Un expert de l’ONU l’affirme : Israël pratique l’apartheid contre les Palestiniens

L’expert des droits humains fait remarquer qu’un régime institutionnalisé d’oppression raciale systématique se trouve « au cœur du projet colonial de peuplement israélien » en Palestine.

Juin 2021, Silwan, Jérusalem-Est. Des Palestiniens examinent les décombres d’un magasin détruit par les forces d’occupation israéliennes sous le prétexte qu’il avait été bâti sans permis. Des centaines de Palestiniens du quartier sont confrontés à la déportation du fait qu’Israël cherche à construire un parc archéologique juif sur le site. (Photo : ActiveStills)

Juin 2021, Silwan, Jérusalem-Est. Des Palestiniens examinent les décombres d’un magasin détruit par les forces d’occupation israéliennes sous le prétexte qu’il avait été bâti sans permis. Des centaines de Palestiniens du quartier sont confrontés à la déportation du fait qu’Israël cherche à construire un parc archéologique juif sur le site. (Photo : ActiveStills)

Maureen Clare Murphy, 24 mars 2022

Israël commet le crime d’apartheid à l’encontre des Palestiniens et les États tiers devraient soutenir les efforts en vue de réclamer des comptes à ce propos devant les tribunaux internationaux.

C’est ce qu’affirme le Canadien Michael Lynk, un expert indépendant des droits humains qui travaille pour les Nations unies, dans un nouveau rapport soumis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, cette semaine.

L’an dernier, cette institution avait voté en faveur de l’instauration d’une commission d’enquête permanente sur les violations par Israël des droits palestiniens dans tous les territoires sous son contrôle, y compris à l’intérieur de la ligne d’armistice de 1949 démarquant Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées.

Israël est nerveux du fait que la commission, dirigée par trois experts, et dont on attend la publication du rapport en juin, va le qualifier d’« État d’apartheid », selon un câble adressé au ministère des Affaires étrangères et tombé sous les yeux de la publication d’informations Axios.

Le nouveau rapport périodique de Lynk en tant que rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme de l’ONU succède à une poignée d’études émanant d’organisations des droits humains, israéliennes et internationales, de haut profil qui concluent toutes qu’Israël pratique bel et bien l’apartheid à l’encontre des Palestiniens – intégrant ainsi un aspect de ce que leurs homologues palestiniennes disent de la domination israélienne depuis des décennies.

En reconnaissant l’apparente permanence de l’occupation militaire israélienne, les organisations des droits humains réclament également une approche centrée sur les droits et la responsabilisation plutôt que sur le « processus de paix » moribond vers une solution à deux États telle que prônée par l’ONU et d’autres entités complices de la situation d’injustice prolongée qui sévit en Palestine.

Israël a refusé de coopérer avec la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme et a refusé l’entrée, en les boycottant, de Lynk et des experts qui avaient précédemment assumé le rôle de rapporteurs spéciaux des droits humains en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Une construction en béton

Lynk fait remarquer que « conformément au mandat du rapporteur spécial », son rapport périodique se concentre « sur les pratiques israéliennes en Cisjordanie, dont Jérusalem-Est et Gaza ».

De ce fait, il n’examine pas la politique à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël ou des réfugiés palestiniens en exil mais reconnaît que les organisations palestiniennes, israéliennes et internationales ont conclu qu’il était « impossible d’avoir ‘la démocratie ici et l’apartheid là’ ».

Lynk fait également remarquer que, « de par leur nature, il est requis que les occupations soient construites en bois et non en béton ». Avec la mise en place de 300 colonies réservées aux seuls juifs en Cisjordanie depuis 1967, et d’un mur massif construit en majeure partie sur la terre palestinienne dans le même territoire, l’occupation israélienne a nécessité une énorme quantité de béton.

Dans l’intervalle, à Gaza, au cours des quinze dernières années, les Palestiniens de l’endroit ont été barricadés dans une « prison à ciel ouvert », déclare Lynk, « selon une méthode de contrôle de la population unique dans le monde moderne ».

Les gens de Gaza ont « subi quatre guerres particulièrement dissymétriques contre Israël », pendant ce temps, « avec des pertes énormes en vies civiles et d’immenses destructions de biens ».

Les dirigeants israéliens ont

« proclamé régulièrement et ouvertement que la domination du pays sur les Palestiniens et leur terre était permanente et qu’aucun État palestinien n’émergerait jamais »,

ajoute Lynk.

« L’intention est d’enfermer les Palestiniens dans un ossuaire politique, un musée de reliques du colonialisme du 21e siècle »,

dit encore Lynk.

L’expert des droits humains fait remarquer qu’un régime institutionnalisé d’oppression raciale systématique se trouve « au cœur du projet colonial de peuplement israélien » en Palestine.

Par exemple, les Israéliens qui résident dans les colonies exclusivement juives de Cisjordanie jouissent de droits complets alors que les Palestiniens vivant sur le même territoire sont soumis « au pouvoir et au contrôle de l’armée ».

Pendant ce temps, l’entreprise israélienne de peuplement est « censée planifier démographiquement une souveraineté illégale via l’annexion de territoire ».

Et, parce qu’il est impossible pour une puissance coloniale d’exproprier la terre et les ressources au profit de sa propre population « sans plonger également dans la misère la population autochtone et sans déclencher sa rébellion perpétuelle », Israël a imposé des méthodes de plus en plus brutales de contrôle sur les Palestiniens.

Une définition juridique

Par conséquent, les pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza passent le test de l’applicabilité d’une définition juridique internationale de l’apartheid, déclare Lynk.

Il fait remarquer que seuls la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1973, et le Statut de Rome constituant le fondement de la Cour pénale internationale, instauré 25 ans plus tard, fournissent des définitions juridiques de l’apartheid.

Une définition juridique contemporaine de l’apartheid dérivée de la Convention et du Statut de Rome et en conformité avec les deux stipulerait :

« Il existe un régime institutionnalisé d’oppression raciale systématique et de discrimination, établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre, et qui génère des actes inhumains perpétrés intégralement en tant que partie intégrante du régime. »

Les trois caractéristiques doivent être présentes pour qu’une situation soit perçue comme de l’apartheid, ajoute Lynk. « Des exemples ou modèles de discrimination raciale par eux-mêmes sont insuffisants. »

La construction sociale de l’identité raciale « devrait être considérée comme une question de perception, spécialement aux yeux d’un groupe dominant qui se distingue d’autres groupes », s’appuyant sur des marqueurs sociaux comme « la nationalité, l’ethnicité, la religion, l’ascendance et la descendance », déclare Lynk.

Dans le cas d’Israël et des Palestiniens, le premier a

« déterminé l’octroi et le refus de droits dans le territoire palestinien occupé via une série de lois, de pratiques et de mesures qui définissent qui est juif et qui ne l’est pas (la population non juive étant constituée d’une majorité écrasante de Palestiniens) »,

selon Lynk.

« Dans ce système, les libertés d’un groupe sont inextricablement liées à la soumission d’un autre groupe. »

Le mensonge de la démocratie israélienne

Les organisations palestiniennes des droits humains ont bien accueilli le « rapport séminal » de Lynk – le premier, quoi qu’il en soit, d’un rapporteur spécial de l’ONU qui déclare de façon péremptoire qu’Israël pratique bel et bien l’apartheid.

Il n’est guère surprenant que le gouvernement israélien ait rejeté les conclusions de Lynk.

Meirav Eilon Shahar, représentante permanente d’Israël aux Nations unies à Genève, a accusé l’expert indépendant d’avoir recyclé des « calomnies sans fondement et scandaleuses ».

Et d’ajouter que Lynk cherchait à

« délégitimer et criminaliser l’État d’Israël pour ce qu’il est : l’État-nation du peuple juif, avec des droits égaux pour tous ses citoyens, peu importe leur religion, leur race ou leur sexe ».

Comme le fait toutefois remarquer Lynk dans son rapport, les 5 millions de Palestiniens sous occupation militaire israélienne sont apatrides et « ils vivent sans droits, dans un état aigu de soumission et sans la moindre perspective d’autodétermination ».

Et, quant au million et demi et davantage de Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne, le mensonge de la démocratie a été dissipé par Benjamin Netanyahou, dont les fonctions en tant que Premier ministre ont pris fin l’an dernier après plus d’une décennie :

« Israël n’est pas l’État de tous ses citoyens, mais l’État-nation du peuple juif et de lui seul. »

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 Maureen Clare Murphy est l’une des rédactrices en chef de The Electronic Intifada. Elle vit à Chicago

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Publié le 11 mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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