Les Palestiniens restent maintenus dans des camps d’internement, et non de « réfugiés »

Durant une bonne partie de l’année 1948, les Palestiniens chassés de chez eux par la violence de cette année terrible ont cherché la sécurité dans ce qu’on pourrait raisonnablement appeler des camps de réfugiés, des camps censés accueillir des gens qui ont fui la violence du moment ou un désastre naturel et qui sont incapables ou ont peur de retourner chez eux. Déjà, en janvier 1949, ces camps avaient cessé d’être des camps de réfugiés.

Le camp de réfugiés de Jénine au deuxième jour de l'invasion militaire en juillet 2023

Le camp de réfugiés de Jénine au deuxième jour de l’incursion militaire en juillet 2023 (Photo : Activestills)

 

Thomas Suárez, 2 août 2023

À cette date, ces camps ne remplissaient effectivement déjà plus leur fonction originale d’héberger des gens « qui avaient été forcés de quitter leurs foyers et de chercher refuge ailleurs, en particulier dans un pays étranger, pour fuir la guerre, les persécutions religieuses, etc. », comme le dirait un dictionnaire. Une fois les hostilités actives terminées, les Palestiniens étaient prêts, en mesure et, en effet, impatients de faire ce qu’ils avaient toujours prétendu qu’ils feraient : rentrer chez eux. Une force, et une seule, les en empêchait : l’État naissant d’Israël. Dès le moment où Israël les a physiquement empêchés de rentrer chez eux, leurs villages de tentes se sont mués en camps d’internement israéliens – « dans lesquels des prisonniers de guerre, des étrangers ennemis, des prisonniers politiques, etc., sont détenus sans jugement » – maintenus en place par l’ONU pour le compte d’Israël.

Et c’est resté pareil jusqu’à ce jour, à la différence près que le béton a remplacé les tentes.

À l’instar de la majeure partie du langage courant utilisé pour expliquer ce qui se passe avec Israël et les Palestiniens, la désignation de ces endroits en tant que « camps de réfugiés » déforme la réalité à l’avantage d’Israël et, pourtant, la chose est tellement omniprésente que nous la répétons sans même y penser. Le discours doit changer. Le terme s’adresse à un public déjà conditionné à percevoir Israël-Palestine comme un « conflit » entre « deux camps », dans lequel les camps sont la résultante de circonstances historiques compliquées, comme une tragédie qui aurait eu lieu sans perpétrateur spécifique.

Cela obscurcit la simple réalité. Depuis soixante-quinze ans, Israël empêche les résidents des camps de rentrer chez eux tout simplement parce qu’ils ne sont pas juifs. Tel a toujours été le « crime » palestinien, aux yeux des sionistes. C’est pourquoi Israël a nettoyé ethniquement quelque 800 000 Palestiniens en 1948 et 300 000 de plus en 1967 et c’est aussi pourquoi il poursuit son nettoyage ethnique au ralenti, même au moment où vous lisez ceci. C’est pourquoi les camps où les Palestiniens restent maintenus ne peuvent être définis que comme des camps d’internement. L’exactitude des termes est importante. Considérez, par exemple, l’indignation légitime qui se manifesterait si les EU devaient qualifier de « camps de réfugiés » les camps dans lesquels ils avaient interné les résidents américains d’origine japonais pendant la Seconde Guerre mondiale.

La détermination d’Israël à vouloir empêcher les non-juifs de rentrer chez eux est l’une des raisons principales pour lesquelles les sionistes ont assassiné le médiateur des Nations Unies, le comte Folke Bernadotte, en septembre 1948 (selon toute vraisemblance, c’est l’État israélien même qui l’a assassiné). Pour Bernadotte, la liberté des réfugiés de rentrer chez eux était non négociable : « Ce serait une offense aux principes de la justice élémentaire », avait-il insisté peu avant son assassinat, « si ces victimes innocentes du conflit se voyaient refuser le droit au retour dans leurs foyers alors que les immigrants juifs affluent en Palestine (…) »

L’assassinat de Bernadotte inspira bien vite la Résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, qui codifiait le droit au retour des réfugiés et l’accomplissement de la chose devint une condition à l’affiliation d’Israël à l’ONU en 1949. En réponse, Israël promit officiellement « d’accepter sans réserve les obligations de la Charte des Nations unies et d’entreprendre de les honorer dès le jour où il deviendrait membre des Nations unies ».

Même en fermant les yeux sur le fait que le respect de cette promesse aurait dû précéder l’admission d’Israël au sein de l’ONU, il est permis de douter qu’aucun des États soutenant l’admission d’Israël ait vraiment cru en ses promesses de respecter les termes de son affiliation, surtout étant donné le comportement constant de l’État naissant jusqu’à ce moment.

Il y eut toutefois des voix plus raisonnables. Le consul général britannique, Cyril Marriott, insista en disant que l’ONU « devrait être consciente de la nature barbare de l’État qui demandait là son affiliation », mais le compte rendu historique suggère que les partisans d’Israël, tant à l’époque qu’aujourd’hui, étaient en fait parfaitement conscients de sa « nature barbare ».

Et c’est ainsi qu’ils ne furent en aucun cas surpris de voir Israël renier ses assurances immédiatement après son admission à l’ONU. Au lieu d’être forcé de respecter sa promesse, la trahison d’Israël fut récompensée d’une plus grande impunité encore quand il poursuivit le nettoyage ethnique des Palestiniens et le vol de leurs maisons, terres, vergers, entreprises, infrastructures, possessions et commerces. Pour des milliers de Palestiniens déportés, la « maison » ne fut plus qu’une brève promenade au-delà d’une Ligne verte imaginaire ; bien des gens pouvaient même voir leurs habitations, mais ils se faisaient tirer dessus à vue s’ils tentaient simplement de s’y rendre.

L’exemple qui illustre peut-être le mieux aujourd’hui ce qui précède est le camp de réfugiés – d’internement ! – de Shuafat. Il se trouve à Jérusalem-Est, qu’Israël prétend avoir annexé ; en d’autres termes, selon Israël, les résidents de Shuafat vivent déjà en Israël. Ils n’ont pas besoin de « retourner », mais ils restent internés par Israël et ce, du fait qu’ils ne sont pas juifs.

Les Palestiniens du camp de réfugiés de Shuafat protestent contre le bouclage de plusieurs jours imposé par Israël, Jérusalem-Est occupée, 12 octobre 2022.

Les Palestiniens du camp de réfugiés de Shuafat protestent contre le bouclage de plusieurs jours imposé par Israël, Jérusalem-Est occupée, 12 octobre 2022. (Photo : Oren Ziv, Activestills)

Voici plusieurs décennies, les sionistes prétendaient qu’en empêchant leur retour, les réfugiés seraient en permanence incorporés aux populations qui les entouraient, que cela consommerait le crime sioniste du nettoyage ethnique et laisserait à Israël les coudées franches afin de poursuivre son suprémacisme ethnique sans qu’il soit question des réfugiés. Cela ne s’est pas fait. Les Palestiniens ont refusé de s’oblitérer eux-mêmes pour le compte d’Israël. Et, ainsi, ce fut précisément pour imposer cette conclusion – mettre un terme à la reconnaissance même de ce que les gens des camps sont des Palestiniens déportés – qu’en 2018, l’archange d’Israël, Donald Trump, chercha à définancer l’UNRWA, la principale agence responsable du maintien des camps.

 

À Gaza, déplacé à deux reprises, un camp de tentes s’est installé suite à la destruction d’habitations de réfugiés par l’offensive militaire « Plomb durci » d’Israël, en 2009.

À Gaza, déplacé à deux reprises, un camp de tentes s’est installé suite à la destruction d’habitations de réfugiés par l’offensive militaire « Plomb durci » d’Israël, en 2009. (Photo : Tom Suárez)

 

Le langage commun sert à masquer au public le crime qu’un lavage de cerveau l’a amené à soutenir ; cela « complique » le droit des êtres humains à retourner chez eux sur leur propre terre et d’y poursuivre leur existence. Environ 1,5 million de Palestiniens languissent dans des camps d’internement au nom d’Israël. Et, bien que techniquement ils ne soient pas dans des camps, 3,5 millions d’autres sont empêchés de rentrer chez eux afin qu’Israël puisse poursuivre son œuvre de « purification » ethnique du Jourdain à la Méditerranée. Si nous cessons de répéter le terme évasif « camps de réfugiés » et que nous nous mettons à identifier ces derniers correctement en tant que camps israéliens d’internement pour non-juifs, il se pourrait que leur libération ait lieu sans trop tarder.

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Thomas Suarez est un violoniste professionnel, formé au Conservatoire National de Musique Palestinien, et chercheur en histoire.  Il vit aujourd’hui à Londres.

Parmi ses livres, on trouve trois ouvrages sur l’histoire de la cartographie et quatre sur la Palestine, dont le tout récent Palestine Hijacked – How Zionism forged an apartheid state from river to sea (La Palestine détournée – Comment le sionisme a bâti un État d’apartheid du fleuve à la mer).

Le livre « Comment le terrorisme a créé Israël » a d’abord été publié en anglais sous le titre « State of Terror » et a été traduit pour Investig’Action par Jean-Marie Flémal, traducteur également pour ce site.

Le livre est dédié « Aux jeunes Palestiniens en résistance qui, à partir de la lutte résolue de leurs parents, bâtiront un avenir qu’ils se seront choisis. »

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Publié le 2 août 2023 sur Middle East Monitor
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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