L’UE soutient la guerre de la France contre l’Islam
Un examen honnête des retombées des guerres et interventions européennes est autrement plus difficile que de blâmer – comme l’UE le fait – « un choc entre les civilisations et la barbarie ».
Ali Abunimah, 5 novembre 2020
Il est généralement facile d’ignorer les messages pompeux sur le blog du responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell.
Mais on ne pouvait cependant pas laisser passer inaperçu celui qu’il a publié mardi, sous le titre « Nous devons combattre le terrorisme islamiste ensemble ».
"We need to fight Islamist terrorism together" by 🇪🇺 High Representative @JosepBorrellF https://t.co/KbXDl5kwds
— EU in Israel 🇪🇺🇮🇱 (@EUinIsrael) November 4, 2020
Il suivait les récents attentats meurtriers commis par de jeunes hommes en France et en Autriche.
Borrell écrit que cette « vague de terrorisme » a « visé les fondations de nos sociétés laïques et démocratiques ».
« Nous devons identifier avec précision le genre de terrorisme auquel nous sommes confrontés », ajoute Borrell. Il propose alors ce raisonnement alambiqué :
« Nous l’appelons d’ordinaire terrorisme islamiste car ses perpétrateurs et ses partisans prétendent commettre ces actes de terreur au nom de l’Islam. Mais nous devons éviter d’identifier ce terrorisme à l’Islam. Ce serait aussi incorrect que d’identifier le terrorisme de l’ETA, heureusement vaincu en Espagne, à l’ensemble du peuple basque, et ce, en tant que ”terrorisme basque”. »
Dans ce que, sans aucun doute, Borrell percevait comme un argument contre l’islamophobie, il affirme que « ce terrorisme ne renvoie qu’à l’extrémisme d’un petit nombre qui cherchent de fausses justifications à leur folie dans l’une des grandes religions mondiales ».
Le groupe nationaliste basque ETA recourait à la violence au nom du peuple basque et dans la recherche d’une patrie basque.
En effet, comme le fait remarquer Borrell, cela ne signifie pas qu’il représentait tous les Basques, de la même façon que les agresseurs solitaires en France et en Autriche ne représentent pas tous les musulmans, voire même un seul.
Ainsi donc, si Borrell refuse d’utiliser le terme « terrorisme basque », pourquoi insiste-t-il pour parler de « terrorisme islamiste » ? Malheureusement, il ne nous fournit pas de réponse claire.
Il est à remarquer que, si l’UE insiste pour étiqueter comme « islamistes » des actes violents commis par des musulmans, elle refuse d’identifier les victimes du terrorisme en tant que musulmanes quand elles sont ciblées à cause de leur religion.
Après le massacre de mars 2019 dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, par un suprémaciste blanc australien, Federica Mogherini, qui a précédé Josep Borrell à la tête de la politique étrangère de l’UE, n’avait même pas mentionné que les victimes étaient des musulmans qui s’étaient rassemblés en ces lieux pour prier.
Cette omission choquante – qui était habituelle dans les déclarations de bien des dirigeants européens – contraste avec la façon dont l’UE mentionne diligemment la religion des victimes quand elles sont chrétiennes ou juives.
Note how the EU president's condemnation doesn't bother to mention that the attack in Christchurch was specifically an attack on Muslims. Because the "Western" establishment at large is complicit in the Islamophobia that stoked it. They are in denial. https://t.co/jO1zuAP9IQ
— Ali Abunimah (@AliAbunimah) March 15, 2019
Six Palestinians confirmed killed in New Zealand mosque attacks https://t.co/f1sHF9lU4p
— Ali Abunimah (@AliAbunimah) March 18, 2019
L’hypocrisie à propos d’Israël
Bien qu’il distingue le « terrorisme islamiste », Borrell affirme que « tous les dirigeants mondiaux doivent unir leurs forces pour condamner clairement toute violence au nom de toute religion ».
Et jusqu’où l’UE se conforme-t-elle à cela ? On ne sera nullement surpris de percevoir une hypocrisie des plus manifestes dans l’approche d’Israël par l’UE.
L’armée et les colons armés d’Israël commettent régulièrement des violences à grande échelle contre les Palestiniens, et ce, au nom du « peuple juif » et dans la poursuite de ce qu’Israël interprète comme les valeurs juives.
Israël justifie sa colonisation par la violence de la terre palestinienne occupée en des termes spécifiquement religieux.
L’an dernier, l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Danny Danon, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU que Dieu avait donné la « terre d’Israël » – ce qui voulait dire toute la Palestine historique – aux Juifs.
Il avait même brandi un exemplaire de la Bible et déclaré : « Voici l’acte qui nous donne accès à notre terre. »
Israël a incorporé cette théologie juive dans ses lois constitutionnelles.
Sa fameuse Loi de l’État-nation stupule qu’
« Israël est l’État-nation du peuple juif, au sein duquel celui-ci concrétise son droit naturel, religieux et historique à l’autodétermination ».
La loi définit aussi « l’implantation juive comme une valeur nationale ».
Les massacres habituels de Palestiniens par Israël sont perpétrés afin de maintenir Israël en tant qu’« État juif » habité par une majorité de Juifs.
Un haut responsable israélien a même affirmé que Benjamin Netanyahou n’était pas uniquement le Premier ministre d’Israël mais aussi le « dirigeant du peuple juif » dans le monde entier – une espèce de pape juif, en quelque sorte.
Mais je ne puis trouver aucune trace de condamnation par l’UE des incessants crimes d’Israël en tant que « crimes juifs » ou, disons, en tant que « terorisme judaïque ».
Je ne prétends certainement pas non plus que l’EU devrait le faire.
Confondre le sionisme et le judaïsme
C’est Israël et les adhérents de son idéologie politique sioniste qui insistent pour embrouiller la distinction entre le judaïsme et le peuple juif d’une part et l’État israélien d’autre part.
L’UE elle aussi insiste pour assimilier Israël aux Juifs et au judaïsme.
C’est apparent tant dans son approche en vue de combattre l’antisémitisme que dans son soutien ouvert à la prétention d’Israël de se vouloir un « État juif ».
Pourtant, quand il s’agit de la violence d’Israël – dont Israël même affirme qu’elle est appliquée comme sanction biblique au nom des Juifs du monde entier – l’UE évite ce genre d’étiquetage religieux.
Les Palestiniens, par contre, ont toujours refusé de confondre Israël et les Juifs, ou de dire que les Juifs étaient collectivement responsables des actions d’Israël.
Même l’organisation politique et de résistance palestinienne du Hamas a affirmé dans une remise à jour de sa charte, en 2017, qu’elle
“ne menait pas une lutte contre les Juifs parce qu’ils sont juifs, mais qu’elle menait une lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine ».
« Ce sont les sionistes qui s’identifient constamment au judaïsme et aux Juifs avec leur propre projet colonial et leur entité illégale »,
déclarait le Hamas.
La négation de l’islamophobie
L’insistance antimusulmane de Borrell sur les termes « terrorisme islamiste » tout en s’abstenant de parler dans des termes similaires d’une violence d’inspiration religieuse perpétrée par les Juifs n’est pas le seul problème dans son article.
Il condamne les appels lancés un peu partout dans le monde à boycotter les produits français – suite aux commentaires des dirigeants français sur l’Islam – ainsi que les « discours haineux » concernant « la situation des musulmans en Europe ».
Borrell défend résolument les dirigeants français contre « les campagnes de manipulation dans les médias sociaux » et il insiste sur le fait que l‘UE « protège la liberté de chacun de croire et de pratiquer une religion ».
Cette négation de cette réalité qui voit les musulmans en Europe confrontés en permanence à la haine et à la discrimination est contredite par les recherches de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne même.
Selon une étude réalisée en France en 2017 (FRA, 2017), près d’une musulmane sur trois en Europe portant parfois des « vêtements traditionnels ou religieux » a été victime de harcèlement en public au cours des 12 mois précédents.
Une autre élément de recherche que j’ai retrouvé mentionné sur le site de FRA consiste en une étude de 2017 sponsorisée par la Fondation Bertelsman, en Allemagne.
Elle a découvert que, dans toute l’Europe, « le refus de voisins musulmans est répandu ».
Ce « rejet des musulmans est particulièrement fort en Autriche » et, en Allemagne, « 19 pour 100 des personnes non musulmanes interrogées n’accueilleraient pas favorablement des voisins musulmans ».
Partout, a découvert l’étude,
« les musulmans – ainsi que les réfugiés venus ces dernières années en Europe, surtout au départ de pays à prédominance musulmane – font partie des groupes sociaux les plus rejetés ».
La guerre de la France contre les musulmans
Ironiquement, selon l’étude de Bertelsmann, la France est le pays le moins intolérant : 14 pour 100 seulement des non-musulmans ne voudraient pas de voisins musulmans.
C’est peut-être parce que les citoyens français ne détestent pas suffisamment les musulmans aux yeux des dirigeants français que le président Emmanuel Macron et son gouvernement ont déclaré une guerre culturelle tous azimuts contre les musulmans en tant que tels.
Cela va de l’insistance sur le dénigrement permanent des croyances des musulmans au nom de la « liberté d’expression », à l’introduction de nouvelles lois « antiséparatistes » visant les musulmans.
Here's the article censored by @POLITICOEurope. It raises very important and obvious points about how the French state is fueling "Islamist" violence it claims to be fighting, a truth European elites just don't want to hear (and don't want you to hear). https://t.co/JgRJuYy3me https://t.co/Mow5u9Zqn4 pic.twitter.com/Cv9ceHRSJw
— Ali Abunimah (@AliAbunimah) November 2, 2020
Ce genre de loi soumettrait les gens à des amendes pouvant atteindre des dizaines de milliers de dollars et même leur valoir l’emprisonnement s’ils refusaient d’être traités par un médecin d’un autre sexe.
Le gouvernement Macron mène également une chasse aux sorcières contre les organisations musulmanes de la société civile dont les dirigeants n’ont pourtant jamais été accusé du moindre délit.
Le chef de l’une de ces ONG, BarakaCity, cherche actuellement l’asile politique en Turquie.
Macron s’est même lancé dans des démarches en vue de dissoudre le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), une organisation des droits civils qui pratique des recherches sur l’islamophobie.
Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a proclamé le CCIF « ennemi de la république ».
C’est le même ministre qui, récemment, a identifié un autre ennemi dangereux dont il croit qu’il alimente la radicalisation : la disponibilité dans les supermarchés de nourriture halal et casher.
L’horreur de Darmanin pour les produits halal aussi bien que casher rappelle que même si ce sont les musulmans qui sont aujourd’hui les cibles de la haine officielle française, cette haine n’est pas tellement éloignée de la haine historique des Juifs affichée par la République française.
Borrell omet le retour de flamme
Le responsable de la politique étrangère de l’UE, Borrell, soulève un point qu’il nous faut examiner : Pourquoi des agressions comme celles qui ont eu lieu récemment se produisent-elles ?
Il blâme aussi bien la « politique identitaire » que « la désinformation et les discours haineux sur Internet ».
Samuel Paty’s killer was allegedly in contact with jihadists in Syria. There must be full, impartial probe whether these were same jihadist groups armed by France. @EmmanuelMacron must not be allowed to incite against France’s Muslims to distract from state responsibility. pic.twitter.com/zwOwJr7Bow
— Ali Abunimah (@AliAbunimah) October 27, 2020
Pourtant, il ne dit mot d’un facteur sans aucun doute important : Ces agressions constituent, au moins en partie, un retour de flamme de la politique américaine et européenne consistant à armer et financer des groupes prétendument « djihadistes » constitués depuis la Libye jusqu’en Syrie.
Les guerres par procuration que cette politique a alimentées ont chassé des millions de personnes de leurs pays, créant une crise des réfugiés qui a été bien vite exploitée par des hommes politiques d’extrême droite et islamophobes de tous les pays occidentaux.
C’est une reprise de la désastreuse politique américaine d’armement des prétendus moudjahidines en Afghanistan pour en faire des « alliés » antisoviétiques dans les années 1980 – une politique qui a conduit en droite ligne vers les attentats du 11 septembre 2001.
Le meurtrier tchétchène adolescent du professeur français Samuel Paty, par exemple, avait été, dit-on, en contact avec des militants à Idlib – le dernier bastion restant des groupes liés à al-Qaïda en Syrie, lesquels sont soutenus par les États-Unis et leurs alliés, dont les régimes du Golfe, la Turquie, Israël et la République française.
Un examen honnête des retombées des guerres et interventions européennes est autrement plus difficile que de blâmer – comme Borrell le fait – « un choc entre les civilisations et la barbarie ».
Publié le 5 novembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal