De Bobby Sands aux prisonniers palestiniens : la valeur et la signification des grèves de la faim
La détention administrative est particulièrement odieuse parce que les prisonniers ne sont pas reconnus comme prisonniers politiques et combattants de la liberté, une situation que Bobby Sands a combattue lui aussi en Irlande. En effet, la détention administrative remonte aux internements de l’ère du Mandat britannique, lesquels se sont répétés plus tard en Irlande occupée.
Benay Blend (*), 6 octobre 2022
Le dimanche 25 septembre 2022, trente (30) prisonniers palestiniens en « détention administrative » en Israël annonçaient une grève de la faim illimitée afin de mettre un terme à leur situation (#EndAdministrativeDetention). (*) D’après Samidoun, le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, plus de 740 prisonniers sont actuellement détenus en Israël sans procès et sans preuves connues contre eux.
Lors d’une conférence de presse à l’extérieur de la prison militaire d’Ofer, des institutions de prisonniers palestiniens et des membres des familles des grévistes, dont la Société des prisonniers palestiniens et Addameer (Association de soutien des prisonniers et de défense de leurs droits humains) ont lu un message émanant des grévistes :
« Nous réclamons ceci : de l’air sain, un ciel sans barreaux, un espace de liberté et une réunion de famille autour de la table. Ce que veut l’occupation, c’est nous séparer de notre réalité sociale et de notre rôle national et humanitaire et nous transformer en fragments desséchés. Entre notre revendication et ce qu’elle veut, la puissance occupante applique l’horrible politique de la détention administrative.
« Nous sommes les fils de la terre, les héritiers d’Abu Ammar, d’al-Hakim, d’al-Yassin, d’al-Shiqaqi et d’al-Qassim, et les héritiers de tous les martyrs. Où que nous trouvions cet espace de lutte, nous taillons la voie et levons le glaive en comprenant ce qui nous attend : la répression, la violence, l’isolement, la confiscation de nos vêtements et des photos de nos enfants, être jetés dans des cellules en béton vides de tout sauf de nos corps et de notre douleur, des fouilles constantes, des transferts incessants, pas de cigarettes, pas de bouteilles d’eau, il nous est à peine permis de respirer un peu d’air. »
Pourtant, malgré ce lent homicide, nous faisons entendre notre cri. Rejeter l’injustice et lutte contre elle est une nourriture pour nos âmes qui volent dans le ciel de la patrie. Via cette lutte et avec le soutien de notre peuple en résistance, nous allons créer un lendemain brillant.
Dans « What Does the Hunger Strike Mean ? The Battle of the 30 Strikers » (Que signifie la grève de la faim ? Le combat des 30 grévistes), le journaliste Munther Khalef Muffler, un prisonnier politique palestinien membre du Comité central du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et directeur du Centre Handala pour les affaires du mouvement des prisonniers, brosse un tableau plus large. Les détenus luttent non seulement contre l’État sioniste, explique-t-il, mais partagent également le slogan brandi par la résistance vietnamienne : « Osez lutter, osez vaincre ! », qui est aussi celui de Fred Hampton, des Étudiants pour une société démocratique, de Mao Zedong et d’autres mouvements socialistes qui en ont adopté des variantes.
Dans l’analyse de Muffler, le mouvement est intersectionnel, un thème qui a été tissé, parfois explicitement, parfois pas, dans le cœur de sa déclaration de position. La détention administrative est particulièrement odieuse, dit Muffler, parce que les prisonniers ne sont pas reconnus comme « prisonniers politiques et combattants de la liberté », une situation que Bobby Sands a combattue lui aussi en Irlande. En effet, la détention administrative remonte aux internements de l’ère du Mandat britannique, lesquels se sont répétés plus tard en Irlande occupée.
Né le 9 mars 1954, Sands a rallié l’Armée républicaine irlandaise (IRA) qui combattait l’occupation britannique en Irlande. Au moment de sa condamnation, en 1977, la suppression du statut de catégorie spéciale par le gouvernement britannique avait pour but de criminaliser les combattants de la résistance comme Sands.
Après 66 jours de grève de la faim pour réclamer le rétablissement du statut de prisonnier politique, Sands a perdu la vie, suivi par trois autres grévistes au cours des deux semaines suivantes. Ils allaient être dix à mourir. Alors que, à première vue, le refus de négocier de Margaret Thatcher condamnait la grève à l’échec, le mouvement allait gagner en intensité en raison de ses martyrs, qui sont toujours honorés aujourd’hui pour leur courage.
« Je suis un prisonnier politique », écrivait Sands,
« parce que je suis une perte humaine dans une guerre incessante livrée entre le peuple irlandais opprimé et un régime oppressif et indésirable qui refuse de se retirer de notre terre. »
De même, Muffler affirme que la détention administrative fait partie d’un système d’apartheid sioniste élargi en vue de chasser les Palestiniens de leur terre en privant tous ceux de l’intérieur de leur avenir, en coupant les familles de leurs liens et en détruisant la société en la séparant de ses liens et relations. Par exemple, Muhammad, 18 ans, fils de l’activiste Iyad Burnat, est en détention administrative à la prison d’Ofer depuis l’an dernier, lorsque la police sioniste l’a arrêté sur des preuves truquées destinées à intimider sa famille. Le 4 octobre 2022, Burnat a fait savoir sur Facebook que le procès de son fils a été reporté une fois de plus au 11 novembre.
« Le combat de la grève de la faim est une tentative en vue de placer les os des prisonniers sur les rails et d’arrêter les jeeps militaires de l’occupation »,
écrit Muffler,
« de rassembler les corps laissés sous les traces des véhicules blindés de l’occupation afin de faire cesser les crimes de l’occupation contre le peuple palestinien, contre le monde et ses institutions internationales, contre les lois internationales et les valeurs humanitaires. »
Ici, il rappelle les propos de l’activiste Mario Savio prononcés devant une foule d’étudiants à l’Université de Californie à Berkeley, le 4 décembre 1964 :
« Il est un temps où l’opération de la machine devient si odieuse, vous fait si mal au cœur que vous ne pouvez y participer ; vous ne pouvez même pas y participer passivement et vous devez placer votre corps sur les engrenages et sur les roues, sur les leviers, sur toute la mécanique afin de la forcer à l’arrêt. Et vous devez indiquer aux gens qui la conduisent, aux gens qui la possèdent, qu’à moins que vous ne soyez pas libre, la machine sera totalement empêchée de fonctionner ! »
Quand Savio fit ce discours, les États-Unis étaient englués dans une culture de la guerre froide, une culture de l’apathie et de la conformité, de la concurrence avec la Russie pour prendre la direction de la pensée critique et de l’autodétermination. La guerre entre l’Ukraine et la Russie a ramené cette atmosphère une fois de plus, moins l’anticommunisme, puisque la Russie est aujourd’hui un État capitaliste.
Cela rend la référence de Muffler à l’appel de Savio à la « rage contre la machine » d’autant plus importante qu’elle rappelle que la prison n’est qu’un microcosme des crimes d’Israël contre les Palestiniens, une lutte contre laquelle elle invite le monde à s’unir :
« Le combat des 30 détenus est le combat de la Palestine et du peuple palestinien, et le peuple peut se joindre à cette victoire en soutenant ce combat et en se dressant aux côtés des prisonniers par tous les moyens disponibles. »
« La bataille ici n’est pas résolue uniquement par ses revendications ou l’accomplissement de ces revendications »,
conclut Muffler,
« mais en hissant la bannière des grévistes, en osant lutter pour les valeurs humaines et les valeurs de la justice, de la dignité et de la libération. »
C’est une lutte qui devrait être mondiale, et comprendre tous ceux qui se battent contre l’injustice.
Alors qu’il importe de faire connaître l’injustice de la détention administrative, il importe tout autant de comprendre, explique Khalida Jarrar,
« le pouvoir de la volonté humaine, quand hommes et femmes décident de riposter, de revendiquer leurs droits naturels et de partager l’humanité »
(« Fashioning Hope out of Despair : How to Resist and Win Inside Israeli Prisons » – Façonner l’espoir à partir du désespoir : comment résister et vaincre à l’intérieur des prisons israéliennes, Ramzy Baroud et Ilan Pappé, Éditeurs, Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak Out – Notre vision de la libération : Des dirigeants et intellectuels palestiniens engagés s’expriment, 2022, p. 177).
Dirigeante de la société civile, députe et activiste des droits humains, Khalida Jarrar, qui est membre du Conseil législatif palestinien, a passé nombre d’années en détention administrative, où elle tenu des classes d’enseignement pour d’autres détenues.
« L’espoir en prison est comme une fleur qui pousse sur la pierre », prétend Khalida Jarrar (« The Cohort of Defiance » – La cohorte du défi. Ramzy Baroud, Éditeur, These Chains Will Be Broken : Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons – Ces chaînes seront brisées : Histoires palestiniennes de lutte et de contestation dans les prisons israéliennes, 2020, p. 102). Il fleurit dans les prisons de l’Alabama, où les détenus font grève afin de protester contre les conditions inhumaines qui règnent à l’intérieur des prisons.
« J’ai de l’espoir, en effet », écrivait Bobby Sands.
« Tous les hommes doivent avoir de l’espoir et ne jamais perdre leur cœur. Mais mon espoir réside dans la victoire ultime de mon peuple infortuné. Y a-t-il plus grand espoir que celui-là ? »
Pour faire de cet espoir une réalité, soutenez les prisonniers palestiniens en éduquant amis et proches sur les médias sociaux, en organisant des événements et en ralliant des organisations impliquées dans la cause.
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Benay Blend a décroché son doctorat en Études américaines à l’Université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires portent sur : Douglas Vakoch et Sam Mickey, Éditeurs (2017), « Neither Homeland Nor Exile are Words : Situated Knowledge in the Works of Palestinian and Native American Writers » (Ni patrie ni exil ne sont des mots : Connaissance située dans les œuvres d’auteurs palestiniens et américains autochtones).
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Publié le 6 octobre 2022 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine