissé sans possibilité juridique suite à une menace de longue sentence, sa grève de la faim allait signifier la liberté ou la mort. En compagnie d’autres codétenus protestant eux aussi dans les prisons de l’occupation, Adnan a affronté la guerre depuis sa propre cellule, portant le poids des représailles malveillantes du régime. Son épouse, Randa Mousa, a rapporté qu’après 80 jours de grève de la faim, Adnan avait perdu conscience et que les matons sionistes l’avaient laissé dans cet état pendant une demi-heure avant de tenter de le réanimer.
Bien que le décès d’Adnan ait été officiellement déploré par le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP), Mohammad Shtayyeh, qui l’a qualifié d’« assassinat délibéré », Adnan avait lui aussi été victime de la répression de l’AP. En 1999, les forces de l’AP l’avaient arrêté pour son rôle dans la direction des protestations estudiantines contre la visite à Ramallah du Premier ministre français Lionel Jospin, favorable à Israël. Par la suite, Adnan allait été emprisonné en deux autres occasions au moins par l’AP. Plus tard, les agissements de la bourgeoisie compradore de l’AP ont été dénoncés en même temps que les tentatives criminelles d’Israël en vue d’anéantir la nouvelle vague de résistance armée. Émergeant en 2022, l’organisation The Lions’ Den (Fosse aux lions) a construit une énorme base de soutien en tant qu’alliance d’organisations défendant Naplouse, Jénine et d’autres zones contre les attaques sionistes. En octobre 2022, il est apparu que l’AP avait tenté de persuader l’organisation de vendre ses armes et d’intégrer ses membres aux forces sécuritaires de l’AP. La Lions’ Den avait refusé.
En mai 2023, les bombardements israéliens tuaient 33 personnes à Gaza, dont six enfants, et détruisaient des sites médicaux et des habitations au cours de ce qui a été présenté par Israël comme des « attaques ciblées » contre les dirigeants du Djihad islamique. À la date du 22 mai, 160 Palestiniens en tout avaient été tués dans des attaques sionistes depuis le début de l’année. L’unité d’action croissante face à la répression du gouvernement raciste a donné naissance à la Salle commune des opérations, qui rassemble les factions nationalistes, islamiques et socialistes en des actions coordonnées afin de riposter aux offensives sionistes. Le soutien massif au mouvement de libération est un facteur prépondérant dans le ciblage par l’État israélien du Djihad islamique et dans la tentative en vue de décapiter la résistance. Dans le sillage du cessez-le-feu de mai, d’énormes mobilisations ont eu lieu dans les rues sous forme de soutien ouvert à la lutte armée, y compris des rassemblements massifs parmi les Palestiniens déplacés qui vivent en Syrie et au Liban.
Bien que l’accord de paix d’Oslo entre Israël et l’OLP ait donné lieu à des coups publicitaires vantant la libération de nombreux prisonniers politiques palestiniens, plus de 142.000 personnes ont été emprisonnées depuis lors. D’autres sont restées derrière les barreaux tout au long des années où l’AP a fait mine de se chamailler avec les sionistes et les impérialistes. L’activiste et intellectuel Walid Daqqa est emprisonné depuis 1986 et il est actuellement en phase terminale d’un cancer. Ces derniers mois, sa santé s’est gravement détériorée en raison d’une négligence médicale de tous les instants, dans le même temps que le régime lui refuse la liberté sur parole.
La façon de traiter Walid Daqqah et l’assassinat par négligence de Khader Adnan reflètent bien la crainte des sionistes à l’égard de la résistance palestinienne ainsi que les contradictions non résolues au sein même du mouvement de libération. Concernant la mort de Khader, son épouse Randa Mousa a déclaré : « Tous ceux qui ont une arme devraient l’avoir utilisée avant la mort du cheikh », plutôt qu’en guise de représailles. Le mouvement de libération reste à portée de main de tous ceux qui s’organisent sur le terrain. C’est via leurs mains, aidées par la solidarité internationaliste, que la Palestine et ses héros emprisonnés conquerront leur liberté.
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Louis Brehony est un activiste, musicien, chercheur et éducateur de Manchester, au Royaume-Uni. Il est l’auteur d’une monographie à paraître sur les musiciens palestiniens en exil et il est le réalisateur du documentaire primé, Kofia : A Revolution Through Music (Une révolution par la musique) (2021).
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Publié le 28 mai 2023 sur Revolutionary Communist
Traduction, Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine