Interview de Leila Khaled sur la résistance palestinienne, BDS, le FPLP…

 

Leila Khaled, ancienne « pirate de l’air » du FPLP, parle des événements qui l’ont rendue célèbre, des situations actuelles de résistance, du féminisme et de la coercition religieuse au sein de la société palestinienne et elle nous donne un nouvel éclairage sur des histoires enterrées depuis longtemps et concernant les assassinats et la trahison parmi les rangs du FPLP.

Leila Khaled chez elle, à Amman, posant devant son fameux portrait, où elle tient un kalachnikov rifle et est vêtue d’un T-shirt réalisé exclusivement pour elle par Mlabbas. (Photo : Paula Schmitt)

À l’âge de 28 ans, Leila Khaled avait déjà détourné deux avions et tenu des dizaines de passagers en otages. Son image avait été publiée en couverture de nombreux magazines d’information, son visage était affiché sur les murs des dortoirs d’étudiants ; elle était devenue un phénomène populaire et une source d’inspiration pour la création de personnages de la télévision et du cinéma.

Quelques jours après la mort de son beau-frère et la veille des funérailles de son cousin, Leila, 70 ans, a disposé des ingrédients dans un grand bol en s’assurant que les proportions convenaient exactement. étaient respectées. En prenant bien soin du mélange, elle l’a versé dans un sac en plastique spécial, résistant à la chaleur, puis a ajouté l’ingrédient principal avant d’enfermer le tout sous une température de 250°C. Les odeurs du poulet cuit se sont répandues dans son appartement d’Amman, apportant un complément bizarre à une interview sur la lutte armée, le terrorisme et la politique

Leila ne regrette aucun de ses choix. À ses yeux, ce qu’elle a fait était juste et justifié. Elle cite souvent Che Guevara pour confirmer ses dires, mais elle n’a pas besoin de la guérilla pour l’aider à rationaliser ses actes. Même Gandhi, la colombe de prédilection de tout le monde, a dit : « Là où il n’y a de choix qu’entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. »

Pour Leila, le rôle de réfugié est « un sujet de mépris » et est « humiliant ». Entre deux options imposées, celle de marcher d’un air soumis pour aller quémander une couverture et une carte de rationnement, et celle de s’emparer d’un kalachnikov, elle à choisi la seconde.leila_khaled2

Elle explique que « les détournements d’avions étaient une tactique. Pendant un bref laps de temps, juste pour attirer l’attention du monde et pour que les gens se demandent pourquoi. » Cela semble avoir marché. Même l’hôtesse du premier vol détourné par Leila avait dit devant les caméras : « Et même avec les choses étant ce qu’elles sont, cela reste une honte, que les Palestiniens n’aient pas de pays ! » Aujourd’hui, le FPLP est contre les détournements. En fait, il en a interdit la pratique depuis 1976 et c’est la raison pour laquelle Wadie Haddad (alias Abou Hani) a été exclu du Front.

Dans son autobiographie, Leila explique elle-même comment une otage, une vieille dame, a mouillé ses dessous de peur. Dans le documentaire primé, « Leila Khaled : Hijacker » (Leila Khaled, pirate de l’air), la cinéaste Lina Makboul, elle-même palestinienne, se demande si les actions de Leila ont été profitables ou non à son peuple. « Elle a dit quelque chose du genre : ‘Cette action a entaché votre combat’ « , me dit Leila, plus surprise qu’offensée. Et, dans son livre, elle cite un colonel syrien qui lui a dit : « Cette action n’a rien de commun avec les fedayin, c’est du terrorisme. »

« Non, ce n’est pas du terrorisme », me dit-elle. « Je suis victime d’une oppression et d’une occupation ; nous, en tant que peuple, avons le droit de résister par tous les moyens. » Et elle me rappelle ensuite que personne n’a trouvé la mort, dans ces actions.

Mais que se serait-il passé, dans l’hypothèse où quelqu’un, de peur, serait mort d’une crise cardiaque, dans cet avion, par exemple ?

« J’en aurais été désolée et j’aurais présenté mes excuses à sa famille. Je sais qu’il y a eu de la panique mais, en même temps, j’ai essayé de les réconforter, de ne pas les laisser gagner par la panique, etc., et, en réalité, ils y sont parvenus et personne n’a eu de crise cardiaque ni quoi que ce soit. »

« Ouais, mais je veux dire qu’il y avait des consignes très strictes de ne blesser personne, particulièrement parmi les passagers, ce n’étaient pas eux que nous visions, notre but était de faire libérer les prisonniers des prisons israéliennes, et particulièrement les femmes qui s’y trouvaient, elles avaient été condamnés plusieurs fois à perpétuité, et de montrer à nos camarades et à nos frères et sœurs en prison qu’ils n’étaient pas seuls, que nous étions derrière eux, que nous étions des combattants pour la liberté. Cela devait donner plus de force aux autres combattants pour la liberté quand ils se faisaient arrêter, afin qu’ils puissent affronter leurs tortionnaires et, en même temps, afin qu’ils sachent à l’avance qu’un jour, ils seront libérés par leurs camarades. ».

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Je lui demande si elle est d’accord avec le fait que, parfois, la victime devient elle-même bourreau.

« Oui. Comme les Israéliens… »

« La violence est la norme dominante »

Leila est née à Haïfa en 1944 et a dû fuit le 13 avril 1948. C’était quatre jours seulement après son anniversaire, mais on ne l’a pas fêté alors, et plus jamais par la suite non plus : ce 9 avril fut le jour où la Palestine vécut dans la tristesse le premier anniversaire du massacre de Deir Yassin.

Le combat de Leila pour la Palestine n’est pas dû à un attachement ancien à son pays. Ses parents ne sont même pas palestiniens, ils sont libanais. C’est l’amour de la justice, qui la motive. Comme Ghassan Kanafani, elle a aussi connu un tournant, dans sa jeunesse, lorsqu’elle a brusquement compris sa situation. Dans une belle et douloureuse lettre adressée à son fils, Kanafani décrit le moment où il a compris sa condition, juste un instant après « la honte de devoir fuir », quand, à dix ans, il a vu les hommes de sa famille rendre leurs armes pour se muer en réfugiés.

« Ne crois pas que l’homme grandit », écrivait-il. « Non ; il vient au monde soudainement – un mot, à un moment donné, entre dans son cœur et lui donne une nouvelle impulsion. Une seule scène peut le faire choir du plafond de l’enfance sur la dureté du chemin. »

Dans sa biographie, « Mon peuple vivra », Leila raconte une expérience similaire, quand elle est allée cueillir des oranges dans un verger tout proche lors de son arrivée au Liban, et en pensant encore qu’il s’agissait de ses oranges.

« Ma chérie [lui dit sa mère], ces fruits ne sont pas à nous ; tu n’es plus à Haïfa ; tu es dans un autre pays. » Avant de se précipiter vers la maison pour essuyer ses larmes et dissimuler sa honte, elle m’a regardé avec une fermeté toute maternelle en disant : « Dorénavant, il te sera défendu de manger des oranges qui ne t’appartiennent pas. » Dans un signe d’acceptation comme en ont les enfants, j’ai fait oui de la tête, mais ses mots résonnent toujours en moi. Pour la première fois, j’ai commencé à m’interroger sur l’injustice de notre exil. »

Et, à l’instar de Kanafani également, Leila a refusé de rendre ses armes. Elle-même y a été aidée par un autre détournement, dirigé par un homme qu’elle n’avait jamais rencontré et qui n’était même pas membre du FPLP, selon elle. Alors qu’elle était en garde à vue au commissariat de police d’Ealing, à Londres, elle fut surprise un jour d’apprendre que quelqu’un réclamait sa libération. « L’avion avait été détourné par un seul homme, un Palestinien chrétien, absolument seul. J’ai demandé son nom. Il s’appelait Marwan, on ne connaissait pas son nom de famille, il avait détourné cet avion. L’homme n’était même pas armé. Il avait trompé l’équipage. Il avait son costume de bain sous ses vêtements et il tirait sur l’élastique et disant que c’était une ceinture d’explosifs. À l’époque, c’étaient précisément les jours qui suivaient les détournements collectifs, qui aurait osé dire non ou osé douter de ses propos. Il a dit : ‘Je veux aller à l’aéroport de Dawson Field, à Amman’. Il a appelé et il a dit : ‘Je veux quelqu’un du FPLP.‘ Il a appelé Ghassan Kanafani depuis l’avion. Et ainsi donc, Kanafani a appelé Amman en disant : ‘IL y a un autre appareil pour vous.’ Les gens ne voulaient pas le croire. Ils ont demandé à Wadie Haddad [s’il avait quelque chose à voir là-dedans] et il a dit que non, ‘nous n’avons rien à voir avec ça’. Moi-même, j’ai été surprise quand M. Frew [le surintendant de la Police métropolitaine de Londres] m’a dit que l’avion avait été détourné. C’est pourquoi les Britanniques m’ont relâchée par la suite, en raison de leur avion qui avait été détourné. »

Des avions détournés sur le tarmac de Dawson Field en Jordanie lors de la conférence de presse du FPLP, le 7 septembre 1970.
Des avions détournés sur le tarmac de Dawson Field en Jordanie lors de la conférence de presse du FPLP, le 7 septembre 1970.

Mais, alors qu’aujourd’hui le FPLP considère les détournements comme inacceptable, la violence, aux yeux de Leila, est une arme légitime. « La résistance ne s’exprime pas uniquement par la violence, mais la violence est la norme dominante. »

Vous voulez dire le type principal de résistance ?

« C’est la tendance principale. Il y a différentes sortes : la résistance politique, la résistance populaire, comme descendre dans la rue, manifester. Quand nos femmes brodent nos vêtements, c’est de la résistance. »

Et les BDS ?

« Les BDS, naturellement, sur le plan international, c’est très efficace. Mais ça ne libère pas, ça ne libère pas les terres. S’il y a des BDS dans le monde entier et que le peuple ne résiste pas, il n’y aura pas de changement. Les BDS nous aident à continuer le combat et à isoler Israël et, dans le cas, l’équilibre des forces se modifie ici. C’est très important pour nous au niveau international d’avoir plus de gens qui mènent des campagnes, parce que cela signifie que la narration de notre histoire se situe désormais à ce niveau, et les gens vont demander : ‘Pourquoi font-ils ces BDS ?’ Maintenant, il y a toute une expérience, et nous ne parlons pas de quelque chose de théorique – les BDS à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud ont aidé les gens qui avaient des armes en main. Mais, s’ils n’avaient pas eu leurs armes, cela aura pu les affecter politiquement, mais cela ne les aurait pas libérés, par sur le terrain. »

Vous pensez que vous pouvez gagner la guerre de cette façon ?

« Au Vietnam, les pauvres ont vaincu les Américains. »

C’était un monde différent, avant l’avènement des drones…

« Et alors ! Il y a une équation fondamentale : Là où il y a occupation, il y a résistance. Personne ne peut changer ça. C’est fondamental, c’est naturel ; vous ne pouvez changer le soleil et le faire se lever à l’ouest. C’est la vérité ; c’est naturel. Quand vous vivez sous l’oppression, vous résistez. »

Et comment percevez-vous les gens qui ne choisissent pas de résister, qui sont contre la violence ?

« Comme Mahmoud Abbas. Il ne gagne rien. Il pose des conditions et Israël et Israël les ignore. Israël ne lui donne aucune indication de vouloir accepter la moindre de ses conditions. Laissez-moi vous dire. Arafat est allé à Oslo et a signé [l’accord]. Qu’est-ce qu’Israël a fait ? Ils l’ont enfermé à la Muqata, dans une chambre, et ils l’ont tué. »

Vous le savez avec certitude ?

« Vous vous souvenez de Sharon et Bush quand ils ont eu leur fameuse rencontre à Washington ? Sharon a dit à Bush qu’il voulait tuer Arafat. Bush a dit : ‘Il est très vieux, vous n’avez pas besoin de le faire.’ Et alors Sharon a répondu : ‘Peut-être que Dieu a besoin de notre aide.’ »

En effet, cette rencontre a bien eu lieu, et le dialogue avait la même tournure. Uri Dan, un journaliste israélien, un proche ami d‘Ariel Sharon, décrit la rencontre dans son libre : Ariel Sharon : Un portrait intime.

« Le 14 avril 2004, Sharon fut filament à même de se libérer de la promesse qu’il avait faite involontairement au président américain en mars 2001 – de ne pas toucher à Yasser Arafat. Sharon était à la Maison-Blanche : George Bush lui conseilla de laisser la destinée du dirigeant palestinien dans les mains de la divine providence et Sharon répondit, mi-ironiquement, mi-sérieusement, que la providence a parfois besoin d’une main qui l’aide. Sans donner à Sharon le feu vert pour éliminer Arafat, le président n’essaya toutefois de lui faire prendre un nouvel engagement. »

Lutter pour un seul État démocratique

Je l’interroge sur le Hamas, désigné par Israël comme son ennemi par excellence, un choix funeste et très adéquat dans un conflit où la religion est la loi, les certitudes impossibles la norme et l’ignorance-arrogance un principe fondamental. « Le Hamas croit que la Palestine est un endroit sacré qui appartient aux musulmans et ceci contredit nos idées, au FPLP. Mais, actuellement, la discussion ne tourne pas autour de l’idéologie, mais autour de la libération. Tous ceux qui combattent Israël sont dans la même tranchée que nous. »

Leila approuve ce qu’elle appelle la nouvelle « alliance stratégique » entre le Hamas et le Fatah. « C’est un bon pas, nous avons toujours préconisé cela, mettre un terme à la division, parce qu’elle nous nuit. Mais nous sommes très prudents. Ce n’est pas la première fois. Bien des fois, ils ont négocié et… » Elle s’arrête, elle n’est pas certaine de la façon de terminer sa phrase.

On a dit que George Habash, le fondateur du FPLP, avait dit un jour que, si on lui permettait de retourner à sa maison, à Lydda, il ne chasserait pas les Juifs qui y vivent, mais qu’en lieu et place, il construirait un nouvel étage pour les loger. Dans son autobiographie, Leila parle d’une Palestine que « nous retrouverons et dont nous ferons un paradis sur terre pour les Arabes et les Juifs et les gens qui aiment la liberté ».

Leila veut un seul pays pour tout le monde. « Nous voulons le droit à l’autodétermination et le droit d’établir notre propre État indépendant sur la terre palestinienne. Nous n’avons pas dit la solution à deux États, c’est une nouvelle expression, je n’accepte pas la solution à deux États. Le but historique, c’est d’avoir un État démocratique en Palestine. »

Un État appelé Palestine ?

« Oui. Peut-être même pouvons-nous en changer le nom, ce n’est pas un problème. Le problème, c’est que les gens doivent être là, pour décider de l’avenir de ce pays. »

L’autobiographie de Leila a des mots très durs à l’adresse du Royaume hachémite et du roi Hussein, et des relations amicales entre la Jordanie et Israël. « Les actions de Hussein ne pouvaient être séparées de celles des États-Unis et d’Israël » ; « En guise de représailles, Hussein a coupé l’eau et l’électricité des camps – un acte qu’il allait répéter en septembre et qui allait avoir des effets dévastateurs sur les pauvres », « le despote hachémite » ; « le massacre barbare de la résistance par Hussein » ; « Hussein a été harcelé durant des mois par l’ambassade des États-Unis afin d’en finir avec les Palestiniens » ; « les éléments corrompus qui se trouvaient derrière Hussein et ses conseillers de la CIA » ; « Hussein bombardait sauvagement les camps de ‘ses sujets’, sous le prétexte qu’il y avait eu une tentative d’assassinat contre sa personne » ;  « plus d’un millier de personnes furent sacrifiées en l’honneur du trône de Hussein ».

Mais quand elle me parle cette fois, plus de trente ans après la publication de son livre, Khaled était prudente. Je lui ai demandé si elle se sentait en sécurité, ici. « Jusqu’à un certain point, oui, parce qu’il y a un accord entre Israël et la Jordanie pour ne pas utiliser la Jordanie pour poursuivre d’autres personnes.»

Vous voulez dire que la Jordanie vous protégerait contre un assassinat ?

« Oui, mais ils ne m’autorisent pas à être active. »

Votre livre a été écrit voici de nombreuses années. Vous pourriez avoir changé d’avis en ce qui concerne la Jordanie. Dites-le librement si vous n’avez pas envie d’en parler, mais, à lire votre livre, la Jordanie semble presque un ennemi aussi grand qu’Israël..

« Non. Laissez-moi vous dire ceci. Nous avons cela consigné dans un document : nos ennemis, ce sont Israël, le mouvement sioniste, les impérialistes. Parce que, dès le début, nous devons dire très clairement qui sont nos ennemis, de sorte que les gens ne pensent pas aujourd’hui qu’ils sont nos ennemis et demain nos amis. […] Non, je ne dirai pas que la Jordanie est un ennemi, non. »

Trahison de l’intérieur

Je demande à Leila combien d’assassinats ciblés ont été organisés par le FPLP, des assassinats de personnes qui le méritaient vraiment. Elle essaie de se souvenir. « Ze’evi », dit-elle, faisant allusion à Rehavam Ze’evi, à l’époque ministre israélien du tourisme et chef de la fraction la plus droitière de la Knesset, qui prônait les « transferts » de population et traitait les Palestiniens de « poux » et de « cancer ».

Le portrait de Leila Khaled réalisé par Amer Shomali à l’aide de 3.500 tubes de rouge à lèvres, le 28 février 2012. (Photo : Amer Shomali) Après que Khaled eut détourné deux avions avant même l’âge de trente ans, son image parut en couverture de nombreux magazines d’information, son visage orna les murs des chambres d’étudiant, elle devint un phénomène populaire et une source d’inspiration pour les personnages de télévision et de cinéma.

C’est tout ?

« Il y a également eu un agent du Mossad à Londres. Son nom était Seif. Il a été tué chez lui. Sa femme était là. » Je ne suis toujours pas satisfaite. « Il y a également eu une femme du Mossad en Grèce ».

J’ai essayé d’avoir confirmation de l’information sur « Seif » mais n’y suis pas parvenue.

Je pose alors Leila la question inverse – combien de membres du FPLP ont-ils été ciblés par le Mossad ? Et ici vient une grosse information qui contredit tout ce que j’ai lu sur la mort de sa sœur. Selon de nombreux canaux d’information et au moins trois livres, la sœur de Leila a été tuée dans une affaire d’erreur d’identité la veille de Noël en 1976, et en compagnie de son fiancé, alors que tous deux étaient chez eux. La cible visée aurait été Leila et son mari et le coupable aurait été le Mossad. Mais une source anonyme au FPLP m’a raconté que le tueur n’était pas le Mossad, mais « le troisième homme » au sein du FPLP, un certain Abu Ahmed Yunis. « Il volait des armes, de l’argent », m’a dit la source. Selon la source encore, « ce n’était pas une affaire de collaboration, mais uniquement de corruption ».

Et, au cours d’un rassemblement, ils [la sœur de Leila et son fiancé] l’avaient menacé de parler de sa corruption. Ainsi donc, avant un important rassemblement, il avait envoyé un de ses hommes, qui les avait tués tous les deux. Il y a eu une commission d’enquête, dirigée par Ali Mustafa, et la piste a abouti à ce type. Ils l’ont attrapé, l’ont interrogé, l’ont mis en prison et ont décidé qu’il devait être pendu. Et, à ce moment, Yasser Arafat a envoyé un groupe pour dire à Abu Ali Mustafa : « De grâce, ne faites pas ça, parce que, si vous le faites, ce sera comme si vous condamniez la révolution palestinienne. » Puis Abu Ali Mustafa a dit à ces gens d’Arafat d’aller le trouver et de lui dire de faire d’abord le ménage chez lui. Personne ne nous blâmera de nettoyer chez nous. Chaque maison a un coin sale et nous devons le nettoyer. »

J’ai demandé à Leila de confirmer l’histoire et elle m’a dit que c’était vrai, « mais il n’était pas le troisième homme. Nous n’avons pas ce genre de classification, chez nous. » Yunis allait être exécuté quelques mois plus tard.

Dans mes recherches, je n’ai pu trouver de compte rendu corroborant cette histoire et le seul livre que j’ai trouvé et qui mentionne l’existence de Yunis situe la date de sa mort plusieurs années après l’assassinat de la sœur de Leila.

« Il était très influent », déclare Leila, « il était notre représentant à la direction commune entre les Palestiniens et les Libanais, à l’époque. Il a senti que ma sœur le critiquait, ainsi que son comportement. Son mari le critiquait aussi. C’était à la veille de Noël. Il y avait moi, et elle et son fiancé, nous allions à Tyr chez ma mère, pour la fête. C’était lui mon responsable. Il m’a dit, ainsi qu’à d’autres : ‘Ne dormez pas chez vous cette nuit.’ Il a envoyé des gens pour les tuer.»

Leila déclare qu’elle n’est jamais parvenue à avaler cette affaire. « Un camarade qui tue un autre camarade… », dit-elle en secouant la tête. « J’ai dit à nos camarades qu’il devait être exécuté ou alors j’allais le tuer moi-même. Et il a été exécuté, lui et un autre qui sa tiré les coups de feu. »

Selon Leila, le Mossad n’a pas non plus commis l’un des assassinats les plus retentissants qu’on lui ait jamais attribués. L’histoire dit que Wadie Haddad, un ancien dirigeant du FPLP, a été tué en 1978, En République démocratique allemande, en mangeant du chocolat belge empoisonné que lui avait envoyé le Mossad. « Ce n’est pas vrai », dit Leila, « je le connaissais très bien et il n’aimait pas le chocolat. Il avait un cancer. »

En effet, l’affirmation de Leila est corroborée par l’un des courriels de Stratfor révélés par Wikileaks en 2012. Il révèle une conversation entre deux contractuels privés dans le domaine du renseignement, David Dafinoiu, président de NorAm Intelligence, et Fred Burton, vice-président des services de contre-espionnage de Stratfor.

À propos de Wadi Haddad : contrairement à ce que dit Aharon Klein et d’autres publications attribuées à certains officiers du Mossad, l’assassinat de Haddad par le Mossad à l’aide de chocolat empoisonné est une belle fiction. Haddad figurait effectivement sur la liste des assassinats du Mossad et un ordre « Page rouge » avait été émis à son nom et à d’autres comme Kamal Adwan, Hussein Abad Al-Chir, Mohammed Boudia, Abu Daud et d’autres encore.

Néanmoins, il mourut d’une leucémie dont il souffrait depuis longtemps. La version de l’assassinat par le Mossad convenait très bien à toutes les parties, elle présentait Wadi comme un héros et le Mossad comme une organisation d’assassins que les terroristes avaient tout lieu de craindre.

« Je représente les Palestiniens, pas les femmes »

Après son premier détournement, en 1969, à l’âge de 26 ans, Leila a choisi de passer sous le scalpel afin de modifier son visage et de commettre un second détournement sans être reconnue. Alors que le médecin objectait que la chirurgie esthétique était censée embellir, et non déformer, Leila déclara que l’opération était un sacrifice mineur pour sa cause, et elle le plaça dans le contexte d’une interview accordée à Jennifer Jajeh : « Les femmes modifient leur visage, leurs lèvres, et tous ces accessoires en plastique censées les embellir n’embellissent toutefois par leur esprit. Moi, je l’ai fait. J’ai embelli mon esprit. »

Tout cela en fit un symbole du féminisme, ce qu’elle rejeta avec son rationalisme habituel, résumant très bien la chose dans une interview accordée à Ibrahim Alloush de Free Arab Voice : « D’autres femmes de certaines parties du monde nous disent que nous pouvons nous unir sur la question de l’oppression sexuelle. Partout où vous examinez le texte, ou le programme d’action, vous trouvez le mot ‘sexe’. Vous allez trouver le sexe ici, vous allez le trouver là. Une fois on discute d’abus sexuels, l’autre fois de tourisme sexuel. Le but, c’est de dépolitiser la question des femmes et d’affirmer que les femmes peuvent s’unir juste en tant que femmes. » Elle a également dit dans The Guardian que « les abus sexuels constituent des problèmes d’individus, qu’ils soient endémiques ou pas, alors que l’occupation est le problèmes de peuples entiers ».

Leila a un sens propre des priorités. « Je représente les Palestiniens, pas les femmes », a-t-elle déclaré un jour. Je lui dis que, sous le Hamas, les femmes de Gaza n’avaient pas le droit de participer au marathon.

« Ce n’est pas notre problème pour l’instant », dit-elle. « C’est le, problème là-bas et c’est même un problème que nous rencontrons ici aussi ? Le Hamas tente d’islamiser la société et, bien sûr, bien des femmes, parce qu’elles sont sous leur contrôler, portent aujourd’hui le hijab, alors que ce n’était pas le cas avant. Je suis allée là-bas et je leur ai demandé ‘pourquoi elles acceptaient cela’. »

Leila répond elle-même à la question, en suggérant que Dieu, l’ineffable, peut être encore moins intangible que la solution au grave problème palestinien. « Les gens cherchent une réparation depuis des années. Ils ont essayé les nationalistes, ils ont essayé le régime de Nasser, ils ont essayé le Fatah, ils ont essayé le FPLP et ils n’ont jamais abouti à rien. »

Mais le combat de Leila, comme celui du FPLP, n’a rien à voir avec la religion. Quand on visite les quartiers généraux à Amman du Parti populaire de l’Unité démocratique de Jordanie, une branche du FPLP, la chose qui frappe le plus est accrochée au mur : une sorte de dessin révolutionnaire représentant un homme et une femme solidement enchaînés et entourés d’armes automatiques. Ce qui est frappant, dans ce dessin, et ne manquerait pas de l’être pour toute personne ayant vécu en Jordanie, c’est que la femme non seulement ne porte pas de voile, mais qu’elle est nue, et l’homme aussi. Une autre élément choquant de contexte vient du tract présentant les candidats au syndicat des pharmaciens dans un pays dont le tribunal de la charia vient de décréter que les femmes ne portant pas le voile ne sont pas aptes à témoigner. Parmi les dix candidats de l’affiche, deux sont des femmes et aucune ne porte de hijab.

Et, alors que certains pourraient débattre du fait que Leila fait la distinction entre représenter les femmes ou les Palestiniens, il est réconfortant de voir comment elle a choisi ses propres combats, refusant d’être prisonnière du politiquement correct et n’en étant même souvent pas consciente. Dans un passage de son autobiographie, elle retranscrit un dialogue avec le chef de la police du « Hilton d’Ealing ». Exaspéré par son refus de répondre à ses questions, M. Frew lui rappelle qu’il a des cheveux gris. « Ça ne vient pas de moi », dit-elle, « c’est parce que vous êtes marié à une enquiquineuse. »

Mais Leila a longtemps admis, en fait, que les femmes palestiniennes subissent divers types d’oppression :

« L’oppression de nos femmes est composite et pas seulement cumulative », a-t-elle déclaré à l’adresse d’Alloush. « La femme palestinienne est opprimée au niveau national en tant que Palestinienne sous occupation ou en exil. C’est la première facette de son exploitation socioéconomique en tant que membre de la classe sociale dont elle fait partie. Autre facette importante, elle est opprimée en tant que femme parce que nos sociétés sont sexistes. »

Dans son autobiographie, Leila n’a parfois aucune pitié pour ce qu’elle appelle « les chaînes de la superstition et de l’arriération » dans le monde arabe. En fait, elle désigne ses ennemis très explicitement et, à cette époque, ce n’étaient pas seulement « Israël, le mouvement sioniste, les impérialistes », mais aussi « l’arriération arabe ».

Croyez-vous toujours au panarabisme ?

« Qu’entendez-vous par panarabisme ? », rétorque-t-elle, comme si c’était la première fois qu’elle entendait ce terme.

Que le monde arabe devrait être uni.

« Nous sommes arabes. Nous avons tous la même histoire, la même langue. Ce sont les colonisateurs, qui nous ont divisés. »

Et les chrétiens ?

« Je ne parle pas de religion. Les chrétiens ont la même histoire. Nous avons tous été colonisés après la Première Guerre mondiale. »

Je l’interroge à propos de la Mutasarrifiyya, une région semi-autonome du Mont-Liban, dirigée par les chrétiens et concédée sous l’Empire ottoman depuis le 16e siècle. Certains chrétiens libanais la rappellent souvent avec nostalgie.

« Mais ce n’était pas en fonction de la religion, dans le temps. Ce fut un fruit de la colonisation. Après la Première Guerre mondiale, les colonisateurs se sont partagé le monde arabe après avoir vaincu les Ottomans. Nous avons été colonisés par le calife et les califats, c’était une colonisation. ». Je transpose la question au présent.

Que diriez-vous de la position qui dit : ‘Tous les Arabes sont égaux est une sorte de…‘ Je voudrais dire racisme mais je ne le dirai pas. Quand vous proposez de réunir tous les Arabes sous le panarabisme… N’est-ce pas imposer quelque chose aussi ?

« Au Brésil, vous avez diverses ethnies, mais vous êtes un pays. Il y a des différences d’une ville à l’autre. Je ne compte pas sur les régimes, je compte sur les gens. Et il y a des différences même dans ces endroits. Vous allez aux États-Unis, chaque ville est différente l’une de l’autre. Il y a un accord entre les pays arabes au sein de la ligue arabe pour que nous ayons un marché commun. En Europe, il y a différents peuples, mais ils sont unis. »

Vous voulez dire « unis dans une alliance stratégique », c’est bien cela ? C’est ce que vous voulez dire ? L’économie, la puissance militaire, les ressources naturelles ?

« Oui, bien sur, c’est ce que je veux dire. »

Je cite un passage de son autobiographie, où elle dit que « les peuples sous-développés vivent dans le fatalisme ». Nous discutons durant un moment et je dis que je comprendrai très bien qu’elle préfère s’en tenir à propos de la religion aux opinions qu’elle affiche dans son livre.

« Je ne critique pas la religion en public – mais je n’y crois pas. »

Si Leila a un dieu ou quelque chose du genre, c’est le marxisme. Elle se dit matérialiste dialectique et croit que Cuba et le Venezuela ont les meilleurs gouvernements au monde. Je lui dis que Cuba est un régime d’oppression et que certains des athlètes « représentant » le pays aux Jeux panaméricains ont essayé de se cacher et de demander l’asile politique au Brésil. Je lui demande d’expliquer pourquoi la plupart des livres et des journaux sont interdits dans l’île. Leila me répond que Cuba agit de la sorte pour « protéger son peuple de l’impérialisme américain ». Quand je lui demande si elle considère les gouvernements de la Norvège, du Danemark et de la Suède comme des exemple de saine gouvernance, elle me dit oui.

Je lui demande si elle a des regrets, si elle a perdu son propre sentiment de moralité, ce regard sur le côté empreint de scepticisme dont parle Schopenhauer.

« Je regrette de n’avoir pas poursuivi mes études », dit-elle. « J’ai essayé de les poursuivre. En 1978, je suis allée en Union soviétique. Je voulais étudier l’histoire. Mais nous avons été appelés, l’OLP a rappelé tous les étudiants qui bénéficiaient de ses bourses d’études pour qu’ils participent à la révolution au Liban. Je m’y suis rendue et la guerre a éclaté. »

Nous discutons de la façon dont la religion, ou la religiosité, a souvent été utilisée pour masquer la corruption morale. Selon elle, les groupes qui combattent en Syrie, comme Jabhat al-Nusra, travaillent pour Israël, non pas intentionnellement, mais c’est ce qui résulte de leurs actions. « Je crois que ce sont des mercenaires, payés par le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et qui utilisent l’Islam comme un gros slogan. » Elle croit que la guerre fait partie d’un plan plus vaste.

« Tout le projet des Américains et d’Israël est de redessiner le Moyen-Orient. Nous lisons et entendons ce qu’ils disent à propos du Grand Moyen-Orient. Même Shimon Peres a écrit un livre sur le sujet. »

Je lui demande ce qu’elle pense du régime saoudien.

« L’Arabie saoudite est dirigée par les Américains. Voyez ce qui s’est passé. Ils ont été fâchés parce que le Qatar s’est vu accorder un rôle ces cinq ou six dernières années. Maintenant, ils ont changé. Ainsi, on a demandé au Qatar, on a demandé à l’émir de démissionner. Mais celui-ci, c’est celui qui a négocié avec les Taliban, il a été préparé à faire des arrangements entre les pays du Golfe.»

Vous voulez dire qu’il est aussi mauvais que le précédent ?

« Oui, avec un visage souriant. »

Je parle de la cheikha Moza, de la famille royale du Qatar. On dit d’elle qu’elle possède des vignobles en Israël.

« Elle passe l’été à Netanya », dit Leila. « Elle y était en 2006 », l’année où Israël a attaqué le Liban.

La Palestine a-t-elle été trahie, abandonnée ?

« Non, nous ne sommes pas seuls. Vous êtes avec nous. »


Publié sur 972 Magazine le 17 mai 2014.
Traduction : JM Flémal.

Paula Schmitt (@schmittpaula) est une journaliste brésilienne, correspondante au Moyen-Orient, auteur du livre de non-fiction Advertised to Death – Lebanese Poster-Boys, et du roman Eudemonia.

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