Israël cherche à se venger après la Grande Évasion palestinienne
L’évasion est un énorme coup de pouce pour le moral des Palestiniens, puisqu’elle pulvérise une fois de plus l’image de force et d’invincibilité d’Israël face à un peuple occupé qui lutte pour sa liberté.
Tamara Nassar, 8 septembre 2021
Les autorités israéliennes se sentent de plus en plus frustrées, embarrassées et perplexes depuis que six Palestiniens se sont évadés de l’une des prisons les plus fortifiées d’Israël.
Tout en se disant que les hommes pourraient se cacher en Cisjordanie ou qu’ils pourraient avoir traversé la frontière vers la Jordanie, les Palestiniens prient pour leur sécurité et les saluent comme des héros.
Leur évasion est un énorme coup de pouce pour le moral des Palestiniens, puisqu’elle pulvérise une fois de plus l’image de force et d’invincibilité d’Israël face à un peuple occupé qui lutte pour sa liberté.
L’exploit apparemment impossible a engendré des comparaisons avec La grande évasion – le film qui raconte l’histoire épique de prisonniers de guerre alliés qui s’étaient évadés d’un camp de prisonniers de guerre sévèrement gardé par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis la salle de bain de leur cellule à la prison de Gilboa, dans le nord d’Israël, les prisonniers palestiniens avaient creusé un tunnel souterrain d’une vingtaine de mètres dont la sortie se trouvait juste en dehors des murs de la prison, sous un poste de guet.
La majorité des prisonniers avaient été accusés d’implication dans la préparation d’agressions contre des Israéliens et quatre des six hommes purgeaient des condamnations à perpétuité. Deux attendaient leur procès.
Cinq des hommes – Ayham Kamamji, 35 ans, Yacoub Qadri, 49 ans, Munadel Infiat, 26 ans, Muhammad Arda, 39 ans, Mahmoud Arda, 46 ans – sont membres de l’organisation palestinienne de résistance, le Djihad islamique.
Le sixième et le plus connu est Zakaria Zubeidi, 46 ans, un ancien commandant des Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, une milice affiliée au Fatah.
Vraisemblablement, les hommes ont passé des mois à creuser ce tunnel.
Le Shin Bet, l’agence nationale israélienne d’espionnage et de torture ainsi que l’armée et la police ont lancé une chasse à l’homme à grande échelle, installant près de 200 check-points dans toute la Cisjordanie occupée afin de rechercher les fugitifs.
La police israélienne pense qu’il est probable que les hommes se soient scindés en groupes plus petits et que certains pourraient avoir atteint l’un ou l’autre pays voisin. Le Shin Bet présume que l’évasion peut avoir impliqué une coordination à l’extérieur de la prison également.
Selon toute vraisemblance, les hommes se sont évadés lundi vers 1 h 30 du matin.
Des soupçons sont apparus dans les premières heures de l’aube quand un chauffeur de taxi a déclaré qu’il avait vu les hommes à une station-service à proximité de la prison et qu’il avait appelé la police à 1 h 49 du matin. La prison rapporte qu’elle a été mise au courant à 2 h 14 du matin.
Ce n’est qu’à 3 h 29 du matin que les Services carcéraux israéliens (IPS) ont rapporté que trois détenus manquaient à l’appel et il a fallu attendre une autre demi-heure avant qu’il ne soit clairement établi qu’il y en avait trois autres encore.
Il va également falloir examiner ces trous dans le temps, dans le cadre de l’enquête sur les manquements.
Un fonctionnaire des IPS a déclaré qu’il s’agissait d’un « grave échec de la sécurité et des renseignements ».
Il a été dit que plans architecturaux de la prison de Gilboa, de même que ceux d’autres prisons israéliennes, avaient été publiés en ligne par une firme d’architecture impliquée dans la construction – bien qu’on ne voie pas clairement comment les prisonniers auraient pu avoir eu le moindre accès à ces plans.
Des mesures de représailles
Dans son rôle de Goliath blessé, Israël s’est immédiatement lancé dans « une série de mesures collectives et arbitraires de punition et de représailles » contre la masse des prisonniers palestiniens, rapporte l’organisation Addameer pour les droits des prisonniers.
Les autorités carcérales se sont lancées dans le transfert de centaines de prisonniers de Gilboa vers d’autres endroits à des fins d’investigation et d’interrogatoire.
Les autorités carcérales recourent également à toute une panoplie de tactiques de représailles, entre autres en supprimant des repas, en refusant aux prisonniers certains droits qu’ils avaient arrachés via des protestations et des grèves de la faim, en effectuant des raids et des fouilles des cellules et en ventilant dans plusieurs cellules, sections et prisons des prisonniers affilés au Djihad islamique.
Ces raids israéliens qui, à certains moments, sont effectués par des unités spéciales, sont d’une « nature extrêmement violente » et constituent des « punitions collectives, de la torture et des mauvais traitements », a déclaré Addameer.
Mercredi, les prisonniers palestiniens ont décrété un État d’« alerte générale et de rébellion », en riposte aux mesures des représailles appliquées par Israël depuis l’évasion.
Mercredi, les autorités carcérales israéliennes ont considérablement accru leur violence en envoyant dans les prisons des unités spéciales appuyées par des soldats de l’occupation et des chiens.
Des détenus se sont retrouvés pieds et poings liés et certains jetés tels quels hors de leurs cellules pour se faire assaillir. Les médias locaux ont fait circuler des photos montrant des cellules mises littéralement à sac :
https://twitter.com/Palestine_ar/status/1435608834576355330?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1435608834576355330%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fblogs%2Ftamara-nassar%2Fisrael-seeks-revenge-after-palestinian-great-escape
« Si l’escalade se poursuit à cette allure, il va y avoir une véritable guerre dans les prisons et centres de détention »,
a déclaré la commission de l’Autorité palestinienne pour les prisonniers.
En guise de protestation contre les tactiques oppressives d’Israël, des prisonniers ont allumé des feux dans leurs cellules.
Katy Perry, la directrice des IPS, a décidé
« qu’un seul prisonnier du Djihad islamique, pas davantage, serait incarcéré dans n’importe quelle cellule de prison »,
a rapporté le quotidien Haaretz.
Mais le mouvement et ses détenus ont promis une résistance immédiate. Quelque 150 prisonniers affiliés au Djihad islamique ont refusé d’être transférés de force de la prison militaire d’Ofer vers Ramallah.
La force de la riposte a forcé Israël à faire marche arrière. Les responsables israéliens ont annulé la décision, « craignant des troubles massifs », rapporte Haaretz.
« Ils ont tout juste peur d’eux », a expliqué dans le journal un responsable des IPS.
La réaction violente d’Israël « provient de l’échec militaire et de la dégringolade sécuritaire du gouvernement d’occupation », a déclaré la commission de l’AP pour les prisonniers.
Le groupe a ajouté qu’Israël
« travaillait pour dissimuler son échec et sa défaite face à la ferme volonté des prisonniers palestiniens ».
Israël fait également passer sa frustration sur les familles des prisonniers évadés. Les forces d’occupation ont arrêté plusieurs membres des familles de ces mêmes prisonniers évadés.
La résistance
Ces prisonniers qui arrachent leur liberté des griffes de l’occupant, voilà bien la dernière humiliation d’Israël dans une série d’événements salués cette année comme des victoires par les Palestiniens.
Cela a commencé par la dissuasion créée quand les factions armées palestiniennes à Gaza ont résisté au nettoyage ethnique israélien à Jérusalem et à la campagne de bombardements sur Gaza en mai, en passant par l’incident où un Palestinien a tiré sur un sniper israélien par une petite ouverture de la barrière séparant Gaza d’Israël, en août dernier.
Tous les Palestiniens détenus par Israël suite à la résistance à l’occupation violente et au colonialisme d’Israël devraient être considérés comme des prisonniers politiques – même si Israël les dépeint comme des criminels et des « terroristes ».
Le gouvernement britannique considérait lui aussi les gens qu’il emprisonnait au cours de la lutte armée en Irlande du Nord comme des « terroristes » et des criminels, mais a finalement reconnu leur statut politique lorsqu’il a été d’accord de les libérer dans le cadre de l’accord du vendredi saint, en 1998.
La plupart des Palestiniens sont jugés dans les tribunaux militaires palestiniens, alors que les colons israéliens sont soumis aux tribunaux civils – c’est l’un des aspects du système d’apartheid israélien.
Les tribunaux militaires n’ont qu’un très faible quota de procès foncièrement honnêtes et présentent un taux de condamnation de près de 100 pour 100 pour leurs prévenus palestiniens.
De la même façon que l’évasion des hommes de la prison de l’occupant est une forme de résistance, ce l’est aussi, et en tout premier lieu, pour les actions qui envoient des milliers de Palestiniens dans ces prisons.
Publié le 8 septembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine