Pourquoi les dirigeants et les alliés d’Israël paniquent-ils à propos de son avenir ?

La résistance palestinienne gagne en intensité et la solidarité internationale contre les crimes de l’État d’apartheid ne cesse de croître. On ne s’étonnera donc pas de voir la panique régner en Israël et dans les puissances néocoloniales mondiales.

18 mai 2021, Durban, Afrique du Sud. Au cours d’une manifestation condamnant les frappes aériennes d’Israël contre Gaza, des supporters propalestiniens brandissent des affiches sur lesquelles on peut lire « Boycottez l’Israël de l’apartheid ». (Photo : AFP)

 

Joseph Massad, 13 mai 2022

La panique concernant la survie de la colonie européenne de peuplement juif d’Israël s’est emparée des cœurs des puissances néocoloniales européennes, ainsi que des colonies de peuplement blanches.

La sophistication croissante de la résistance armée et non armée palestinienne et libanaise, l’intensification du mouvement de solidarité dans les pays occidentaux, le consensus des organisations occidentales des droits humains concernant la nature d’apartheid d’Israël et la portée de plus en plus grande des médias alternatifs dénonçant les crimes israéliens ont tous été des facteurs importants, quoique à des degrés inégaux, pour provoquer cette panique.

Face à de telles menaces pour la survie d’Israël, le Royaume-Uni, principal architecte de la colonisation juive de peuplement depuis la Première Guerre mondiale, a déclaré cette semaine via le discours de la reine Elizabeth lors de l’ouverture du Parlement qu’il interdirait aux conseils locaux et autres institutions publiques de participer à des campagnes de boycott et de désinvestissement.

En Allemagne, l’État européen le plus antipalestinien (et ce ne sont pas les prétendants au titre qui manquent), l’institut national de diffusion, Deutsche Welle, a récemment purgé au moins sept membres arabes de son personnel qui avaient prétendument critiqué Israël. Dans le même temps, la France a interdit des défilés critiquant les crimes et intrusions d’Israël.

La panique ressentie par ces puissances européennes – et par l’UE elle-même – et par les États-Unis s’est traduite par une poussée vers la criminalisation de toute critique envers Israël, criminalisation qui ne constitue ni plus ni moins qu’un empiètement majeur sur la liberté d’expression de ces pays prétendument « libéraux et démocratiques ».

Les efforts de criminalisation s’appuient sur leur adoption de la définition de l’antisémitisme proposée en 2016 par l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) en tant qu’inclusive dans le « ciblage de l’État d’Israël » ou de sa description comme étant de nature « raciste ».

L’IHRA est une organisation intergouvernementale dont les 34 pays membres sont exclusivement des États européens ou des colonies de peuplement blanc, dont Israël.

Des menaces pour la survie d’Israël

L’ancien général et Premier ministre israélien, Ehud Barak (né « Brog », fils de colons lituaniens), a récemment exprimé son inquiétude de voir Israël, fondé en 1948, ne pas pouvoir atteindre l’âge mûr de 80 ans. Il y a cinq ans, l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou (né Mileikowsky, fils de colons polonais) avait exprimé sa crainte qu’Israël ne pût atteindre un siècle d’existence.

Tant Barak que Netanyahou ont parlé de la disparition de l’ancien État israélien en Palestine, qui existe depuis quelque huit petites décennies, comme base de leurs craintes.

Israël reste la force militaire la plus formidable – au sens propre – du Moyen-Orient. En 1993, il a installé avec succès un régime quisling palestinien pour l’aider à écraser les Palestiniens qui résistent aux colons et il a soumis la plupart des pays voisins en concluant des accords de « paix » avec eux. Il a également gagné la reconnaissance par les Américains de son occupation et colonisation illégales de Jérusalem et des hauteurs du Golan. Dans ce cas, pourquoi cette préoccupation à propos de sa future survie ?

Se pourrait-il que la résistance palestinienne et libanaise, avec l’intensification de ses armements et une certaine sophistication militaire, menace cette survie ?

Ce n’est toutefois pas cette résistance, voudraient nous faire croire Barak et Netanyahou, qui définira le sort d’Israël au cours des six ou vingt-six ans à venir.

Barak exprimait sa crainte de voir « la malédiction de la huitième décennie frapper » l’actuel Israël. Le fait que cet Israël moderne a été nommé d’après son ancien homonyme est l’une des raisons pour lesquelles on a établi un parallèle entre le sort de l’ancien État et celui de l’actuelle colonie de peuplement.

Alors que le débat concernant le nom à donner à l’État avait précédé la Résolution de partition émise par les Nations unies en novembre 1947, aucune décision n’avait été prise en dépit des nombreuses propositions, parmi lesquelles Judée, Sion, Jeshurun et Eber. Le nom « État d’Israël » fut accepté en avril 1948 et adopté officiellement le 12 mai de la même année par un comité qui comprenait David Remez (un Biélorusse qui s’était rendu en Palestine en 1913, à l’âge de 27 ans).

On dit que le choix du nom de l’État a d’abord été proposé par l’Ukrainien Aharon Schimchelevitz, plus tard, « Reuveni » (1886-1972), frère de Yitzhak Ben Zvi (le deuxième président d’Israël), venu en Palestine en 1910.

Le fait d’appeler le pays « l’État d’Israël » (ou « Medinat Yisrael », en hébreu), un nom dans lequel « Israël » (le nom accordé au Jacob de la Bible après qu’il avait lutté avec l’ange de Dieu) fait allusion au peuple juif, considéré comme la descendance de Jacob, était un choix délibéré.

L’histoire ancienne

Les monnayeurs refusèrent de l’appeler « la Terre d’Israël » (Eretz Yisrael), puisqu’il y aurait confusion du fait que l’État, dans ce cas, allait être établi uniquement sur une partie de ce qu’on appelait la « Terre d’Israël ». Le nom de l’État faciliterait le ternissement par les sionistes, au cours des années à venir, de toute personne qui s’opposerait à « l’État du peuple juif », en la taxant d’antisémitisme.

Ce qui laisse le plus perplexe, c’est que, dans l’esprit des dirigeants israéliens, c’est le nom même de l’État qui va sceller son sort dans un proche avenir.

Il convient de remarquer que ni Barak ni Netanyahou ne pensent que ce que l’Israël moderne a fait depuis 1948 est ce qui va sceller son sort dans un proche avenir, ni que la résistance palestinienne et libanaise est ce qui met Israël en danger, mais que c’est plutôt le parallèle fantastique qu’ils tirent avec l’histoire ancienne qui pourrait signifier la fin de la colonie de peuplement.

Israël continuera également de réprimer toutes formes de résistance palestinienne. Il continuera de justifier tous ses crimes coloniaux en faisant appel à l’Holocauste comme justification et il continuera de cataloguer comme antisémites et diffamer tous ceux qui critiqueront ses déprédations.

De sombres prédictions

Israël continuera d’intensifier le sponsoring impérial américain afin de créer des alliances régionales, de commettre des agressions contre ses voisins, dont le Liban et la Syrie ainsi que le plus lointain Iran, et il continuera de prétendre que son agression prédatrice n’est rien de plus que la manifestation de son « droit à se défendre ».

Mais la résistance palestinienne et libanaise est bien décidée à poursuivre ses efforts en vue de bloquer l’agression coloniale d’Israël et elle gagnera probablement en force et sera sans doute mieux équipée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Si tout ceci doit sceller le sort de l’avenir d’Israël – et il y a de bonnes raisons de croire que ce pourrait et devrait être le cas – cela ne se fera pas en adoptant certains types de crimes nouveaux et récents pour mettre un terme à cet horrible chapitre colonial de l’histoire des Palestiniens et des autres Arabes.

Sa fin viendra plutôt de la persistance et de la poursuite de pratiques coloniales exactement pareilles à celles qu’Israël a instituées depuis 1948 et que l’idéologie sioniste a appelées depuis la fin du 19e siècle, ainsi que de la résistance palestinienne et libanaise qu’elles ont encouragée au fil des décennies. Il est bien plus certain que la raison de la chute d’Israël n’ira pas jusqu’à l’une ou l’autre répétition ni ne sera basée sur le choix de son nom ou sur quelque autre absurdité.

Bien sûr, ces sombres prédictions israéliennes constituent également une démarche cynique de la part de Barak et de Netanyahou, puisqu’elles ont été élaborées afin de faire naître la panique parmi les colons juifs d’Israël et d’étouffer toute opposition locale, aussi faiblarde soit-elle, en n’importe quel endroit du pays, alignant de la sorte les colons juifs derrière leur État.

Les prédictions ont également été élaborées pour instiller la panique parmi les supporters et alliés d’Israël en Europe et dans les colonies de peuplement blanches, de sorte qu’elles fournissent plus de soutien et de couverture sur le plan financier, militaire et diplomatique. L’adoption par ces pays de la définition de l’IHRA fait partie de cette stratégie.

Une panique réelle

La crainte d’une dénonciation internationale continuelle des crimes d’Israël, toutefois, a provoqué une panique réelle au sein de la direction israélienne.

Cela a mené cette semaine à l’assassinat (ou, plus exactement, à l’exécution) de la très éminente journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh (que j’ai eu le privilège de rencontrer un jour, en 2002, au domicile d’Edward Saïd), la correspondante la plus compétente et la plus brillante d’Al Jazeera en Palestine, alors qu’elle couvrait l’un des nombreux raids criminels d’Israël dans le camp de réfugiés de Jénine.

La réponse des puissances coloniales européennes et des EU a constitué, comme toujours, à faire cercle avec les chariots, dans le plus pur style boer. Les EU ont exprimé leur « tristesse » ; l’UE, de son côté, n’a pas semblé particulièrement « triste ». Tous deux ont montré une réticence à adresser un blâme à ces Israéliens assassins.

Le fait que Shireen Abu Akleh était une ressortissante américaine est autant une inquiétude que ne l’était le Palestino-Américain âgé décédé après avoir été tabassé par des soldats israéliens, en janvier dernier.

Le problème ne concerne pas simplement l’hypocrisie des réactions américaines et européennes à la situation en Ukraine comparées à leurs réactions aux crimes coloniaux en Palestine, mais il concerne aussi les engagements permanents dans la préservation de la colonie juive de peuplement en vue d’un futur prévisible.

C’est un futur que la résistance palestinienne et libanaise, ainsi que la solidarité internationale, continuent à mettre en danger et à compromettre. Au vu de ces dangers réels et imaginés, l’optimisation israélienne et occidentale des efforts destinés à sauvegarder l’avenir colonial d’Israël reste une priorité.

En ce 74e anniversaire de la Nakba, les prévisions de fin future pour Israël peuvent ne pas être trop exagérées, bien que l’engagement futile de l’Europe et des EU afin d’empêcher une telle éventualité le soit certainement, lui, exagéré.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 13 mai 2022 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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