Rendre des comptes : L’OLP, d’hier à demain
Il est plus que temps de dissocier l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’AP et d’œuvrer à restaurer le mandat de l’OLP, sa représentativité et ses responsabilités envers le peuple qu’elle prétend représenter.
Marwa Fatafta
En ces temps de pandémie du Covid-19, génératrice d’un très grand inconfort personnel, de nombreuses pertes en vies humaines et d’un chaos financier à l’échelle planétaire, et au moment où Israël se prépare à annexer en tout ou en partie les Territoires palestiniens occupés (TPO), il est impératif que le peuple transforme la crise en opportunité.
Plutôt que d’attendre qu’Israël étrangle lentement l’Autorité palestinienne (AP) mise en place par les accords d’Oslo, il est plus que temps de dissocier l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’AP et d’œuvrer à restaurer le mandat de l’OLP, sa représentativité et ses responsabilités envers le peuple qu’elle prétend représenter.
Pouvons-nous envisager un système de direction et de responsabilisation qui donne l’occasion aux Palestiniens de contribuer aux décisions politiques qui modèlent leurs existences, qui leur assure des possibilités d’action corrective et qui serve d’arène à leur engagement politique et à leur participation ? Peut-être, en passant en revue certains des défis du passé pourrions-nous concevoir un futur alternatif dans lequel une OLP responsable et représentative serait le pivot de la lutte palestinienne pour l’autodétermination et la justice.
Le mythe de la représentation
La principale mission de l’OLP en tant que « seule représentante légitime » du peuple palestinien consiste à représenter tous les Palestiniens éparpillés dans des géographies et lignes idéologiques fragmentées.
A ses débuts, l’OLP était le fer de lance du mouvement de libération nationale et elle était parvenue à réunir les factions de la résistance palestinienne sous une seule coordination suite à la défaite de 1967.
Elle avait également créé des structures et associations communautaires dans les camps de réfugiés, des organisations de la communauté de la diaspora palestinienne et d’importantes institutions de développement. Cette approche a maintenu l’OLP sur la brèche à partir des années 1960 jusque dans les années 1990, avec plusieurs succès remarquables en cours de route, dont le rétablissement des Palestiniens comme peuple mondialement reconnu en tant que tel, avec l’OLP comme sa seule et unique représentante légitime.
Pourtant, l’autodétermination et la justice n’ont pas été réalisées et il n’y a pas eu de demande de comptes, pour cet échec, que ce soit sous la direction de feu Yasser Arafat ou sous celle de Mahmoud Abbas. Par contre, même aujourd’hui, la discussion de l’actuelle crise de direction reste l’otage de certaines personnalités.
La question fréquemment posée est celle-ci : Que va-t-il advenir, après Mahmoud Abbas ? Non seulement, ceci reflète la nature personnalisée de la direction palestinienne, mais cela rejette aussi l’entité politique palestinienne de l’équation.
Depuis les années 1990, la relation entre l’OLP et le peuple fluctue entre engagement des masses et déconnexion avec les masses et, pourtant, il n’y a jamais eu de fossé aussi large qu’actuellement entre l’entité politique palestinienne et la direction.
Le but original de la mobilisation des communautés palestiniennes a été la lutte pour la libération de la Palestine. L’Article 11 de la Charte nationale palestinienne (1968) stipulait que
« les Palestiniens auront trois mots d’ordre : l’unité nationale (Wihda Wataniyya), la mobilisation nationale (Ta’bi’a Qawmiyya) et la libération (Tahreer) ».
Cette mission conférait à l’OLP une source solide de légitimité et de pouvoir. Toutefois, son mandat a commencé à être remis en question une fois que le Conseil national palestinien (CNP) a officiellement modifié sa stratégie, qui était celle de la lutte pour la libération de la totalité de la Palestine, pour la concentrer, lors de sa réunion de 1988 à Alger, sur une solution à deux Etats. Le changement dans la stratégie de l’OLP a signifié trois choses.
Primo, en abandonnant la lutte pour la libération de toute la Palestine et en de concentrant sur le but de la formation en Etat, l’OLP faisait passer son poids politique et sa concentration de la diaspora palestinienne et des communautés de réfugiés vers les TPO.
Ceci marqua le début de la déconnexion entre le peuple palestinien et sa représentante, qui fut encore accrue par l’échec des accords d’Oslo signés entre Israël et l’OLP dans les années 1990 et par la création de l’AP.
Secundo, le changement dans la mission de l’OLP ne se traduisit pas par un changement dans sa structure organisationnelle ni dans son processus décisionnel, ce qui déboucha sur une paralysie et une inefficience encore accrues.
Le processus décisionnel de l’OLP était basé sur un système de quotas, qui représentait les factions de la résistance palestinienne plutôt que les communautés palestiniennes. Même si le CNP avait octroyé des sièges aux intellectuels, syndicats, associations de femmes, étudiants et autres corps palestiniens organisés, et même si certains sièges étaient indépendants ou étaient occupés par d’autres factions, un grand nombre l’étaient par des gens affiliés au Fatah, qui dominait l’OLP depuis 1968.
Etant donné que la direction de l’OLP n’était pas désignée via des élections, la sélection des représentants siégeant dans ses différents corps devint un exercice de partage de pouvoir plutôt qu’un reflet de la composition changeante de l’entité politique palestinienne.
Ceci explique en partie la domination du Fatah sur l’OLP et l’exclusion des mouvements islamiques du Hamas et du Djihad islamique.
L’accord de 2005 entre les 12 factions palestiniennes, connu sous le nom de déclaration du Caire, insistait sur la nécessité de réformer l’OLP en s’appuyant sur un consensus entre tous les factions palestiniennes.
En fait, il s’agit d’une caractérisation erronée de ce que signifie une réforme : Elle impliquait de partager le gâteau entre les factions palestiniennes plutôt que d’habiliter le peuple palestinien à élire librement ou choisir ses représentants. Elle présumait également que les factions palestiniennes étaient un canal d’engagement politique aussi adéquat que par le passé.
Tertio, le contrat social initial entre l’OLP et le peuple palestinien prévoyait de mobiliser les Palestiniens pour la lutte armée et la libération nationale. Le projet d’Etat marqua un abandon de ce but pour en choisir un autre dans lequel les Palestiniens allaient devoir être servis en tant que « citoyens » par leur gouvernement.
L’AP fournit les fondations administratives, organisationnelles et politiques – prévues comme intérimaires, à l’origine – sur lesquelles la direction palestinienne chercha à bâtir le futur Etat palestinien dans les TPO et selon les frontières de 1967. L’apport de l’aide étrangère garantit la position de l’AP en tant que dirigeante du peuple palestiniens dans les TPO et représentante palestinienne de facto dans les relations avec Israël et la « processus de paix ».
L’adéquation de l’OLP par rapport au mouvement national continua à faiblir et les communautés palestiniennes des camps de réfugiés et de la diaspora se retrouvèrent de plus en plus marginalisées.
Bref, en dépit d’un mandat de représentation consolidé par la reconnaissance internationale en 1974, il n’y a jamais eu au sein de l’OLP de mécanisme de responsabilisation donnant la possibilité aux Palestiniens d’être consultés à propos des décisions politiques prises en leur nom.
Comme l’affirme Osamah Khalil, le CNP et le Comité exécutif (CE) de l’OLP auraient pu avoir un mandat démocratique sur papier par lequel le premier aurait servi de « parlement de tous les Palestiniens » et le second de bras exécutif du premier.
En réalité, le CE exerce d’importants pouvoirs décisionnels, dont les pouvoirs budgétaires, alors que le CNP sert en réalité à entériner d’office les décisions du CE.
Une voie vers le renouveau ?
A une époque où règne une absence évidente de direction, nous devons nous demander ce qu’il conviendrait de faire pour rendre à l’OLP son importance d’antan.
Primo, et c’est le plus important, l’OLP doit être complètement dissocié de l’AP et, secundo, les mécanismes de responsabilisation doivent être institués et jouer un rôle majeur dans le fonctionnement de l’OLP.
Dissocier l’OLP de l’AP est essentiel pour diverses raisons. L’une d’elles, c’est que dans le pouvoir non démocratique personnalisé du secrétaire général de l’OLP et du président de l’AP, que ce soit aujourd’hui ou dans le passé, les institutions de l’OLP et de l’AP sont devenues ses bras très étendus, lesquels servent à consolider ce même pouvoir et à appliquer ses décisions. Quand, après Oslo, les yeux et l’argent de la communauté internationale se sont tournés vers l’AP, l’OLP s’en est trouvée particulièrement impuissante.
Une autre raison, c’est que, bien que le projet d’Etat n’ait pas réussi, bien des Palestiniens le perçoivent toujours comme l’une des façons possibles de concrétiser l’autodétermination palestinienne.
En même temps, un nombre croissant de Palestiniens croient que le projet national doit se reconcentrer sur un seul Etat démocratique dans lequel il y aura des réparations intégrales, avec l’égalité pour tous. Pour qu’il en soit ainsi, les Palestiniens vont devoir générer une force considérable, plus grande que celle qu’ils ont été en mesure de rassembler dans les années 1960 et 1970.
La force tout entière du peuple palestinien sera nécessaire et elle ne pourra être générée sans l’OLP. Toutefois, pour être efficiente, l’OLP devra être en mesure de rendre des comptes au peuple palestinien.
Le concept de responsabilisation découle de l’idée selon laquelle ceux à qui l’on confie pouvoir et autorité afin de servir un groupe de citoyens doivent répondre devant eux de la façon dont ils utilisent leur autorité et leurs ressources, et qu’importe qu’ils aient été élus ou désignés. Cela signifie également que les citoyens du groupe en question ont le droit d’accéder à leur travail et à leurs décisions, de les remettre en question et d’être également à même d’exprimer leur approbation ou leur désaccord.
Pour qu’une mesure de responsabilisation soit efficace, trois éléments très importants doivent être présents : la transparence (rendre les décisions, les plans et les ressources accessibles au public) ; la reddition de comptes ou nécessité de s’expliquer (les dirigeants représentatifs doivent fournir au public des justifications de leurs décisions) ; et l’applicabilité ou force exécutoire (il existe une forme de « punition », quand les représentants manquent à leurs devoirs, comme ne pas se faire réélire ou être poursuivi par des institutions internes indépendantes).
La mise en application de ces éléments requerra un remaniement démocratique du mandat de l’OLP, de ses institutions et de son mode de fonctionnement.
Pour garantir ce fonctionnement même, le CE de l’OLP doit être non seulement responsabilisé et contrôlé par le CNP, comme c’est actuellement le cas sur papier – mais pas dans la pratique – mais les deux doivent pouvoir rendre des comptes devant des organes indépendants afin de garantir qu’ils remplissent bien leur mandat, qu’ils n’abusent pas de leur pouvoir et qu’ils sont exempts de toutes formes de favoritisme et de corruption.
On devrait consacrer beaucoup de réflexion à la façon dont de tels organes indépendants sont constitués. Une approche pourrait être d’inviter un panel d’avocats et de juges palestiniens respectés, venus de toute la Palestine et de la diaspora, afin de les constituer.
Une autre dimension également importante de la responsabilisation réside dans le lien entre le peuple et l’autorité qui le représente. Au lieu de privilégier les 12 factions palestiniennes, il convient d‘ouvrir la porte à tous les Palestiniens afin de représenter leur peuple si celui-ci les a choisis et sélectionnés et qu’ils puissent le faire librement et sans entrave.
Ceci pose un défi majeur, encore qu’il ne soit pas insurmontable. Il y a eu des efforts en vue d’organiser des élections directes dont il serait possible de tirer des leçons. En outre, par exemple, les dirigeants palestiniens pourraient investir dans la restauration de centres communautaires opérant comme lieux de convergence pour des auditions et consultations publiques à l’usage des Palestiniens vivant dans diverses parties du monde.
Sur ce plan, on néglige trop souvent les ambassades de Palestine et les bureaux palestiniens de représentation. Le statut international de l’OLP est toujours solide et il a même été renforcé depuis la reconnaissance par l’ONU de la Palestine en tant qu’observatrice non affiliée en 2012.
Les ambassades pourraient contribuer à remodeler l’esprit même des communautés palestiniennes partout où elles ont des antennes, par exemple, en organisant des séances publiques pour les Palestiniens de la diaspora afin qu’ils s’engagent dans des développements politiques sur le terrain et qu’ils examinent la façon dont la direction leur répond.
Dans bien des postes, toutefois, ils pourraient devoir travailler d’arrache-pied pour aller au-delà de ces membres de la communauté qui s’alignent de très près sur le Fatah et la direction de l’AP.
Les circonstances nationales palestiniennes sont uniques et, partant, la question de la direction, de la représentation et la responsabilisation requiert de l’imagination et une grande faculté d’adaptation, surtout face à une occupation militaire violente et à un régime discriminatoire qui refuse le droit au retour aux réfugiés et l’égalité aux citoyens palestiniens d’Israël – un régime dont l’intérêt est de garder les Palestiniens, aussi bien le peuple que ses dirigeants, dans un état de fragmentation et de division.
Néanmoins, l’histoire contemporaine du peuple palestinien comprend d’abondants exemples de succès dans l’organisation politique et la mobilisation de masse, comme le soulèvement palestinien contre le mandat britannique en 1936-1939, ou les premières années de l’OLP même, ou encore la Première Intifada.
Ces expériences et d’autres encore peuvent servir d’aide-mémoire et de boussole à propos de la capacité du peuple palestinien à modeler son propre avenir.
Août 2020, Al Shabaka
Traduction : Jean-Marie Flémal
Annexe 1 : Bref récapitulatif du contexte et de la structure de l’OLP
L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été lancée à Jérusalem en 1964, suite à un appel du sommet de la Ligue arabe au Caire en vue de créer une organisation représentatrice du peuple palestinien.
Le Conseil national palestinien (CNP) a adopté la Charte nationale en 1965 et l’a révisée en 1968. En 1974, la Ligue arabe et l’Assemblée générale des Nations unies ont reconnu officiellement l’OLP comme « seule représentante légitime du peuple palestinien ».
En 1988, le CNP a appuyé la solution à deux Etats au conflit avec Israël et a amendé la Charte de l’OLP de façon à la rendre conforme à son acceptation du processus de paix d’Oslo et à sa reconnaissance d’Israël.
En 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a amélioré le statut de la Palestine aux Nations unies, lui accordant le statut d’Etat observateur non membre, qui l’habilitait à signer les traités de l’ONU. Cette démarche fut entreprise « sans préjudice pour les droits et privilèges acquis ni pour le rôle de l’Organisation de libération de la Palestine aux Nations unies en tant que représentante du peuple palestinien ».
Trois organes principaux constituent l’OLP (pour une mise en carte complète de la politique et des institutions palestiniennes, voir ici, en anglais et ici et ici, en arabe).
1.Le Conseil national palestinien (CNP)
Le CNP est l’autorité législative de l’OLP et il est considéré comme l’organe décisionnel le plus élevé de l’organisation. Il est responsable de la formulation de la politique de l’organisation et il doit obligatoirement se réunir pour toute modification de la Charte. Il opère en tant que parlement des Palestiniens en exil et représente tous les Palestiniens, sauf les citoyens palestiniens d’Israël. L’on dit que le CNP compte 747 membres (d’autres estimations suggèrent que le nombre actuel de membres est de 794) en provenance de la Palestine et de la diaspora. La composition du CNP est censée représenter tous les secteurs du peuple palestinien dans le monde, y compris les partis politiques et organisations populaires (auxquels sont assignés des quotas spécifiques), ainsi que des personnalités indépendantes, dont des intellectuels, des dirigeants religieux et des personnalités du secteur des affaires.
Le peuple palestinien est censé élire directement le CNP selon un système électoral établi en 1965. L’Article 5 de la Loi fondamentale de l’OLP stipule : « Les membres du Conseil national seront élus par le peuple palestinien en vote direct, selon un système qui doit mis en place à cet usage par le Comité exécutif. » L’Article 6 stipule : « S’il devait être impossible d’organiser une élection au Conseil national palestinien, ce même Conseil national continuera à siéger jusqu’au moment où les circonstances permettront la tenue d’élections. » En fait, il n’y eut jamais d’élections – de la façon stipulée par la Loi fondamentale.
2.Le Conseil central palestinien (CCP)
Le CCP a été créé par le CNP en 1977 et il sert d’intermédiaire entre le CNP et le Comité exécutif (CE). Il est dit que l’organe responsable des décisions compte 143 membres, dont 13 représentants du Conseil législatif palestinien de l’Autorité palestinienne (AP) et 18 membres du CE de l’OLP, ainsi que des représentants de la plupart des factions palestiniennes.
3.Le Comité exécutif (CE)
Le CE est élu par le CNP et il est la branche exécutive de l’OLP. Il est composé de 18 membres (3 sièges sont actuellement vacants et on dit qu’ils sont censés être occupés par un membre de chacune des trois factions suivantes : le Hamas, le Djihad islamique et le Front populaire pour la libération de la Palestine). Les principales fonctions du CE consistent à appliquer les mesures et décisions du CNP et du Conseil central, ainsi qu’à guider et superviser le travail de l’AP. Son président est actuellement (et ce, depuis 2004) Mahmoud Abbas, qui est également le président de l’Etat de Palestine et de l’AP, en même temps que le chef du Fatah.
Trouvez ici un autre article du dossier d’Al-Shabaka « Reclaiming The PLO, Re-Engaging Youth », publié sur ce site :
Un modèle de guidance émanant de la diaspora palestinienne aux Etats-Unis
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Concernant la première période de l’OLP, lisez également le cours en ligne sur la révolution palestinienne de Karma Nabulsi, publié sur ce site :