“Lumière à Gaza : Écrits nés du feu”

« Light in Gaza : Writings born of Fire » (Lumière à Gaza : Écrits nés du feu) est un don plein d’espoir en provenance de Gaza et nous rappelle que, malgré toute sa puissance, Israël n’a pas vaincu la volonté palestinienne de s’élever et ne le fera jamais.

 

21 novembre 2012. Les Palestiniens célèbrent la fin des huit jours d’agression des forces israéliennes contre Gaza. (Photo : Majdi Fathi / APA Images)

21 novembre 2012. Les Palestiniens célèbrent la fin des huit jours d’agression des forces israéliennes contre Gaza. (Photo : Majdi Fathi / APA Images)

 

Nada Elia, 26 décembre 2022

La bande de Gaza peut revendiquer quelques records du monde parmi les moins enviables qui soient : le siège le plus long de l’histoire contemporaine, la plus grande prison à ciel ouvert, l’une des régions les plus densément peuplées de la planète et aux infrastructures les moins adéquates, le taux de chômage le plus élevé au monde, et d’autres encore.

Pour ceux qui s’en inquiètent, l’injustice grossière de cette crise humanitaire concoctée par Israël est la première chose qui vient à l’esprit quand nous pensons à cette étroite bande de terre tourmentée – un pour cent à peine de la Palestine historique, avec deux millions d’habitants dont la majorité sont des réfugiés venus du reste du pays.

Pourtant, comme peuvent s’en porter garants tous ceux qui sont à l’écoute de la résistance palestinienne, Gaza est infiniment bien plus que les mesures génocidaires et les agressions répétitives qu’Israël lui impose. En effet, l’enclave a produit – et continue de le faire – un art qui s’expose au niveau international, des innovations créatives en ingénierie ainsi qu’une poésie souvent récompensée par des prix.

La couverture du livre "Lumière à Gaza"

La couverture du livre “Lumière à Gaza”

 

 

Ceci, parce qu’au-delà de la survie, au-delà du sumud, il y a l’impulsion de vivre dans la dignité, une impulsion si profondément enracinée dans notre psyché qu’aucune répression, aussi sévère soit-elle, ne peut l’étouffer.

Le romancier Ibrahim Nasrallah l’a très bien expliqué en disant que les Palestiniens « ne vivent pas sous l’occupation, mais par-dessus l’occupation ».

Et cette montée au-dessus de la misère, la destruction, la mort et le déchirement illumine clairement les contributions de Light in Gaza : Writings Born of Fire (Lumière à Gaza : Écrits nés du feu), un recueil plus que convaincant de poèmes et de textes en prose d’écrivains palestiniens fixés avant tout à Gaza ou qui écrivent sur Gaza.

Les éditeurs, Jehad Abusalim, Jennifer Bing et Mike Merryman-Lotze, de l’American Friends Service Committee (Comité américain de service aux amis), ont rassemblé ces textes dans l’espoir que le recueil allait « rompre le blocus intellectuel » imposé à la région.

Ce qu’ils proposent, seize narrations à la première personne par des rêveurs de Gaza, des enseignants, des ingénieurs, des poètes et même des jardiniers, y arrive magnifiquement en nous donnant une occasion unique d’entendre la peine, la frustration et la colère de ces auteurs mais aussi, par-dessus tout, leur refus de la défaite.

Débordant littéralement de passages poignants, voire déchirants, le recueil constitue un don plein d’espoir en provenance de Gaza et nous rappelle que, malgré toute sa puissance, Israël n’a pas vaincu et ne vaincra jamais la volonté des Palestiniens de s’élever et leur détermination à créer une nouvelle société où chacun pourra s’épanouir.

Il y a tant de beaux passages dans ce recueil que, même si j’aime généralement de tenir mes livres dans un état parfait, j’ai souligné des pages entières de ce volume. J’ai aimé « Ce sur quoi nous tenons toujours nos téléphones branchés et que nous continuons à enregistrer », d’Asmaa Abou Mezied, dans lequel elle explique que

« Nous tenons nos téléphones branchés et laissons la caméra fonctionner, enregistrer nos larmes, nos cris quand nous perdons nos pères, nos mères, nos sœurs, nos frères et nos enfants, notre angoisse, nos tentatives de nous encourir pour nos vies, nos peurs paralysantes, notre impuissance à calmer nos enfants quand nos maisons sont ébranlées par le bruit assourdissant de la mort administrée par les missiles des F-35 que nous envoie avec amour le gouvernement américain. Nous devons enregistrer nos prières pour survivre, la joie de nos enfants quand ils retrouvent leurs jouets intacts et leurs petits animaux vivants. Nous enregistrons notre force et notre vulnérabilité, notre déception vis-à-vis de nos dirigeants et notre rage contre le silence du monde. Nous enregistrons la fumée, le sang, les foyers perdus, les oliviers détruits, les jeunesses volées. Nous enregistrons à quel point nous avons vieilli et combien nous aimons la vie, même si la vie ne nous aime pas en retour. »

Asmaa Abou Mezied, qui est originaire d’une famille bédouine de Gaza et non une réfugiée venue dans la région depuis le début de la Nakba, propose un autre texte dans ce volume, dans lequel elle parle de l’importance de l’agriculture, « et pas seulement comme source de revenu ». L’agriculture « est une identité », écrit-elle,

« un rituel de cohésion sociale et une affirmation politique, pour les Palestiniens. Je ne puis donc imaginer un avenir sans que l’on comprenne les liens entre le savoir et la pratique, l’histoire et l’héritage indigènes, et la façon dont l’agriculture modèle notre identité et notre rôle dans la protection de la terre ».

Un autre contributeur, Salem Al-Qudwa, est un architecte voué à la création de logements durables répondant aux besoins des familles palestiniennes de Gaza, plutôt que de s’adapter à un modèle élaboré par les institutions d’aide internationales qui

« ne créent pas le genre de maison et d’espace que cherchent les résidents déportés de Gaza et qui sont souvent étrangers à la façon dont ils veulent vivre ».

En se débrouillant avec les défis que sont la rareté du terrain et la pénurie sévère des matériaux de construction en raison du blocus, Salem Al-Qudwa travaille avec des familles à revenu faible afin de retaper et améliorer leurs maisons démolies, accordant une attention minutieuse aux besoins de toutes les personnes concernées. En sa qualité de membre du Projet de réhabilitation des maisons endommagées, il écrit :

« La présomption de fonctionnement du projet était que les hommes soient les responsables de leurs ménages et qu’ils prennent les décisions clés, sans tenir compte que ce sont les femmes qui gèrent les affaires domestiques jour après jour ; partant, peu de femmes étaient en mesure de discuter de leurs besoins au cours des visites des maisons. Malgré cela, je me suis concentré sur l’écoute des familles et j’ai voulu m’assurer que leurs préoccupations et leurs idées donnent directement forme au design. J’ai cherché activement à engager tous les membres des familles, dans ce processus de création et de conception de leurs maisons. »

Il s’est également assuré que les communautés impactées puissent agir d’elles-mêmes, au cours du processus de reconstruction, plutôt que de rester dépendantes des experts des agences d’aide. Il écrit :

« Vu le blocus de la bande de Gaza, un avantage, même s’il n’a été que temporaire, a été la création d’emplois pour les travailleurs au chômage. En outre, chaque entrepreneur était tenu d’employer et de former de jeunes ouvriers de la construction. Il était important que la formation ait lieu typiquement autour du travail même et sur des sites de construction réels, au contraire de ce qui avait été entrepris dans le passé, dans les centres officiels de formation professionnelle très éloignés en fait des communautés locales. »

Une fois le projet réalisé,

« c’était un grand moment de joie pour les ménages, du fait qu’ils avaient le sentiment, pour la première fois, que quelqu’un prenait soin d’eux. »

Dans « La lumière du peuple dans l’obscurité de Gaza », Suhail Taha médite sur la place de l’électricité dans la pyramide de Maslow des besoins humains et il explique que

« l’obscurité à Gaza va bien au-delà de l’absence de lumière. Quand l’électricité tombe en panne, les Gazaouis sont submergés par un état de crainte débilitante, accompagné d’une attente perpétuelle et d’une anxiété profondément ancrée en eux ».

Néanmoins, des centaines de milliers d’enfants à Gaza n’ont jamais connu une seule journée sans coupures de courant. Ces enfants ont grandi en s’attendant à ce que l’électricité soit quelque chose dont ils disposent quatre heures par jour. De ce fait, une leçon que Gaza peut enseigner au monde est que « vous ne devez pas attendre que l’électricité fasse les choses pour vous ».

Dans « Laissez-moi rêver », Israa Mohammed Jamal explique qu’elle espère avoir sa propre ONG,

« qui aidera d’autres femmes à s’améliorer, facilitera l’émancipation des femmes en Palestine et établira une coopération avec les institutions internationales ».

Et, dans son très personnel « Dans la brume de cinquante et un jours », Dorgham Abusalim raconte sa visite traumatisante à Gaza durant l’été 2014, où il avait débarqué peu après l’offensive israélienne. Il commente la culture étouffante du patriarcat, le caractère toxique de la masculinité ainsi que l’homophobie, qui rendent la vie dans l’enclave assiégée plus dure encore, suggérant par conséquent qu’une existence dans la dignité nécessite également l’acceptation de la culture d’autrui.

Dans « Gaza 2050 : Trois scénarios », Basman Aldirawy critique amèrement les nombreuses « solutions » proposées qui continueront de garantir les intérêts d’Israël aux dépens du peuple palestinien. « Les Palestiniens n’ont pas simplement besoin d’une solution », écrit Basman Aldirawy.

« Ce dont ils ont besoin, c’est d’une solution honnête, avec des droits complets, des droits humains complets. »

Pour terminer, le poète et bibliothécaire Mosab Abou Toha fait remarquer que

« nous restons invisibles et anonymes sauf pour la violence et la dévastation qui nous sont infligées. Pourtant, il y a une autre facette – en fait, de multiples facettes – à ce que nous sommes, la façon dont nous vivons et ce à quoi nous aspirons n’est perçu ni dans les médias ni dans les représentations populaires mais est bien plus caractéristique : une vie culturelle vibrante, qui soit présente et persistante, qui s’adresse au pouvoir et à la capacité d’agir à Gaza. Et je dois ajouter un autre fait qui reste inconnu, et même bien caché : le lien entre le passé de Gaza en tant que centre historique de la vie culturelle palestinienne et son présent, dans lequel la culture – l’enseignement, l’art, la musique, la littérature, le théâtre – est liée à notre héritage, lequel continue à lui donner forme. »

Abou Toha a été contraint de lancer une bibliothèque à Gaza en raison des bombardements par Israël en 2014 de son université, après quoi il s’était retrouvé en train de déambuler dans les décombres et de se lamenter de la destruction des livres qu’il avait tant chéris et qui lui avaient apporté un aperçu du monde allant bien au-delà de l’enclave assiégée. Il avait lancé une collecte de fonds qui lui avait permis d’ouvrir tout d’abord une bibliothèque, puis une deuxième, où les enfants pouvaient non seulement emprunter des livres, mais également s’amuser à des activités culturelles. Sa réponse à la destruction d’une bibliothèque ainsi que l’espace d’accueil qu’il a créé depuis pour les enfants, les artistes et les écrivains en devenir sont un témoignage de la volonté indomptable des opprimés que l’on ne peut contraindre à une vie se confinant à la seule subsistance, sans joie et sans livres.

Finalement, ce que nous dit Light in Gaza, Lumière à Gaza, c’est que si les Palestiniens de Gaza n’ont pas renoncé, nous-mêmes n’avons certainement aucune excuse à rester inactifs.

Entre s’engager dans des discussions malaisées avec des camarades mal informés, promouvoir BDS, changer notre propre société, exiger qu’Israël rende des comptes, il y a beaucoup à faire pour chacun et chacune d’entre nous.

Comme le demande un autre contributeur, Refaat Alareer :

« Lecteur, en lisant attentivement ces chapitres, que peux-tu ou veux-tu faire, en sachant que ce que tu feras peut sauver des vies et modifier le cours de l’histoire ? Lecteur, veux-tu rendre cela réellement possible ? »

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Nada Elia 

 

Nada Elia est une intellectuelle activiste palestinienne, auteure et organisatrice de mouvements citoyens. Elle termine actuellement un ouvrage sur l’activisme de la Diaspora palestinienne.
Nada Elia est également membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.

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Publié le 26 décembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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