Carrefour unit ses forces à celles des profiteurs des colonies israéliennes
Ce week-end, en France, l’hashtag #boycottcarrefour a accru sa présence dans les médias sociaux. La chose a été provoquée par des comptes rendus disant que le géant de la distribution avait décidé de retirer des produits russes de ses rayons afin de protester contre l’invasion de l’Ukraine.
Ali Abunimah, 14 mars 2022
Ce week-end, en France, l’hashtag #boycottcarrefour a accru sa présence dans les médias sociaux.
La chose a été provoquée par des comptes rendus disant que le géant de la distribution avait décidé de retirer des produits russes de ses rayons afin de protester contre l’invasion de l’Ukraine.
Une photo qui circule beaucoup sur Twitter montre apparemment un écriteau apposé à une vitre d’une succursale Carrefour à Nice. On peut y lire :
« Chers clients, suite aux événements actuels, tous les produits russes sont retirés de nos rayons en soutien à l’Ukraine. »
J’ai vraiment honte pour les palestiniens, ça fait tellement longtemps qu’ils demandent des sanctions contre Israël pour faire appliquer le droit international… #BDS #FreePalestine 🇵🇸 pic.twitter.com/Cp1c58ppuR
— Monira Moon 🗝️ 🇳🇨 ❤️🇵🇸 🔻 (@MoonMonira) March 13, 2022
D’autres rapports disent également que les magasins Carrefour en Pologne ont cessé de vendre des produits russes.
Bien des utilisateurs des médias sociaux ont exprimé leur colère contre Carrefour du fait que, depuis des années, les partisans des droits palestiniens font campagne afin que le distributeur cesse de vendre des marchandises israéliennes, y compris les produits des colonies installées illégalement en Cisjordanie occupée.
En France, nombre d’activistes ont même été poursuivis en justice pour avoir réclamé un boycott des marchandises israélienne et ce, sur base que ces appels étaient racistes.
En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a annulé les condamnations de 11 activistes qui avaient protesté dans les magasins Carrefour en appelant à boycotter les marchandises israéliennes. Les juges avaient décidé à l’unanimité que les condamnations violaient les droits politiques et la liberté d’expression des activistes.
Toutefois, Carrefour, dont le siège est en France, ne semble pas avoir annoncé la moindre interdiction concernant les marchandises russes, que ce soit sur ses comptes des médias sociaux ou dans les pages d’informations de sa société.
Il est possible que le retrait des marchandises russes dans certains magasins Carrefour ait été une initiative locale – bien que les supermarchés un peu partout en Europe aient choisi de faire la même chose en guise de politique.
Ceci vient en pleine frénésie de vouloir rejeter tout ce qui est russe et ce, bien au-delà du genre de boycott ciblé des marchandises israélienne et des institutions complices que réclament instamment les Palestiniens depuis des années.
Fournisseur de l’armée israélienne
Pourtant, au beau milieu de cette attention massive sur la guerre en Ukraine, Carrefour a fait la semaine dernière une annonce qui semble avoir échappé aux radars.
Carrefour gère des centaines de supermarchés et d’épiceries dans le monde entier – mais toujours pas en Israël, jusqu’à présent.
Ça va changer, puisque le géant de la distribution entre en partenariat avec la société israélienne Electra Consumer Products et la chaîne de supermarchés qui lui appartient, Yenot Bitan.
« Ce partenariat verra les banderoles Carrefour plantées en Israël avant la fin de l’année 2022 et permettra à tous les magasins Yenot Bitan, qui sont actuellement plus de 150, d’avoir accès à tous les produits étiquetés Carrefour avant cet été »,
a déclaré Carrefour.
Selon cet accord, Carrefour va également ouvrir des « magasins franchisés » en Israël.
Cela signifie que Carrefour va faire équipe avec des sociétés qui sont directement complices dans l’occupation et la colonisation de peuplement de la Cisjordanie par Israël – qui sont des crimes de guerre.
Yenot Bitan gère des magasins à l’intérieur des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, y compris dans les méga-colonies d’Ariel et de Maaleh Adumim.
D’après ce qu’il annonce, Carrefour va par conséquent tirer profit de la vente de ses produits dans les colonies avant la fin de cette année.
Electra Consumer Products, le propriétaire de Yenot Bitan, fait partie d’une famille de sociétés qui utilisent la marque Electra en Israël. Elles partagent la même société apparentée, ELCO.
Les marques Electra sont profondément impliquées dans la colonisation par Israël des terres palestiniennes occupées.
Electra Consumer Products a
« installé des conditionneurs d’air dans des bâtiments publics des colonies de Modiin Illit, Maaleh Adumim et Givat Zeev en Cisjordanie »,
affirme Who Profits, une organisation qui tient à l’œil la complicité des sociétés avec la colonisation israélienne.
Diverses autres sociétés Electra sont plus impliquées encore dans la construction des colonies et de leurs infrastructures et elles aident même l’armée israélienne.
Une filiale, FK Electra, par exemple, a fourni des générateurs à au moins un check-point israélien en Cisjordanie occupée et a « fourni des générateurs à l’armée israélienne au cours de l’offensive contre Gaza en 2014 », déclare Who Profits.
Par conséquent, Electra est repris dans la banque de données de l’ONU des firmes impliquées dans les colonies des territoires palestiniens occupés.
Il y a loin de la parole aux actes…
La France, comme d’autres membres de l’Union européenne, prétend s’opposer à l’occupation par Israël de la Cisjordanie et estime que les colonies israéliennes là-bas sont illégales.
Le gouvernement français met même en garde :
« Transactions financières, investissements, achat, provisionnement et autres activités économiques dans les colonies ou avantageant les colonies entraîneront des risques juridiques et économiques liés au fait que, selon les lois internationales, les colonies israéliennes sont bâties dans des territoires occupés et ne sont pas reconnues comme faisant partie du territoire d’Israël. »
À tout le moins, Carrefour fournira les colonies et en profitera quand ses marchandises étiquetées débarqueront dans les magasins Yenot Bitan des colonies.
Le fait qu’une grande société internationale comme Carrefour va opter non seulement pour un partenariat avec des profiteurs des colonies mais compte également faire des affaires avec un État d’apartheid en dit long sur l’impunité dont jouissent Israël et ses complices.
En effet, dirigés par la France qui, actuellement, occupe la présidence tournante de l’UE, les États européens cherchent plus d’« opportunités de coopération » encore avec Israël.
Many promising opportunities of cooperation identified by EU Heads of mission and Min. @tamarzandberg, at an event co-hosted by @EUinIsrael and 🇫🇷 Ambassador @EricDanon within the framework of #PFUE2022.
@europe2022FR pic.twitter.com/3j9N0fwBgK
— La France en Israël (@franceenisrael) March 14, 2022
Au vu de ce contexte, les patrons de Carrefour savent certainement que, quoi que dise le gouvernement français ou l’UE à propos des colonies, il y a très loin des actes à la parole.
Alors que ces gens qu’on appelle les oligarques russes sont dépouillés de leurs avoirs sur le simple soupçon de liens avec le président Vladimir Poutine, les oligarques français peuvent révéler publiquement leurs très profitables partenariats avec des gens impliqués dans des crimes de guerre contre les Palestiniens.
Mais le temps nous dira si les jubilations de Carrefour sont justifiées.
Grâce aux efforts des activistes de la solidarité avec la Palestine dans le monde entier, d’autres importantes firmes françaises, comme Orange et Veolia, ont été forcées ces dernières années de mettre un terme à leur complicité dans les crimes d’Israël.
Les activistes des campagnes prendront certainement note de la décision de Carrefour de tirer profit de la colonisation et de l’apartheid israéliens.
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impa
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Publié le 14 mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine