Un voyage de cauchemar

Samar Abou Daher ne parvient toujours pas à croire que son horrible cauchemar est enfin terminé.

Samar et sa mère, Oum Djihad, dans leur jardin de Gaza. (Photo : Abdallah al-Naami)

Abdallah al-Naami, 31 août 2021

En avril dernier, après avoir passé près de trois ans dans une prison israélienne, la femme de 38 ans a enfin été libérée et a pu retourner vivre de nouveau avec sa famille.

Elle avait été incarcérée sur l’accusation fallacieuse – insiste-t-elle – d’avoir aidé son frère, Djihad, avant son emprisonnement en 2007.  

Djihad avait été condamné à 23 années d’emprisonnement, après avoir été accusé d’être un activiste du Djihad islamique. Il lui reste encore neuf années à purger.

Onze ans après le début de son emprisonnement, l’armée israélienne a apparemment décidé que sa punition n’était pas encore suffisante.

Le 6 décembre 2018, Samar quittait Gaza pour accompagner un autre de ses frères, Eyad, qui souffre d’un mal affectant les artères de son cœur. Le frère et la sœur avaient prévu de faire le trajet ensemble jusqu’à l’hôpital Al-Makassed, à Jérusalem-Est occupée.

Tous leurs papiers étaient en ordre et aucun des deux ne savait encore à quel point le voyage de Samar allait être long, à quel point il allait se muer en une épreuve terrifiante.

« Nous étions préparés », a expliqué Samar à The Electronic Intifada.

« J’avais été interviewée par les autorités israéliennes et on m’avait accordé un permis de me rendre à Jérusalem avec mon frère. »

Avec leurs préoccupations fermement concentrées sur l’opération cardiaque d’Eyad, le frère et la sœur, qui ne se doutaient de rien, se sont rendus au check-point d’Erez, le principal passage, à partir de Gaza, vers Israël ou vers la Cisjordanie occupée.

Un fois qu’ils se sont retrouvés du côté israélien, toutefois, deux soldats se sont approchés de Samar et l’ont emmenée vers un local d’interrogatoire.  

« Je ne savais pas pourquoi ils me retenaient. Ils m’ont posé des tas de questions dont je n’avais pas idée, après quoi ils m’ont laissée dans l’attente pendant des heures »,

raconte Samar.

 

L’opération chirurgicale a dû être reportée

Au début, explique Jamar, elle était simplement soucieuse d’arriver à temps pour l’opération chirurgicale de son frère. Mais les questions ont continué : sur sa famille, sur le Djihad…

Plus le temps passait, plus elle était inquiète et nerveuse. À un moment donné, dit-elle, elle a même perdu conscience à cause du stress. Après neuf heures de ce traitement, elle s’est retrouvée pieds et poings entravés, à l’arrière d’un véhicule cellulaire.

« J’étais choquée et je me suis évanouie. Tout ce que je me rappelle, c’est que, lorsque je me suis éveillée, j’étais dans le véhicule qui transporte les prisonniers, et loin de mon frère. »

De son côté, Eyad n’a pu poursuivre son voyage et a été renvoyé à Gaza.  

Extrêmement inquiète de ce qui allait pouvoir se passer, la famille d’Eyad était réticente à l’idée de tenter de demander un autre permis afin de le faire passer de nouveau par Erez.

Il en résulte qu’à 32 ans, il n’a toujours pas subi cette opération chirurgicale. Il reste dépendant des antidouleurs et des tranquillisants qu’il doit prendre chaque jour.

L’an dernier, Israël a arrêté dix personnes qui tentaient de franchir le check-point d’Erez.

Abdel Nasser Ferwana, du ministère des Affaires des prisonniers de l’Autorité palestinienne, a déclaré que l’armée israélienne exploitait le besoin urgent de certains de voyager en vue de recevoir un traitement médical. 

« Les autorités d’occupation israéliennes ont transformé le passage d’Erez en piège »,

a expliqué Ferwana à The Electronic Intifada.

« Ils accordent des permis de voyager aux patients et à leurs accompagnateurs, puis les arrêtent au check-point et portent de fausses accusations à leur encontre. »

Depuis qu’Israël a entamé le blocus de la bande de Gaza en 2007, le nombre de Palestiniens sortant de Gaza par le passage d’Erez a baissé significativement, et la plupart qui le font encore le font en vue d’un traitement médical.

Avec l’apparition de la crise de la Covid-19, début mars 2020, Israël a interdit quasiment tout passage par le check-point d’Erez, excepté pour certains patients dans un état critique et leurs accompagnateurs. En août, cependant, certains hommes d’affaires palestiniens ont eu la possibilité de se remettre à faire le voyage et, le 23 août, deux d’entre eux ont même fait l’objet d’une « arrestation arbitraire », affirme l’organisation des droits humains, Al Mezan.

 

Des conditions désespérantes

Le fait d’avoir été retenue à Erez n’était encore que la première partie de la période de cauchemar qu’allait endurer Samar.  

Dès les premiers mois de son séjour à la prison d’Ashkelon, où elle était enfermée, Samar s’est mise à souffrir de symptômes relatifs à l’hypertension et au diabète. C’est un état de santé pour lequel elle n’a pas d’antécédents familiaux et elle est convaincue que c’est le stress de l’incarcération qui les lui a fait subir.

Elle a également été soumise à des violences physiques. Un jour, les gardiennes sont venues chercher la codétenue de Samar. Terrifiée, la femme a résisté, s’accrochant à Samar, qui a été agressée elle aussi à coups de bâton.  

« Nous étions terrifiées quand les gardiennes israéliennees entraient dans la cellule. Nous leur criions de nous laisser seules, mais l’une d’elles m’a frappée sur la main avec son bâton et a traîné mon amie par les cheveux hors de la cellule »,

déclare Samar.  

Et Samar d’ajouter que cela n’avait pas été l’unique fois où elle avait été agressée physiquement, mais que cela arrivait régulièrement, surtout quand les détenues protestaient pour leurs droits, qui leur sont souvent refusés lorsqu’elles sont emprisonnées en Israël. Parmi ces droits refusés figurent les visites régulières de proches, un meilleur accès aux soins de santé et davantage de produits hygiéniques.

Durant son temps de détention, elle n’a guère reçu de visites de sa famille.  En fait, seule sa mère, Oum Djihad, a bénéficié de droits de visite, et encore, à quatre reprises seulement au cours des 30 mois ou presque que Samar a passés en prison.

Et chaque visite coûtait cher, non seulement pour Oum Djihad, mais aussi pour Samar. Plutôt que de faire venir sa mère à Ashkelon, pas très loin au nord de Gaza, les autorités carcérales israéliennes transféraient Samar au complexe pénitentiaire de Beersheba, bien plus loin, en plein désert du Sinaï.

En tout, le voyage durait trois jours, a expliqué Samar – un jour pour venir, un jour à Beersheba où elle pourrait voir sa mère durant une petite heure à peine, et un jour pour le retour.

La longueur même du transfert l’épuisait. Les véhicules cellulaires ne disposent pas de sièges confortables. Même le chien de garde, faisait-elle remarquer, était plus agréable dans les bus.

 

Un cauchemar qui n’en finit pas

Aux carrefours, elle était harcelée par des passants qu’elle identifiait comme des colons qui l’insultaient chaque fois qu’ils pouvaient l’apercevoir.

« Chaque fois que les colons me voyaient par la fenêtre du bus, ils me criaient les mots les plus crasseux qu’ils avaient appris uniquement dans le but d’insulter les femmes palestiniennes »,

a ajouté Samar.

« J’aurais voulu me boucher les oreilles, mais mes mains étaient menottées. »

En raison de la pandémie de Covid-19, les autorités carcérales israéliennes ont annulé par la même occasion toutes les visites aux détenus. Les prisonniers n’avaient plus que leurs appels téléphoniques pour rester en contact avec leurs familles, et même cela ne leur était pas toujours permis.

« Il n’était vraiment pas facile d’obtenir le moindre de nos droits, en prison. J’ai demandé plusieurs fois à l’administration carcérale de me permettre de donner un coup de fil à ma famille, mais chaque fois, ils ont refusé, de sorte que j’ai décidé de refuser de prendre mes médicaments, histoire de faire de l’agitation en faveur de mes droits »,

a expliqué Samar.

Même après sa libération, ses épreuves n’étaient toujours pas terminées. L’offensive israélienne contre Gaza débuta moins d’un mois après son retour et sa famille, dont la maison est proche de la frontière de Gaza, s’est séparée pour des raisons de sécurité, alors qu’elle venait à peine de s’unir à nouveau.

« La guerre a été une époque exceptionnellement pénible pour moi »,

a expliqué Samar.

« Je ne savais vraiment pas comment surmonter mon expérience de la prison ou celle de la guerre qui me séparait de nouveau de ma famille. »  

Samar est toujours traumatisée. Elle souffre de cauchemars récurrents qui la réveillent et la tiennent éveillée durant une bonne partie de la nuit.

« Chaque matin, ma fille s’éveille en étant terrifiée. Parfois même, elle se met à crier : ‘Elles sont venues pour compter ?’ »,

raconte Oum Djihad.

Samar était régulièrement réveillée, en prison, par les gardiennes qui comptaient leurs nombres de détenues. Son esprit encore assoupi la ramène toujours vers cela, pense sa mère.

« Je la prends simplement dans mes bras et je lui rappelle qu’elle n’est plus en prison », dit Oum Djihad.

OOO

Abdallah al-Naami est journaliste et photographe. Il vit à Gaza.


Publié le 31 aout sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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