« Nous avons combattu l’algorithme et nous avons vaincu »

Mohammed El-Kurd : « Les Palestiniens ont découvert des façons créatives de contourner les restrictions étouffantes et la censure. Nous avons combattu l’algorithme et avons vaincu, en modifiant l’opinion publique. »

 

Meta et Twitter ont été accusés de censurer des voix palestiniennes. (Photo : alexskopje / Newscom)

Meta et Twitter ont été accusés de censurer des voix palestiniennes. (Photo : alexskopje / Newscom)

Omar Zahzah, 28 septembre 2022

Légende photo : Meta et Twitter ont été accusés de censurer des voix palestiniennes. (Photo : alexskopje / Newscom)

Le mastodonte des médias sociaux, Meta Platforms, cite « Donnez la parole aux gens » comme l’un des principes de son site internet.

« Les gens méritent d’être entendus et d’avoir une voix – même lorsque cela signifie défendre le droit de personnes avec qui nous ne sommes pas d’accord. »

Il semble toutefois que les employés de Meta auraient dû ajouter « écriture de fiction » à leur description d’emploi. Bon nombre d’articles récents accablants, qui dénoncent des expériences manifestement injustes de censure, ont révélé que l’entreprise était plus soucieuse de réduire des voix au silence – surtout des voix palestiniennes.

Le 22 septembre, le Washington Post publiait un rapport explosif sur la conclusion d’un audit extérieur effectué par la firme de consultance Business for Social Responsibility (BSR).

L’audit a découvert que Meta

« avait refusé à des utilisateurs palestiniens leur liberté d’expression en éloignant erronément leur contenu et en punissant les utilisateurs arabophones plus lourdement que ceux qui parlaient hébreu »,

lors de l’offensive israélienne de mai 2021 contre Gaza.

Comme le détaille l’article, le rapport de BSR a estimé que l’utilisation de l’arabe sur les plates-formes de Meta avait une fréquence élevée de fausse association avec le « terrorisme ».

Meta n’avait également utilisé des mécanismes de détection de « discours haineux » qu’en arabe, mais pas en hébreu.

Toutefois, comme le détaille aussi l’article, le rapport de BSR s’est arrêté avant de traiter la conduite de Meta d’intentionnelle, une décision qui a été contestée par l’organisation de défense d’intérêts 7amleh, citée dans l’article :

« Nous croyons que, malgré nos rapports et discussions autour de tels partis-pris, la censure poursuivie depuis des années à l’encontre des voix [palestiniennes] confirme qu’il s’agit d’une censure délibérée, à moins que Meta ne s’engage à y mettre un terme. »

En effet, un reportage récent de The Intercept suggère que Meta est tout à fait partisan de restreindre intentionnellement un contenu politique en s’appuyant sur l’identité de ses utilisateurs.

The Intercept a découvert une corrélation entre la répression en ligne de messages propalestiniens et les tout derniers bombardements israéliens de la bande de Gaza en août 2022. Il a également découvert cette révélation accablante selon laquelle Meta a itérativement demandé à ses modérateurs de contenu de ne pas détruire les messages sur l’Ukraine

« permettant spécifiquement à leurs images graphiques de civils tués par l’armée russe de rester présentes sur Instagram et sur Facebook »,

alors qu’il s’abstient d’appliquer une politique semblable aux messages concernant les victimes palestiniennes de l’agression sioniste.

 

Deux poids, deux mesures

Le poète et journaliste palestinien Mohammed El-Kurd parlait de ses expériences récentes à propos de la censure sur les plates-formes de Meta :

« Comme toute personne qui s’exprime et écrit sur la Palestine – et pas uniquement les Palestiniens – le contenu que j’ai partagé a souvent été censuré, bloqué ou complètement supprimé de mes comptes sur les médias sociaux »,

a expliqué El-Kurd à The Electronic Intifada.

« Nombre des abus israéliens que j’ai partagés et toutes les choses vaguement palestiniennes étaient cataloguées comme ‘sensibles’ ou ‘néfastes’. Nous avons vu Facebook censurer de façon répétée des contenus à la demande de divers gouvernements répressifs, de sorte, naturellement, que l’on conclut que les entreprises de médias sociaux réduisent au silence les voix palestiniennes à la demande du régime israélien. »

J’ai demandé à El-Kurd de préciser quels calculs, selon lui, avaient déclenché cette vague récente de censure technique qui semble se concentrer si étroitement autour du bombardement de Gaza par Israël.

« Le régime israélien ne veut pas une répétition de mai 2021. L’an dernier, au moment du ‘soulèvement de l’Unité’, bien des gens ont crédité les réseaux de médias sociaux d’être la principale raison pour laquelle le mouvement est devenu mondial »,

a déclaré El-Kurd.

Mais, a-t-il prétendu ensuite, la mobilisation mondiale pour la Palestine s’est réalisée

« en dépit des sociétés de médias ».

« Les Palestiniens ont découvert des façons créatives de contourner les restrictions étouffantes et la censure. Nous avons combattu l’algorithme et avons vaincu, en modifiant l’opinion publique. »

En tant que telles, a poursuivi El-Kurd, les sociétés de médias sociaux affûtent très vraisemblablement leur appareil de censure, innovent de nouveaux moyens de sévir contre les individus qui utilisent les médias sociaux pour critiquer la violence de l’État colonial sioniste et pour soutenir la lutte de libération des Palestiniens.

El-Kurd a probablement raison. Écrivant depuis Gaza, la journaliste palestinienne Hind Khoudary rapportait des accusations locales disant que Meta s’engageait dans un « massacre digital » après que la compagnie avait censuré des dizaines de journalistes et d’activistes postant sur l’assassinat des combattants palestiniens de la résistance comme Ibrahim al-Nabulsi, Islam Suboh et Hussain Jamal Taha le 9 août.

Khoudary écrivait que tout contenu faisant allusion à al-Nabulsi, Suboh et Taha était bloqué. Elle citait un rapport qui avait découvert que, 24 heures après l’assassinat d’al-Nabulsi, au moins 75 comptes de journalistes et d’activistes avaient été restreints ou supprimés sur les plates-formes de médias sociaux, dont Facebook, Instagram, TikTok et Twitter.

La blogueuse palestinienne Rima Najjar a été bombardée de nombreuses restrictions de la part de Facebook pour de multiples messages sur les attaques sionistes du mois dernier contre Gaza, Jénine et Naplouse. Najjar a introduit un appel auprès du Comité de contrôle de Meta et a publié une version mise à jour de cet appel dans CounterCurrents.


Plus que Meta

Ce que montrent clairement l’appel de Najjar et le rapport de The Intercept, c’est que Meta a la capacité de faire des distinctions politiques et de reconnaître la légitimité éthique de la résistance armée – et qu’il opère activement un choix qui n’est pas celui de la lutte palestinienne.

Mais la censure digitale de la Palestine s’étend bien au-delà de Meta. Haya AbuShaban, une Palestinienne vivant à Gaza et utilisatrice des médias sociaux, a raconté à The Electronic Intifada qu’au cours de l’offensive de mai 2021, Twitter avait temporairement bloqué son compte ainsi que ceux de plusieurs autres de ses associées palestiniennes.

« Twitter était la plate-forme d’information la plus fiable, puisque nous pouvions deviner ce qui se passait. Habituellement, les informations prennent du temps, nous pouvions entendre la bombe et il nous fallait attendre 10 minutes pour découvrir où cela s’était passé et qui était mort. Twitter commençait seulement à bloquer nos comptes et nous ne les récupérions qu’une fois la guerre terminée. »

Le 6 août, opérant selon un modus operandi similaire, Twitter bloqua le compte du journaliste, écrivain et rédacteur en chef de Palestine Chronicle, Ramzy Baroud, après qu’il avait tweeté une information en provenance de Palestine Chronicle à propos du raid qui s’était traduit par la mort d’al-Nabulsi, Suboh et Taha. Le vague message informant Baroud de la décision disait seulement qu’il avait « violé les règles de Twitter ».

Dans ce qu’elle m’a décrit comme « une décision atroce », le 10 août, l’activiste Sarah Wilkinson a elle aussi eu son compte sur Twitter suspendu pendant 12 heures, pour avoir traité de « génocidaire » le massacre par les Israéliens de 47 adultes et 16 enfants en deux jours de bombardements à Gaza ce mois-là.

« Ainsi donc, maintenant, nous avons un autre mot dont nous ne pouvons affubler le régime israélien »,

a déclaré à The Electronic Intifada,

« bien que, par exemple, ce ‘génocide incrémentiel’ soit exactement ce que disent ces deux mots. »

De plus, vers le 6 septembre, Twitter semble aussi avoir interdit pour de bon le compte de Stanley Cohen, activiste et avocat. Dans une interview pour The Electronic Intifada, Cohen a déclaré avoir l’impression que son compte sur le média social était bien davantage qu’un énoncé de ses opinions personnelles – il s’agit en fait de promouvoir ouvertement le soutien à une libération collective.

« J’ai reçu près d’un demi-million de messages et je sens que n’est important, parce qu’il y a un tas d’hommes et de femmes un peu partout qui ont l’impression d’être seuls, qui sentent qu’on ne les écoute pas et qu’ils ne peuvent gagner le combat »,

a déclaré Cohen.

« Mais, en dehors de la poignée de sionistes qui m’ont bloqué (…) personne d’autre ne m’a poursuivi. Personne d’autre ne m’a contesté. »

 

Le franchissement du Rubicon

Twitter, semble-t-il, a décidé de tenter ce qu’aucun compte sioniste n’a jusqu’à présent été à même d’accomplir avec succès : Cohen prétend que, la semaine du 6 septembre, il a utilisé Quote Tweet pour citer un tweet de propagande qui applaudissait à  « le sionisme et Israël expriment ce qu’il y a de plus beau dans la tradition juive d’amour et d’humanité » et juxtaposait cette phrase à « Mort aux Arabes », le slogan que les colons sionistes fascistes scandent fièrement dans les rues quand ils agressent les Palestiniens.

La juxtaposition était manifestement destinée à être satirique et à refléter la fausseté flagrante du tweet qu’il critiquait, étant donné la popularité de l’expression génocidaire auprès des colons violents. Mais ce que Cohen décrit comme le caractère habituellement évasif des réponses de Twitter à ses multiples questions suggère que la plate-forme va soit garder son compte interdit définitivement soit, comme il le soupçonne, le restaurer, mais en ayant supprimé tous ses followers.

L’hostilité de Twitter envers les comptes de gauche n’a rien de neuf. Mais la personnalité de certaines des personnes qui ont été soumises à l’interdiction et à la suspension suggère une escalade et une audace croissantes dans la censure d’individus dévoués envers la lutte palestinienne – une lutte qui semble gagner du terrain parmi les plates-formes des médias sociaux.

Nadim Nashif, de 7amleh, l’organisation de défense des droits digitaux, a expliqué à The Electronic Intifada que, depuis 2015, « il y a une guerre en cours » autour du narratif palestinien dans les plates-formes des médias sociaux. L’Israeli Cyber Unit (Unité cybernétique israélienne), dit-il, surveille les médias sociaux palestiniens et soumet à des pressions les sociétés de médias sociaux pour qu’elles écartent tout ce contre quoi elle a des objections. Les ONG israéliennes rapportent en masse les contenus propalestiniens, concrétisant ainsi les requêtes de censure émanant du gouvernement.

Les compagnies de médias sociaux, a déclaré Nashif, acceptent des listes que leur fournissent le département d’État américain et le gouvernement israélien, qui accusent sans fondement divers Palestiniens, partis, factions et ONG d’être des « terroristes » ou des « organisations terroristes ».

Nous avons franchi le Rubicon : les compagnies de médias sociaux ne peuvent plus prétendre appliquer des réglementations standardisées à tous leurs utilisateurs de façon égale. Les entreprises Big Tech se sont solidement retranchées en tant que censeurs politiquement avisés du côté de la colonisation sioniste et contre la libération palestinienne.

Comme l’a puissamment exprimé El-Kurd à propos des événements de 2021, le futur du retour et de la libération des Palestiniens va par conséquent nécessiter un processus similaire de « combat » contre les algorithmes de ces entreprises coloniales pour lesquelles la libération anticoloniale constitue une violation des normes communautaires.

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Omar Zahzah est le coordinateur, sur les plans de l’éducation et du soutien, d’Eyewitness Palestine, et il est également membre du Mouvement de la jeunesse palestinienne et de la Campagne pour le boycott académique et culturel d’Israël.

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Publié le 28 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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