Le rôle des Juifs israéliens dans la planification du retour palestinien

La Nakba est entrée dans le discours habituel des Israéliens, ces quelques dernières années, et d’une façon qui aurait été inconcevable dans le passé. Une grande majorité des Juifs en Israël savent que c’est un mot arabe lié au conflit israélo-palestinien et qu’il a une connotation négative, comme le révèle un sondage d’opinion qui va être publié d’ici peu par De-Colonizer, un laboratoire de recherche et d’art en faveur du changement social, qui fournit du matériel et des outils pour dénoncer et défier la nature colonialiste du régime israélien.

En réponse à cette reconnaissance publique, nous avons assisté à un changement de cap considérable de la part du gouvernement israélien et du groupe de droite Im Tirtzu.

La « Loi Nakba », adoptée en 2011, cherche à empêcher l’étude et la commémoration de la Nakba. Dans un même temps, Im Tirtzu a lancé une vaste campagne en vue d’encourager la négation de la Nakba.

Pourtant, malgré le bourgeonnement de la conscientisation de la Nakba, la plupart des Israéliens ne savent pas ce qu’elle est, en fait.

Plus rares encore sont les Israéliens qui reconnaissent qu’Israël porte la moindre part de responsabilité dans la transformation de la plupart des Palestiniens en réfugiés et dans la destruction de leurs villes et villages en 1948, dans le but d’instaurer l’État juif.

Parmi ceux qui comprennent l’importance de la reconnaissance par Israël de la Nakba, une minorité soutient la reconnaissance du droit au retour (Hak al-Awda, en arabe) des réfugiés palestiniens, tel qu’il est défini dans les lois internationales et, spécifiquement, dans la Résolution 194 de l’ONU, du 11 décembre 1948.

15 mai 2012, Ramallah. Une Palestinienne brandit une clef, symbole de la Nakba et du droit au retour. Bien des Palestiniens ont emmené les clefs de leurs maisons quand ils ont fui ou qu’ils ont été chassés en 1948, pensant et espérant qu’ils reviendraient bientôt. (Photo : Ryan Rodrick Beiler/Activestills.org)

Depuis la création d’Israël, le douloureux débat sur le droit au retour a toujours été dichotomique : les sionistes sont contre et les anti-sionistes sont pour.

Cela ressemble à une querelle entre deux camps qui refusent de s’engager dans le moindre dialogue constructif.

Manifestement, il ne s’agit pas d’une dispute se limitant à des termes juridiques, mais d’une dispute dont la base est l’État juif, un État qui recourt à des mécanismes juridiques pour conserver une majorité juive et dans lequel seuls les Juifs peuvent être des citoyens à part entière.

Afin d’aller plus loin et d’articuler un véritable discours sur le sujet, afin de promouvoir le droit au retour, nous devrions nous concentrer davantage sur ce retour dans la pratique et moins sur le droit théorique au retour.

Outre l’étude et la reconnaissance de la Nakba, il est nécessaire de préparer le retour proprement dit.

La planification du retour des réfugiés palestiniens s’appuie sur deux principes fondamentaux : personne ne devrait être déraciné de sa maison ; et chaque réfugié et sa descendance devraient avoir la liberté de choisir entre un véritable retour physique ou l’un ou l’autre genre de réparations.

L’association israélienne à but non lucratif, Zochrot, a lancé une initiative en ce sens voici une dizaine d’années.

Certains textes ont été rédigés par des Israéliens et des Palestiniens sur le sujet, des expositions et des conférences ont été organisées afin de présenter des plans de retour, des communautés de réfugiés palestiniens ont commencé à planifier leur retour et certains ont déjà réintégré les villages d’Iqrit et de Bir’im, dans le cadre d’un projet qui se poursuit depuis plus d’un an.

Il n’est pas étonnant que les Palestiniens soient engagés dans des efforts pour promouvoir leur retour, mais les Juifs engagés en ce sens sont infiniment moins nombreux.

Le dernier texte dont nous savons qu’il a été écrit par des Israéliens juifs faisait partie d’un projet du Centre Israël / Palestine de recherche et d’information (IPCRI).

En 2014, Noa Levy dirigeait un groupe de travail qui a élaboré un document traitant de la politique de l’immigration et du retour des réfugiés.

Rien d’autre n’a été fait ces dernières années par des Israéliens juifs quant à la préparation de la ‘Awda.

Pourquoi importe-t-il que des Israéliens juifs participent à la planification du retour des réfugiés palestiniens ?

Parce que les Israéliens sont (les descendants de) ceux qui ont expulsé les Palestiniens, de sorte qu’ils devraient faire leur possible pour aider au retour des réfugiés, ce qui inclut de collaborer à la planification même de ce retour.

Parce qu’ils tirent profit du déracinement des Palestiniens, ce qui les rend responsables de la correction d’une situation dont ils participent et dont, par conséquent, ils ne sont pas que des supporters passifs.

Parce que le déracinement des Palestiniens fait partie du très long conflit israélo-palestinien, dont ils souffrent eux aussi. Aider au retour des réfugiés contribuera également à mettre un terme au conflit.

Parce que planifier la ‘Awda permettra aux Israéliens d’en apprendre davantage sur la Nakba.

Parce que planifier le retour préparera les Israéliens à la coexistence avec les Palestiniens – non pas le slogan creux de la gauche sioniste, mais une existence partagée en termes de complète égalité, y compris concernant les lois sur l’immigration. Planifier le retour des réfugiés palestiniens est la démarche la plus radicale que l’on puisse entreprendre pour contrer la politique sioniste qui nous a habitués à rester séparés.

Parce que, si les Israéliens sont impliqués dans la planification du retour, cela aura un impact sur le public israélien. Il n’y a rien qui sorte de l’ordinaire si des Palestiniens planifient le retour, mais si des Israéliens y sont impliqués, cela attirera l’attention comme quelque chose d’unique et de subversif.

Si des Israéliens sont impliqués dans la planification du retour, il y aura plus de chances que celui-ci soit accepté par un plus grand nombre d’Israéliens.
Du fait que le retour des réfugiés est dans l’intérêt de tous ceux qui vivent ici – et pas seulement les Palestiniens. Les Palestiniens doivent diriger l’initiative mais il faut que des Israéliens vivant ici deviennent des alliés dans l’élaboration d’un mode de vie post-sioniste partagé.

Ainsi donc, quel est le rôle des Israéliens qui soutiennent le droit au retour des Palestiniens ?

Les Israéliens en devraient pas être impliqués dans la planification de reconstruction de la société palestinienne. Le groupe palestinien devrait le faire dans un espace sûr. Les questions sur la composition de la ville, le style de construction, l’emplacement des espaces partagés, etc. devraient être abordées par les résidents futurs. Toute interférence de la part d’Israéliens serait paternaliste et ne pourrait avoir lieu que suite à une demande expresse des Palestiniens concernés.

Cependant, les Israéliens devraient répondre aux idées concernant le retour des Palestiniens. La critique peut toujours être constructive quand elle vient d’un lieu de soutien.

Il y a également des obligations. Tout ce qui va au-delà de la planification interne a des conséquences pour toute personne qui vit ici et, manifestement, les Israéliens ont un intérêt dans la question. La construction d’une nouvelle ville ne peut être détachée de son environnement. S’il s’agit d’une ville déjà existante qui sera agrandie afin d’absorber des réfugiés désireux de revenir, la chose aura également un impact environnemental qui affectera aussi les Israéliens et c’est la raison pour laquelle ils devraient eux aussi être intégrés comme partenaires à cette planification. Par exemple, si 50 000 réfugiés choisissent de revenir à Nazareth, la chose aura un impact sur les Juifs qui vivent dans toute la région.

Il est possible que le domaine le plus important dans lequel les Juifs devraient être actifs concernant le retour soit la préparation du public à cette éventualité. Ils devraient organiser des activités comme, par exemple, réaliser des études ou se focaliser sur des groupes et des discussions en prévision du retour, afin d’examiner les positions israéliennes au sujet du retour et de ses retombées. Ces activités prépareront les Israéliens à ce changement considérable. Il est également très important d’étudier les craintes israéliennes à ce propos.

Une autre option consiste à présenter les positions palestiniennes sur le retour aux Israéliens. C’est important, du fait que les Israéliens sont habituellement confrontés à la question par des gens qui ne sont pas favorables au retour, tels les « spécialistes » des médias ou des universités. Ils présentent une image dans laquelle les Palestiniens qui reviendraient poseraient des risques démographiques et sécuritaires, mettraient en danger la démocratie, etc.

Les Israéliens favorables au retour ont un rôle important à jouer en présentant un discours différent, plus équilibré – non pas en présentant un tableau idyllique de la façon dont les choses vont se passer après le retour, mais en proposant des manières de remédier aux craintes qui empêchent tout mouvement en ce sens. Planifier le retour des réfugiés palestiniens est un acte de politique utopique qui encourage à penser à ce qui est possible, au-delà de l’actuel agenda. Il donne de l’espoir au moment où l’on a l’impression comme nous d’être dans une impasse.


Publié le 10 mai 2016 sur 972Mag
Traduction : Jean-Marie Flémal

Eitan Bronstein Aparicio

Eitan Bronstein Aparicio

Eitan Bronstein Aparicio est le confondateur de De-Colonizer, un laboratoire de recherche et d’art en faveur du changement social, qui fournit du matériel et des outils pour dénoncer et défier la nature colonialiste du régime israélien.

Une vidéo récente, réalisée par De-Colonizer, publiée sur ce site

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