La carte du Covid-19 de l’Université John Hopkins critiquée pour avoir occulté les Palestiniens

Ali Abunimah, 27 mars 2020

Des experts de la santé et des droits de l’homme critiquent la carte et le tableau des chiffres publiés par le Center for Systems Science and Engineering de l’Université John Hopkins pour avoir occulté les Palestiniens

Khan Younis, 26 mars. Un couple de Palestiniens portant des masques célèbrent leur mariage chez eux, après que les autorités de la bande de Gaza ont fermé les salles de mariage en guise de prévention contre la pandémie du Covid-19. (Photo : Ashraf Amra / APA images)

La carte et le tableau des chiffres constamment remis à jour et publiés par le Center for Systems Science and Engineering de l’Université John Hopkins sont devenus une ressource vitale pour tous ceux qui suivent à la trace la pandémie du Covid-19.

Toutefois, des experts de la santé et des droits de l’homme les critiquent pour avoir occulté les Palestiniens.

Il s’avère que John Hopkins a entendu cette critique et a modifié sa decision en fusionnant les données du Covid-19 chez les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza avec celles d’Israël.

Mais les experts prétendent que cela ne va pas assez loin.

Dans une lettre publiée cette semaine par la revue médicale The Lancet, la docteure Rita Giacaman et la juriste Rania Muhareb faisaient remarquer que le tableau de John Hopkins

« répertoriait au départ les données enregistrées par le ministère palestinien de la Santé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, sous son entrée concernant la Palestine ».

Les données pour Israël étaient répertoriées séparément.

Cependant, le 10 mars, John Hopkins

« redésignait l’entrée pour la Palestine sous les initiales « TPO » (Territoires palestiniens occupés).

Giacaman et Muhareb faisaient observer que le lendemain,

« l’entrée pour les TPO avait été supprimée et que ses chiffres avaient été fusionnés avec ceux de l’entrée pour Israël ».

Par conséquent,

« les Palestiniens étaient dans l’impossibilité d’utiliser le tableau pour suivre la propagation du Covid-19 dans les Territoires palestiniens occupés »,

a expliqué Muhareb vendredi à The Electronic Intifada.

« Alors que les cas se multiplient rapidement, il n’était plus possible non plus de savoir si les cas repris sous Israël comprenaient ceux enregistrés dans les Territoires palestiniens occupés, ou si les cas palestiniens avaient disparu avec le temps. »

Giacaman enseigne à l’Institut de la Santé communautaire et publique de l’Université de Birzeit et Muhareb est une juriste active au sein de l’association palestinienne des droits de l’homme, Al-Haq.

Une réponse inadéquate

Étant donné les liens historiques de l’Université John Hopking avec le commerce des esclaves et le fait qu’elle a reconnu récemment avoir été construite sur des terres appartenant traditionnellement à la nation des Piscataway, Giacaman et Muhareb ont instamment invité l’université à ne plus

« contribuer à occulter les peuples indigènes du monde entier ».

Elles ont contacté le Center for Systems Science and Engineering deux fois depuis le 15 mars, mais, à la date du 25 mars, elles n’ont toujours pas reçu la moindre réponse.

Toutefois, le 26 mars, le tableau de John Hopkins présentait à nouveau une entrée séparée pour la « Cisjordanie et Gaza » : il répertoriait 91 cas confirmés de Covid-19.

Israël, figurant sur une liste séparée, compte plus de 3 000 cas.

Alors que cette façon de procéder a au moins le mérite de séparer les données, Muhareb à expliqué à The Electronic Intifada que l’entrée pour la « Cisjordanie et Gaza » n’est pas conforme à la législation internationale puisqu’elle suit les désignations du département d’État (i.e. le ministère des Affaires étrangères) des États-Unis qui, à demultiples reprises, a violé l’interdiction d’acquérir des territoires par la force, a bafoué les droits des Palestiniens et a fermé les yeux sur l’occupation militaire prolongée de la Palestine par Israël.

Muhareb a déclaré que Giacaman et elle avaient écrit une nouvelle fois à John Hopkins afin de faire remarquer que la nouvelle entrée pour la « Palestine et Gaza »

« n’abordait pas la situation de façon adéquate tout en continuant à occulter complètement la Palestine et les Palestiniens de la carte du monde ».

La « première réaction » de John Hopkins

« consistant à répertorier la Palestine ou les Territoires palestiniens occupés était la bonne et nous avons insisté pour que l’entrée concernant la ”Cisjordanie et Gaza” soit amendée elle aussi »,

a ajouté Muhareb.

« Une injustice biomédicale »

Les Palestiniens endurent des conditions totalement différentes de celles des Israéliens, face à la pandémie.

En effet, les Palestiniens doivent affronter deux ennemis :
le nouveau coronavirus et l’occupation militaire israélienne, laquelle entrave leur capacité à se protéger et les expose à des dangers supplémentaires.

Gaza court un danger particulièrement grave, puisqu’elle est confrontée à ce que l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem appelle « un scénario de cauchemar », au cas où le virus s’y propagerait plus largement.

Vendredi, neuf cas avaient été confirmés à Gaza.

Tous étaient des personnes en quarantaine et il n’était aucunement fait mention de propagation parmi la communauté.

B’Tselem a insisté sur le fait que les quelque 13 années de blocus par Israël et l’effondrement de l’économie, de la santé et de l’infrastructure sanitaire qui en a résulté ont plongé Gaza dans « les affres d’un désastre humanitaire entièrement créé par Israël ».

Ce point est souligné dans une autre lettre publiée par The Lancet cette semaine, qui insiste pour que

« la communauté internationale agisse dès à présent pour mettre un terme à la violence structurelle »

à laquelle les Palestiniens sont confrontés.

Cette lettre a été signée par Muhareb, le Dr David Mills, un urgentiste et pédiatre à l’Hôpital des enfants de Boston qui travaille en partenariat avec le Fonds d’aide aux enfants de Palestine, le Dr Bram Wispelwey, un médecin du Brigham and Women’s Hospital de Boston qui travaille avec des Palestiniens afin de renforcer leurs systèmes de soins de santé, et le Dr Mads Gilbert, un chirurgien urgentiste qui a soigné les blessés au cours de l’offensive israélienne contre Gaza en 2014.

« Une pandémie du Covid-19 qui paralyserait encore plus le système des soins de santé de Gaza ne devrait pas être perçue comme un phénomène biomédial inévitable par la population du monde même »,

écrivent-ils,

« mais comme une injustice biosociale évitable enracinée dans des décennies d’oppression israélienne – et de complicité internationale – de la lutte de tous les Palestiniens pour la santé, les droits fondamentaux et l’autodétermination. »

Publié le 27 mars 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

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