Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa : Comment une milice ressuscitée défie Israël et l’AP

À Jénine et à Naplouse, les membres des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa s’unissent à d’autres factions afin de défier Israël et l’Autorité palestinienne, au moment où de plus en plus de jeunes combattants des camps de réfugiés prennent le relais de la résistance armée.

Scène de funérailles à Naplouse (Cisjordanie), le 9 août 2022. Des Palestiniens armés brandissent leurs armes alors qu’une foule en deuil porte les corps des Palestiniens tués pendant la nuit au cours d’un raid des forces sécuritaires. (Photo : Nasser Ishtayeh / Flash90)

 

Fatima AbdulKarim et Dalia Hatuka, 11 août 2022

La semaine dernière, pendant trois jours, Israël a bombardé Gaza en une conflagration soudaine avec le groupe militant du Djihad islamique palestinien (DIP), tuant ainsi 44 Palestiniens, dont 15 enfants. Comme la violence se déchaînait dans l’enclave costale en état de siège, la chaleur se faisait également ressentir dans la ville de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie – où l’armée israélienne mène des opérations régulières depuis des mois – et gagnait rapidement la ville toute proche de Naplouse.

Le lendemain de l’annonce de la trêve, les forces israéliennes tuaient trois combattants palestiniens des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa – populairement considérées comme l’aile militaire du Fatah, le parti politique qui contrôle l’Autorité palestinienne (AP). Parmi ces tués figurent Ibrahim al-Nabulsi, 19 ans, l’homme le plus recherché par Israël dans la ville et l’un des nouveaux symboles de la résistance armée palestinienne.

Des vidéos montrant une fusillade à Naplouse, ainsi qu’une interview sur une chaîne de télévision locale de témoins oculaires qui suggéraient que les forces sécuritaires de l’AP étaient impliquées, ont largement circulé en ligne au cours des heures qui ont suivi la mort d’al-Nabulsi mardi, éclairant ainsi la possibilité que l’assassinat commis par les Israéliens ait effectivement été commis avec la bénédiction de l’AP. +972 n’a pas été en mesure de vérifier si les vidéos concernaient al-Nabulsi ou un autre combattant, et le porte-parole du ministère de l’Intérieur de l’AP n’était pas disponible pour répondre à des questions.

Selon le commentateur politique Jihad Harb, des failles croissantes dans les rangs du Fatah, qui est dirigé par le président Mahmoud Abbas, consolident les points de vue qui, au sein du parti, s’opposent aux partisans d’Abbas et à ce qu’ils perçoivent comme de futiles négociations de paix, particulièrement quand Israël met le paquet contre la résistance palestinienne, tant armée que non armée.

À Naplouse et à Jénine, les membres des Brigades Al-Aqsa – désignées comme « organisation terroriste » par Israël et plusieurs autres pays, et qui ont été officiellement démantelées en 2007 dans le cadre du processus de paix et du projet de mise en place d’un État par l’AP – ont réarmé malgré les tentatives d’Israël et de l’AP en vue de supprimer l’organisation. Aujourd’hui, virtuellement indépendantes du Fatah, les Brigades coopèrent avec d’autres milices armées dans les camps de réfugiés afin de présenter un front uni face à l’intensification des incursions israéliennes.

« Ces jeunes gens armés ont généralement moins de 25 ans et ils voient une réalité différente de celle que perçoit la direction »

déclare Harb, qui est né et a grandi au camp de réfugiés de Balata, dans les faubourgs de Naplouse, un endroit qui passe pour être le berceau des Brigades Al-Aqsa entre la fin de l’année 2000 et le début de l’année 2001. Dans le camp, explique-t-il, les existences tout entières de ces gens jeunes ont été marquées par des confrontations violentes aux forces israéliennes ainsi qu’à de conditions socioéconomiques des plus sévères.

« Au contraire des hommes armés du Hamas et du Djihad islamique, les membres des Brigades Al-Aqsa ne sont pas liés au parti – ni par le biais de l’aide financière ni par celui de la mobilisation politique »,

ajoute-t-il.

« En outre, dans le camp, les familles appartenant à divers partis sont désormais apparentées par les mariages, si bien qu’il n’est pas facile de les séparer les unes des autres ou d’empêcher certaines d’être les récipiendaires de sources disponibles, comme les armes à feu. »


« L’erreur la plus grossière est d’avoir eu foi en l’amnistie »

Les Israéliens ont longtemps considéré Jénine comme un foyer d’activité militante ou « terroriste ». Le camp de réfugiés de la ville, d’une superficie d’un demi-kilomètre carré, héberge environ 14 000 Palestiniens et des douzaines de combattants appartenant aux mouvements du Djihad islamique et du Fatah. Établi après la fuite forcée et l’expulsion de plus de 750 000 Palestiniens au cours de la Nakba, les murs du camp sont constellés de portraits de « martyrs » et de prisonniers politiques, décoré des emblèmes de diverses factions politiques palestiniennes ainsi que d’une énorme clé symbolisant le droit au retour des Palestiniens.

En avril 2002, le camp fut le site de l’une des plus violentes batailles de la Seconde Intifada. Sous le nom de code « opération Bouclier défensif », les forces israéliennes envahirent le site et tuèrent au moins 52 Palestiniens, dont des femmes et des enfants, rapporta une enquête de Human Rights Watch ; 23 soldats israéliens furent également tués durant les confrontations. La bataille, saluée à la fois comme tragique et héroïque, éleva le statut de Jénine – tant la ville que le camp – au sein de la société palestinienne, en en faisant un symbole de la résistance nationale. Bien que d’importantes zones du camp eussent été nivelées au cours de l’invasion de 2002, il reste la partie la plus dynamique de la ville sur le plan social et culturel.

En juillet 2007, le gouvernement israélien et l’AP scellèrent le premier de plusieurs arrangements avec les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, accordant l’amnistie à quelque 200 combattants à condition qu’ils rendent leurs armes à l’AP, qu’ils renoncent à de futures attaques contre Israël et qu’ils soient absorbés dans les forces sécuritaires palestiniennes. L’accord fut présenté comme faisant partie de la campagne en vue de consolider les armes aux mains de l’AP et de mettre un terme au phénomène croissant de la violence armée et du chaos dans les villes de Cisjordanie. Le nombre de combattants qui reçurent l’amnistie augmenta au cours des mois et des années qui suivirent, et donna lieu à d’autres accords.

12 mai 2020. Des soldats israéliens arrêtent des Palestiniens dans le village de Yabad, près de Jénine, en Cisjordanie, au cours d’une opération de recherche après la mort d’un soldat israélien. (Nasser Ishtayeh / Flash90)

Mais, en dépit du démantèlement officiel, l’organisation a été progressivement ressuscitée dans l’approbation de la direction du Fatah, avec des hommes plus jeunes qui se sont ralliés aux combattants pour prendre les armes en réponse aux incessantes activités militaires israéliennes, y compris dans les villes palestiniennes désignées sous contrôle civil et sécuritaire de l’AP (« Zone A »). En juillet 2004, les Brigades revendiquèrent la responsabilité d’avoir ouvert le feu sur des soldats israéliens au check-point de Qalandia, le passage entre Ramallah et Jérusalem. Pour l’instant, il s’avère qu’il n’y a pas de commandement central bien défini parmi les diverses cellules des Brigades, pas plus que sa prise de décision ne soit repérable du côté du Fatah.

En juillet, +972 s’est rendu au camp de réfugiés de Jénine afin d’y rencontrer « Abu al-Abed » (le nom qu’il nous a donné), un membre de longue date des Brigades qui a cédé ses armes à Israël au moment du premier accord d’amnistie. Toutefois, quelques années plus tard, il a été blessé par balle par des soldats israéliens alors qu’il se rendait à son travail – une blessure qui allait se traduire par son retour aux Brigades.

Grand et mince, âgé d’un peu plus de 30 ans, Abu al-Abed est sorti d’une voiture occupée par trois autres hommes jeunes, tous vêtus de noir ; contrairement à l’habitude des hommes armés ici, leurs visages n’étaient pas masqués. La voiture est repartie et al-Abed s’est approché de nous, avant de s’excuser et de dire qu’il ne répondrait pas aux questions – il voulait uniquement faire une déclaration.

« Notre erreur la plus grossière est d’avoir fait confiance, d’avoir eu foi en l’amnistie, parce qu’Israël ne nous considère même pas comme des êtres humains ! J’ai bénéficié de leur prétendue amnistie et, moins de deux ans plus tard, je me faisais descendre alors que je me rendais à mon travail »,

a-t-il dit avant d’ajouter avec une évidente tristesse révélée par une lueur dans ses petits yeux sombres :

« C’est alors que je me suis souvenu de mes amis et camarades devenus des martyrs – et à quelle fin ? »

Ces derniers mois, en réponse à plusieurs attentats commis à l’intérieur d’Israël par des Palestiniens armés au début de cette année – dont l’un commis par un résident de Jénine – Israël a imposé diverses mesures de punition collective à la ville, dont des sanctions économiques, la révocation de permis de voyager pour les travailleurs, la fermeture des routes reliant Jénine et d’autres parties de la Cisjordanie occupée et l’augmentation du nombre de raids, d’arrestations et de meurtres ciblés en ville et en dehors.

Toutefois, ces punitions ont donné naissance à de nouvelles formes de coopération entre les diverses organisations armées palestiniennes à Jénine contre ce qu’elles perçoivent comme étant leur ennemi commun.

Jénine, 1er mars 2022. Des militants palestiniens armés du Djihad islamique participent aux funérailles de deux hommes abattus et tués par les forces sécuritaires israéliennes. (Photo : Nasser Ishtayeh / Flash90)

« Il est temps que l’Autorité palestinienne et l’occupation reconnaissent qu’il n’y a pas moyen d’empêcher les jeunes d’ici de se manifester à tout propos »,

a déclaré Abu al-Abed.

« C’est pourquoi, ici, dans le camp, nous travaillons tous ensemble : le Hamas, le Djihad islamique, la Brigade Abu Ali Mustafa [l’aile armée du Front populaire pour la libération de la Palestine], et tous ceux qui veulent défendre le camp. »

D’après lui, le parti du Fatah et l’AP ne sont pas sur la même longueur d’onde. Depuis que Mahmoud Abbas a été élu président en 2005, l’AP a surtout assuré la coordination sécuritaire avec Israël, quelque chose qui a laissé un goût amer dans les bouches de nombreux Palestiniens. Ces dernières années, le Fatah qui, habituellement, tombe en ligne avec la politique de l’AP, s’est de plus en plus divisé entre ceux qui soutiennent et ceux qui critiquent la ligne adoptée par Abbas – et dont un des tout premiers éléments n’est autre que son exigence de la résistance non armée.

Al-Abed semblait certain qu’il y avait toujours une faction soutenant encore la lutte armée, tout particulièrement les shabab (hommes jeunes), devenus majeurs au moment des raids, arrestations et autres actions violentes des Israéliens, et qui ont également été élevés par des membres plus âgés du Fatah. Il faisait allusion aux jeunes comme Hazem Raad, un jeune homme de 28 ans, du camp de Jénine, surnommé « Cyber » par ses proches et connaissances, et qui, le 7 avril, avait ouvert le feu sur des Israéliens dans un bar bondé du centre de Tel-Aviv. Raad avait tué trois personnes et en avait blessé dix autres, avant d’être abattu et tué à son tour par les forces sécuritaires israéliennes suite à une très vaste chasse à l’homme.

La maison familiale de Hazem a fait l’objet d’un raid et a été détruite peu après ; son père a vécu dans la clandestinité suite à plusieurs tentatives en vue de l’arrêter.

« Toute la famille de Hazem, dont un plus jeune frère qui n’a pas plus de 10 ans, a dû vivre dans ses voitures, ou chez des proches. Si le monde ne comprend pas où cela nous mène, nous allons le lui faire comprendre »,

a déclaré Abu al-Abed.

La voiture avec les jeunes hommes en noir est revenue pour reprendre Abu al-Abed. Leurs armes étaient visibles à l’intérieur du véhicule. Quand je leur ai demandé pourquoi ils ne dissimulaient plus leurs identités, ils m’ont répondu presque à l’unisson :

« Peur de quoi ? Laissez-les venir pour qu’ils nous prennent ! »

Les hommes ont ri bruyamment et ont disparu dans les petites allées du camp.

Intensification des raids

La montée simultanée des tensions sur les diverses « arènes » de la Palestine historique n’a rien de neuf. Une dynamique similaire, bien que plus nerveuse, s’est produite en mai 2021, quand les autorités israéliennes ont intensifié leurs mesures répressives à Jérusalem en tentant d’expulser des familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah (Jérusalem-Est), tout en agressant les fidèles à la mosquée Al-Aqsa et à la porte de Damas. Une guerre contre Gaza n’a pas tardé à suivre après que le Hamas était intervenu au nom de Jérusalem, tirant des milliers de roquettes sur des villes israéliennes, alors que l’armée israélienne bombardait l’enclave pendant 11 jours.

Palestinians walk on empty streets during a full-blown strike in Jenin, West Bank, in solidarity with Palestinian prisoners in Israeli prisons, September 11, 2021. Photo by Nasser Ishtayeh/Flash90

 

À peine quelques mois plus tard, en septembre 2021, six prisonniers palestiniens en provenance de la région de Jénine s’évadaient de la prison à sécurité maximale de Gilboa, dans le nord d’Israël. Pendant les quelques jours entre leur évasion et leur capture, des combattants et des résidents du camp ont tiré des balles et trois cocktails Molotov sur le check-point de Jalamah, pendant que des Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte témoignaient leur solidarité avec les évadés via des démonstrations et des messages sur les médias sociaux.

Ces derniers mois, l’armée israélienne et l’AP ont intensifié leurs agressions dans le même temps que les activistes du camp de réfugiés de Jénine devenaient de plus en plus hardis. En décembre 2021, l’AP arrêtait plusieurs hommes dans le camp, prétendant qu’il s’agissait d’une opération en vue d’éliminer des criminels ; des résidents dirent qu’elle visait à écraser la résistance. Le 21 mai, l’une des victimes de la campagne en cours était un adolescent palestinien de 17 ans, Amjad al-Fayed, qui se faisait tuer par des militaires israéliens.

Israël a également intensifié ses raids contre le camp depuis que la journaliste palestinienne, vétérane d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, a été tuée par un de ses soldats le 11 mai. Abu Akleh couvrait une incursion israélienne quand elle a été abattue ; bien que les autorités israéliennes aient refusé d’ouvrir une enquête criminelle et aient tenté de masquer la cause de sa mort, de multiples enquêtes effectuées par divers médias – dont le New York Times, CNN et Associated Press – ont conclu qu’un sniper israélien était presque à coup sûr le tueur.

Deux jours plus tard, les forces israéliennes envahissaient le camp de réfugiés et la ville voisine de Burqin, blessant plus d’une douzaine de Palestiniens et en arrêtant plusieurs autres. Au cours de ce raid, l’armée encercla la maison d’un jeune Palestinien recherché, Mahmoud al-Dabai, ce qui déboucha sur des confrontations de plusieurs heures qui se terminèrent par l’arrestation de Dabai et la mort d’un soldat israélien.

Au cours des combats de cette journée, les forces israéliennes abattirent également Daoud Zubeidi, un dirigeant des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa dans la région de Jénine et frère de Zakaria Zubeidi, le plus connu des évadés de la prison de Gilboa, en septembre dernier. Daoud fut transféré à l’hôpital Rambam de Haïfa où il mourut de ses blessures le 15 mai.

1 avril 2022. Jénine, en Cisjordanie. Des Palestiniens portant la dépouille mortelle de Muhammad Zakarneh, 17 ans, mort des blessures subies la veille au cours d’un raid de l’armée israélienne. (Nasser Ishtayeh / Flash90)

 

La chaîne israélienne Channel 12 a cité des sources sécuritaires pour dire que, vu l’âpre résistance des combattants palestiniens lors de l’opération du 13 mai, l’armée envisage d’utiliser des hélicoptères de combat – qui avaient été fréquemment utilisés durant la Seconde Intifada – pour ses raids en Cisjordanie. Certains commentateurs ont présumé qu’Israël considérait de mener une opération militaire de grande envergure à Jénine, mais que la chose ne s’est jamais matérialisée en raison de ses inquiétudes à propos du risque de pertes énormes, de conflagrations sur d’autres fronts et de l’effondrement possible de la fragile coalition israélienne au pouvoir (qui s’est finalement dissoute en juin pour d’autres raisons).

Bien qu’il soit prévu d’élire un nouveau gouvernement israélien un peu plus tard cette année, il est clair que l’establishment politique et militaire continuera à garder Jénine dans son collimateur au cours des mois à venir. L’AP elle aussi est susceptible de continuer d’essayer – sans peut-être y parvenir – d’amener la ville et le camp sous son contrôle. Avec l’étroite coordination entre les deux autorités et la perception de l’AP comme l’exécutant local de l’occupation, les organisations armées continueront de persuader bien des Palestiniens que les batailles autour des camps de réfugiés constituent un combat pour la survie même de la résistance. Comme le disait Abu Al-Abed, au contraire de l’AP :

« Ici, nous prenons nos propres décisions nous-mêmes. »

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Dalia Hatuqa est une journaliste indépendante spécialisée dans les questions israélo-palestiniennes. Twitter: .

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Publié le 11 août 2022 sur +972 Magazine 
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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