Enseigner la révolution : intro

Cette section « Enseigner » propose un cours qui introduit certains thèmes de la révolution palestinienne durant la période allant de 1948 à 1982.

Conçu pour un niveau d’études secondaires avancées et pour des diplômés de l’enseignement, ce cours a également été mis sur pied de façon explicite pour des étudiants non engagés dans des études universitaires et qui souhaitent néanmoins s’instruire et apprendre quelque chose à propos de cette période de l’histoire – une période encore si proche dans le temps et, pourtant, extrêmement éloignée de notre mémoire collective contemporaine.

Le cours a été divisé en douze semaines, un laps de temps pouvant aisément être raccourci en fonction de la longueur des semestres universitaires. De même, des ensembles particuliers de thèmes, ainsi que certaines semaines prises séparément, peuvent être choisis afin de répondre à des besoins pédagogiques plus spécifiques et de constituer un complément et un enrichissement pour des cours déjà existants.

Ce syllabus suit l’approche pédagogique d’une matière spéciale « de conception typiquement oxfordienne ». Cela donne aux étudiants l’opportunité de développer leur propre compréhension d’un domaine d’études par le biais d’un engagement étroit avec le matériel d’origine. Étant donné l’insuffisance des ressources d’enseignement autour de ce sujet, les auteurs ont rédigé des articles d’introduction pour chacune des semaines. Ces articles situent les sources dans leur contexte et confèrent aux étudiants une compréhension des catégories thématiques et conceptuelles relatives à la période.

Plutôt que de proposer un compte rendu définitif de la révolution palestinienne, ces articles fournissent un encouragement à poursuivre l’étude et la réflexion, ainsi qu’une certaine guidance dans les lectures.

Le syllabus a été conçu comme une anthologie bilingue en ligne, ou comme un guide à consulter, et il comprend une composante de recherche primaire substantielle. Outre les défis traditionnels associés à la création d’un cours, après avoir désigné un nouveau sujet d’étude typiquement basé sur les fondations d’études plus générales sur le sujet, la création de ce syllabus a requis une approche plus complète.

En raison de l’absence complète de programmes d’enseignement ou de recherche universitaire sur le sujet de la révolution palestinienne, le cours a été avant tout – et par nécessité – motivé par la recherche. La majeure partie de ce matériel a été rassemblée directement. Elle s’appuie sur une composante substantielle d’histoire orale collectée spécialement pour ce site Internet et qui a répertorié des centaines d’heures d’extraits de films. À partir de ces séquences, nous avons transféré toute une série de transcriptions en tant que lectures, mais celles-ci peuvent également être visionnées sur la page des Cadres séparés, avec des sélections (y compris des sélections sous-titrées) dans la section « Apprendre » du site.

Pour d’autres types de sources, certains matériaux sont plus aisément disponibles que d’autres : Par exemple, la plupart des mémoires repris ici ont déjà été publiés en langue arabe. Ils ont été choisis d’après une liste bibliographique, des séminaires et des ateliers autour des centaines de mémoires révolutionnaires disponibles en arabe, en anglais et en français.

De même, certains documents des Nations unies et de divers États étrangers sont plus aisés d’accès, du fait qu’ils sont conservés dans des archives et collections officielles. Par contre, de nombreux écrits, pamphlets, documents et images révolutionnaires ont requis des recherches dans des bibliothèques spécialisées, au sein des institutions de l’OLP, des bureaux de parti et des collections privées. La grande majorité des sources ont été rassemblées par les rédacteurs, mais le programme a également eu la chance de recevoir nombre de contributions supplémentaires et suggestions émanant d’institutions, érudits et chercheurs palestiniens, qui sont mentionnés avec reconnaissance dans la section « À notre propos » du site.

Du fait que le syllabus est bilingue, il a requis un effort soutenu de traduction. La plupart des sources ont été produites au départ en arabe, et quelques-unes étaient rédigées en anglais ou en français. Pour les rendre disponibles aux étudiants et chercheurs, il a fallu traduire et publier des centaines de pages. Les éditeurs ont entrepris une bonne part de cet effort, avec l’aide d’équipes de volontaires, constitué en grande partie d’étudiants universitaires, et une partie de ce travail a été achevée par des traducteurs professionnels.

Le cours a été développé afin de répondre à une question toute simple : Comment rassembler dans le cours les expériences et voix du mouvement palestinien de libération en particulier et des révolutions anticoloniales en général ? La question même est ressortie de la conscience du vide complet que nous avons remarqué en tant qu’éducateurs désireux d’apporter un enseignement dans ce domaine. Le phénomène auquel on fait généralement référence en arabe en tant que révolution palestinienne, al-Thawra al-Filastinya, a été mémorable à tous égards. Déployé sur plusieurs décennies, il a des implications profondes pour l’histoire de la Palestine, du Moyen-Orient et de l’anticolonialisme mondial. Pourtant, nous ne pouvons trouver le moindre cours universitaire spécifiquement consacré à ce sujet.

Aujourd’hui, l’histoire palestinienne est avant tout enseignée dans la plupart des institutions arabes sous l’intitulé « la cause palestinienne », al-Qadiya al-Filastinya, alors qu’en Europe et aux États-Unis, elle est généralement reprise dans les cours sur le « conflit arabo-israélien ». Parmi ces syllabus, des dizaines de livres, de manuels et de collections de sources documentaires ont été développés. Autant ils fournissent du matériel pédagogique valable, autant ils restreignent également ce qui peut être enseigné et appris et, particulièrement, ce qui peut être compris : leur emphase va à l’État top-down, les thèmes diplomatiques et militaires en histoire et en politique, de même qu’ils survolent les superstructures économiques et sociales. Dans de telles perspectives, les Palestiniens sont généralement perçus comme des objets de la politique et de l’histoire.

Enseigner la révolution palestinienne ouvre diverses possibilités. Par nécessité, c’est centré sur le peuple palestinien même, plutôt que sur les grandes puissances, les États régionaux et les forces internationales et structurelles impersonnelles qui sont intervenus si fréquemment dans leurs existences. Alors qu’il est tenu compte du rôle des forces historiques extérieures, l’attention ici va entièrement aux Palestiniens mêmes : leurs structures populaires, leurs mouvements, encadrements, philosophies, chants, poésie, arts, tactiques et stratégies, plutôt que les politiques et desseins élaborés par d’autres. Ce que le cours examine, c’est le développement de l’agir collectif, de la production politique et de l’engagement actif avec l’histoire, plutôt que la sujétion passive. Une autre lacune à combler dans ce sujet, ce sont les connexions et liens transnationaux qui ont étroitement lié la révolution palestinienne à d’autres luttes anticoloniales et mouvements de solidarité.

Ceci a une pertinence contextuelle légèrement différente dans les pays de l’Amérique du Nord ou de l’Europe et dans les pays tricontinentaux. Dans les premiers, il est devenu largement acceptable d’enseigner les histoires de la victimisation, des souffrances et des injustices en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Il est bien plus malaisé d’enseigner l’histoire de la résistance anticoloniale, particulièrement quand elle comporte un élément de lutte armée révolutionnaire (comme ce fut le cas dans la plupart des pays tricontinentaux), par exemple en Algérie, au Vietnam, en Afrique du Sud et, naturellement (et par-dessus tout), en Palestine. La chose devient claire quand on compare la façon dont les révolutions « occidentales » et anticoloniales sont enseignées de nos jours dans les universités.

Pour un exemple, il est impensable aujourd’hui de réduire les révolutions américaine ou française à la simple question de violence. Ces phénomènes complexes sont abordés selon des angles et approches très diversifiés et, depuis au moins les cinq dernières décennies, ils sont de plus en plus perçus à partir de l’angle bottom-up. En d’autres termes, ces événements sont enseignés comme des révolutions : multidimensionnels, dynamiques, transformatifs et menés par une grande diversité d’acteurs qui ont des noms, des visages, des histoires à raconter. Au contraire – pour citer deux exemples majeurs, un africain et un asiatique –, dans les rares occasions où ils sont enseignés, les événements universellement connus en Afrique et en Asie comme les révolutions algérienne et vietnamienne sont présentés comme la « guerre civile d’Algérie » et la « guerre du Vietnam », plutôt que comme les révolutions substantielles qu’ils ont été. L’histoire populaire et progressiste de ces grandes luttes est éclipsée par les discours de violence, de guerre, de terrorisme ou de contre-insurrection. Dans le cas des cadres d’enseignement concernant le peuple palestinien, la chose est même plus évidente encore, d’autant que le sujet est toujours actuel et que les débats politiques le concernant, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, se poursuivent sans perdre de leur intensité.

Les universités en Amérique du Nord et en Europe, conscientes des contextes politiques et sociaux, ont compris de plus en plus l’insurmontable difficulté qu’il y avait d’accepter la tradition anticoloniale et, par défaut, l’actuel héritage du colonialisme. Une nouvelle compréhension s’est développée, résultant en grande partie des exigences des étudiants, en faveur d’un engagement sérieux et rigoureux dans leur politique, leur histoire et leurs traditions de résistance, d’auto-organisation, de pensée et d’action, plutôt qu’une inclusion pour la forme des peuples racialisés et colonisés en tant que victimes.

Les personnes qui enseignent les révolutions anticoloniales sont confrontées à diverses séries de défis en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Alors que la valeur de ces événements est largement reconnue, ils sont souvent absorbés dans des discours étatiques soucieux de légitimer leur propre ordre politique contemporain. Ces discours privilégient souvent les rôles des dirigeants en opposition aux cadres ordinaires. L’emphase est également placée sur le contenu nationaliste, plutôt que sur les dimensions internationalistes et progressistes, et des domaines tels le genre et la dynamique du travail sont largement ignorés.

De plus, ces événements font l’objet de discours partisans qui enflent certains partis et mouvements tout en minimisant la participation d’autres, et particulièrement le rôle des organisations de masse, populaires et civiles. La cause palestinienne souffre également de défis additionnels. C’est un peuple de réfugiés, la politique de l’action révolutionnaire est souvent entremêlée – et en contradiction – avec la dynamique interne des États arabes, comme le Liban et la Jordanie. Les discours officiels de ces États, soutenus par une importante machinerie gouvernementale, éclipsent typiquement ceux des Palestiniens, de même que les mouvements qui les ont soutenus dans les pays d’accueil arabes.

Le grand défi ici a consisté à libérer cette période de l’histoire des préoccupations hagiographiques du présent, de restaurer une appréciation du rôle central des voix et pratiques populaires et de proposer un contenu équilibré de l’intérieur, diversifié et non partisan sur le sujet de la révolution palestinienne. Il cherche à le faire de façon qui ne privilégie pas certains participants tout en en évinçant d’autres, et à combiner les discours étatiques dominants avec des voix et narrations moins connues et marginalisées.

En créant ce cours, les éditeurs étaient conscients de ces nombreux défis et se sont tournés vers un large groupe de distingués érudits internationaux et institutions (voir « À notre propos ») pour s’adresser à eux. On trouvera ici des références à certains dirigeants actuels, mais elles sont limitées à des événements passés dans lesquels ils ont joué un rôle. La plupart des noms ici n’étaient connus qu’à l’intérieur de la révolution ou à l’intérieur de l’une de ses structures constituantes. La révolution palestinienne n’est pas traitée comme un cas exceptionnel ou isolé. Au lieu de cela, elle est rattachée aux courants mondiaux anticoloniaux élargis dont elle était une partie intégrante.

On a pris soin de choisir des sources émanant de tous les mouvements et institutions majeurs, tout en tenant compte en même temps de l’ampleur de chaque mouvement et de la portée de sa contribution au cours des diverses périodes historiques. Les mouvements plus importants, comme le Fatah, le FPLP et le FDLP, se voient accorder davantage d’espace, ici, mais nous avons également cherché à inclure des sources émanant d’un vaste spectre d’autres partis et groupes politiques actifs durant cette période, comme les Communistes, al-Saïqa, le Front de libération de la Palestine, le Front de libération arabe et d’autres encore. Nous avons en outre cherché à faire en sorte que soient représentées les voix non gouvernementales dissidentes des mouvements arabes de solidarité, des femmes, des travailleurs et des étudiants.

Ces douze semaines proposent une large introduction à l’univers d’une richesse exceptionnelle de la pensée, de la sensibilité et de l’action de la révolution palestinienne, dont une très grande partie reste inconnue. Au travers de la masse très variée des sources de ce matériel didactique, nous espérons que les enseignants comme les conférenciers se verront accorder l’occasion de poursuivre bien d’autres conférences et discussions encore sur le sujet.


Karma Nabulsi est chargée de cours en politique au collège St Edmund Hall de l’université d’Oxford.
Avec son équipe elle a réalisé un cours en ligne sur la révolution palestinienne.

Le cours est disponible sur : The Palestinian Revolution

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Traduction : Jean-Marie Flémal

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