Être mère en plein génocide

Que signifie être mère à Gaza, en plein génocide ?

Pour Ola Odeh, 36 ans, originaire de la ville de Khan Younis, cela a signifié la perte de son fils et de son mari, fin octobre.

 

Gaza est l'endroit le plus dangereux au monde pour les enfants, estime l'UNICEF. Ici, à Deir al-Balah, le 30 avril 2024, une mère nourrit son bébé à l'intérieur d'une tente pour personnes déplacées.

Gaza est l’endroit le plus dangereux au monde pour les enfants, estime l’UNICEF. Ici, à Deir al-Balah, le 30 avril 2024, une mère nourrit son bébé à l’intérieur d’une tente pour personnes déplacées. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

Ruwaida Amer, 23 mai 2024

 

« Mon fils Abdel Rahman me demandait sans arrêt quand nous irions à la maison de mon grand-père. Y aura-t-il bientôt une trêve, oui ou non ? Je lui apprenais à être patient et je priais beaucoup pour que cette guerre s’arrête, mais j’avais peur que l’armée ne cible des zones résidentielles entières »,

raconte Ola Odeh.

Un jour d’octobre dernier, son fils de 9 ans, Abdul Rahman, est descendu avec son père pour aller s’asseoir en compagnie de son grand-père et de ses cousins, se rappelle-t-elle.

« Ma fille Masa jouait dans sa chambre et j’arrangeais des vêtements dans la mienne »,

dit-elle.

« Brusquement, il y a eu une énorme explosion. J’ai pensé que c’était dans la rue. J’ai pris Masa dans mes bras et j’ai regardé autour de moi. »

« Il n’y avait plus d’escalier pour descendre, si bien que je suis descendue en me déplaçant d’un tas de pierre à l’autre. Ils m’ont emmenée à l’hôpital et je pleurais très fort. Je voulais voir mon fils. »

Elle ne le verrait plus jamais. Il était mort avec son père dans l’explosion.

« Ne pleure pas, maman »,

disait Masa à sa mère, sur le moment.

« Ce qui importe le plus, c’est que tu vas bien et que je suis avec toi. »

« Perdre Abdel Rahman n’a jamais été facile »,

a déclaré Ola Odeh à The Electronic Intifada.

« J’ai l’impression que mon cœur est en feu. Je pleure amèrement chaque nuit. C’était un enfant très affectueux. Il écoutait mes paroles et répondait à mes demandes. (…) J’ai l’impression que la guerre m’a fait détester la vie. »

« La chose la plus dure pour une mère, c’est de perdre son enfant »,

dit-elle encore, se faisant l’écho des pensées de milliers d’autres mères dont les enfants ont été emportés dans la violence génocidaire qui s’est déchaînée sur Gaza.

Des 14 500 enfants et 9 500 femmes dont on a rapporté le décès, les Nations unies, citant le ministère de la Santé à Gaza, ont confirmé le décès de 7 797 enfants et de 4 959 femmes à Gaza même au cours de ces presque huit derniers mois, disant qu’on ne disposait pas d’assez de renseignements sur les autres pour déterminer exactement ce qu’il en était advenu.

L’UNICEF a dit de Gaza que c’était, dans le monde, « l’endroit le plus dangereux pour être un enfant ».

 

Les larmes d’une mère

« Je rêve toujours de son avenir. Il était en cinquième année »

dit Ola Odeh d’Abdel Rahman.

« Il avait de nombreux champs d’intérêt. C’était le premier petit-fils de ma famille. Tous l’aimaient beaucoup. Je vois toujours les larmes de mon père et la douleur dans son cœur de l’avoir perdu. »

En évoquant l’avenir, Ola Odeh ajoute qu’elle ne sait pas comment elle pourrait être à la fois « une mère et un père » pour Masa.

« Les cris et les larmes des mères n’ont jamais été miséricordieux »,

explique-t-elle.

Jawaher Hamid, 45 ans, de la ville de Gaza, serait probablement d’accord. Elle a perdu son fils Walid suite à des blessures mortelles subies lors d’un bombardement sur une prétendue zone sûre à l’ouest de Khan Younis.

« Je travaillais dans une école et je nettoyais ses installations afin de pouvoir procurer à mes enfants ce dont ils avaient besoin. J’endurais une fatigue extrême afin d’aider mon fils Walid à se construire un avenir »,

dit Jawaher Hamid, ajoutant qu’elle avait espéré de le voir se marier et de pouvoir accueillir ses enfants au sein de la famille.

En octobre dernier, Jawaher Hamid explique qu’avec ses sept enfants, elle avait fui les intenses bombardements sur la ville de Gaza et qu’ils s’étaient rendus au camp de Bureij, dans la partie centrale de la bande de Gaza.

« Ce n’a pas été facile. J’ai été déplacée dans des écoles, qui sont des endroits parmi les plus difficiles où se rendre. Je pouvais à peine trouver de l’eau et à manger pour mes sept enfants. Walid et ses frères m’aidaient, mais ils ne pouvaient supporter cette extrême fatigue du déplacement »,

poursuit-elle.

« Quand les chars ont envahi le camp de Bureij, nous avons été déplacés une fois de plus vers la ville de Rafah. »

Elle se rappelle que Walid lui avait dit qu’il voulait aller à Khan Yunis pour vendre des okras (gombos).

« Il y est allé (…) et il n’est pas revenu. Il m’est revenu recouvert d’un linceul »,

explique Jawaher à The Electronic Intifada.

« Quand j’ai appris la nouvelle, mon cœur s’est embrasé d’un feu qui m’a fait perdre la faculté de parler. »

« Walid, mon fils aîné, était désormais un martyr. Son décès a blessé mon cœur et celui de son père. J’espère toujours que tout ce que je vis n’aura été qu’un cauchemar et se terminera un jour »,

dit-elle.

Son fils a été enterré dans un cimetière de la ville de Rafah. Ses sœurs, qui ne s’étaient pas rendues dans le sud, n’ont pas eu l’occasion de lui dire au revoir », conclut Jawaher Hamid.

« Elles n’iront pas visiter la tombe, parce que c’est loin de chez elles, et quand je retournerai à Gaza même, sa tombe sera loin aussi. »

 

Un monde injuste

Jawaher dit qu’elle craint une opération militaire israélienne à Rafah, qui la forcerait à être déplacée une troisième fois.

« J’avais prié Dieu pour que cela n’arrive pas, mais c’est quand même arrivé »,

dit-elle.

« J’ai été déplacée tout en regardant derrière moi vers la tombe de Walid. J’ai beaucoup pleuré. Comme allais-je pouvoir rester avec le bruit des chars ? Aujourd’hui, je passe mon temps à m’asseoir au bord de la mer. Je ne puis m’asseoir dans la tente sans Walid. J’espérais pouvoir endurer toutes les misères de la guerre et ne perdre aucun de mes enfants. »

 

Alaa al-Qatrawi a perdu quatre de ses enfants en même temps lors du siège par l’armée israélienne de leur maison, près de l’hôpital Dar Al-Salam, à Khan Yunis.

Alaa Al-Qatrawi, 33 ans, dit qu’elle est séparée de son mari depuis un an environ. Les enfants vivaient avec leur père et lui rendaient visite chaque semaine.

Après avoir communiqué avec eux en permanence pour être sûre qu’ils allaient bien dès le début du génocide, Alaa dit qu’elle a brusquement perdu tout contact avec ses enfants à la mi-décembre.

« Les chars étaient positionnés en face de leur maison. J’ai attendu longtemps pour être sûre de quoi que ce soit mais, en mars, j’ai reçu des nouvelles que l’armée les avait encerclés et arrêté leur père et leurs oncles, puis qu’elle avait bombardé la maison »,

dit Alaa al-Qatrawi.

« J’ai perdu mes quatre enfants. J’avais rêvé de pouvoir voyager avec eux jusqu’à Dubaï et d’y construire une vie et un avenir. »

« L’occupation m’a laissé avec le cœur qui brûle pour mes enfants »,

dit-elle.

« Chacun d’eux a son histoire : naître, grandir, être soigné. Chacun d’eux a un futur et un rêve dont j’espérais qu’ils allaient se réaliser. Chacun d’eux a des amis et des proches qui les aiment et à qui ils manquent. Est-il possible pour une mère de supporter cela ? Tout cela à Gaza ? »

« Malheureusement, nous vivons dans un monde injuste dépourvu de la moindre parcelle d’humanité. »

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Ruwaida Amer est une journaliste qui vit et travaille à Gaza

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Publié le 23 mai 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal,  Charleroi pour la Palestine

 

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