S’opposer à la définition de l’IHRA et à son offensive contre la solidarité propalestinienne

« La crainte fonctionne si vous cédez », écrit Ilan Pappé de la tentative d’Israël en vue de museler la solidarité en recourant à la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA ou AIMH), un document qui prétend qu’il est antisémite de taxer de racisme Israël ou son mouvement sioniste fondateur.

 

Londres. Protestations contre la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). (Photo : capture vidéo)

Londres. Protestations contre la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). (Photo : capture vidéo)

 

Benay Blend, 20 décembre 2022

« Il est intellectuellement incorrect et absurde moralement d’associer l’antisionisme à une définition de l’antisémitisme », poursuit Ilan Pappé.

« C’est comme prétendre que critiquer l’Afrique du Sud de l’apartheid à son époque était une position antichrétienne. »

Écrits voici six ans, les mots d’Ilan Pappé n’ont rien perdu de leur pertinence. La peur de perdre son emploi, de perdre son prestige académique, de perdre ses amis et sa famille – si elles sont acceptées, toutes ces préoccupations, quoique justifiables, permettent aux sionistes d’établir les règles. Encadrés, piégés par un mauvais scénario dans lequel ils jouent un rôle sans le vouloir, les activistes de la solidarité deviennent un élément d’un jeu qui ne débouchera jamais sur un changement.

Il est vrai qu’il y a eu une montée de l’antisémitisme, due en partie à un accroissement concomitant des mouvements fascistes à l’échelle mondiale.

Connus aux États-Unis sous l’étiquette de fascisme chrétien, des groupes similaires en Hongrie, Pologne, Suède, Italie, Bulgarie, France et Tchéquie, écrit Chris Hedges,

« punissent les gens qui sont blâmés et traités en boucs émissaires pour leur misère »,

afin de reconquérir le contrôle des vies perdues au profit du néolibéralisme et de la guerre permanente.

Du fait que les juifs ne sont pas les seuls groupes ciblés par ces mouvements, il est très concevable que les campagnes contre la définition de l’IHRA montrent clairement que la lutte s’attaque à toutes les formes de racisme. De la sorte, d’autres organisations sont intégrées à la lutte, ce qui rend impossible pour les sionistes de concrétiser leurs efforts en vue de diviser pour régner.

Cette démarche s’en prend également à ce qui constitue le cœur même de la définition de l’IHRA :

« Plutôt que s’adresser aux principales sources de l’antisémitisme actuel (avant tout, l’extrême droite occidentale) »,

explique Samidoun, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens,

« sept des onze exemples associés à la définition mentionnent Israël. Par conséquent, il serait antisémite de ‘refuser au peuple juif son droit à l’autodétermination, par exemple, en prétendant que l’existence d’un État d’Israël constitue une entreprise raciste’ ».

Dans son article sur la tentative de la droite de réduire au silence la critique à l’égard d’Israël, Ilan Pappé énumère toutes les façons dont le sionisme équivaut à du racisme, à commencer par les fondements violents de la nation, toujours présents en 2016, c’est-à-dire à l’époque de la rédaction de cet article.

« L’oppression des Palestiniens est la résultante d’une idéologie »,

conclut-il,

« et non la politique de tel ou tel gouvernement. »

En dehors du fait que c’est incorrect, lier l’antisionisme à l’antisémitisme crée plusieurs problèmes supplémentaires. Par exemple, cela associe le sionisme et le judaïsme, une connexion que de nombreux membres du mouvement de solidarité essaient à tout prix et depuis longtemps de rompre.

En effet, on pourrait avoir l’impression que la montée de l’antisémitisme est due à la façon dont l’État sioniste traite les Palestiniens, renforçant ainsi le lien même dont l’entité sioniste prétend à tort qu’il unit tous les juifs à l’État d’Israël. De plus, cela passe sous silence les mouvements fascistes montants qui devraient inquiéter tous ceux qui se soucient des droits humains, tant à l’intérieur de la solidarité avec la Palestine qu’au-delà.

« En assimilant le sionisme au judaïsme », explique Hanna Kawas, présidente de l’Association Canada Palestine (CPA),

« en mettant constamment en lumière le thème selon lequel la ‘communauté juive’ est attachée à Israël, les sionistes sont responsables d’une très grande part de la confusion qui règne autour de la question de loyauté. Que ce soit intentionnellement ou par erreur, cela accroît l’antisémitisme. »

Selon le professeur Rabab Abdulhadi, la justice est « indivisible ». Ce qui signifie, d’une part, que chaque lutte est unique et qu’elle mérite par conséquent de la considération en tant que telle, alors que, d’autre part, l’injustice où que ce soit est un danger pour toutes les personnes impliquées dans le combat pour la justice sociale. Si c’est le cas, le combat contre la définition de l’IHRA peut alors être lié à bien davantage que les droits repris dans le Premier Amendement, que ce danger menace manifestement. Néanmoins, limiter la discussion à cette question écarte les Palestiniens du centre, c’est-à-dire de l’endroit dont font toujours partie les opprimés de toute lutte contre l’oppression.

De plus, le combat contre la définition de l’IHRA va bien au-delà des frontières de l’Amérique, donc, alors que nos droits constitutionnels sont clairement menacés, les campagnes américaines devraient reconnaître les droits des habitants des autres pays de s’exprimer contre les abus sionistes. Par exemple, l’Association Canada Palestine, l’Association internationale juive contre le sionisme et les activistes espagnols à Madrid, entre autres, ont tous protesté contre le passage à la définition de l’IHRA dans leurs régions respectives.

Il est plus urgent que jamais de s’unir contre son adoption. En juin 2021, l’administration Biden a dit de la définition de l’IHRA que c’était une « bonne norme » dans la lutte contre l’antisémitisme. Plus récemment, la Maison-Blanche a annoncé qu’elle instaurait un nouveau groupe de travail afin de contrer plus efficacement encore la montée de l’antisémitisme.

« Manifestement, combattre l’antisémitisme est important », écrit Michael Arria pour Mondoweiss,

« mais nous voyons souvent de tels efforts détournés par des groupes et des individus qui cherchent à cibler les critiques à l’égard d’Israël ».

On ne sait toujours pas clairement si la définition de l’IHRA sera adoptée par le nouveau groupe de travail mais, étant donné que Biden a déjà soutenu cette politique antérieurement, il est très vraisemblable que ce sera le cas.

Au Nouveau-Mexique, l’État dans lequel je vis, la gouverneure Michelle Lujan Grisham a récemment fait adopter l’Ordre exécutif 2022-118 qui cite l’IHRA comme

« un outil définitionnel essentiel utilisé pour déterminer les manifestations contemporaines d’antisémitisme »,

en partie parce qu’

« elle inclut des exemples utiles d’actions discriminatoires hostiles à Israël qui peuvent déborder des limites de l’antisémitisme ».

Voix juive pour la paix – Albuquerque ainsi que Santa Féens pour la Justice en Palestine se sont unis pour s’opposer à cette mesure. Il est particulièrement important qu’elle soit contestée ici, parce que l’État est habité par plusieurs tribus autochtones qui, toutes, sont des victimes de la colonisation.

« La Palestine est le baromètre moral de l’Amérique du Nord autochtone »,

explique le collectif Red Nation (Nation rouge).

« Alors que l’antisémitisme est un problème réel et qu’il connaît une montée en tant qu’élément central de l’autoritarisme de droite et du fascisme, BDS et justice pour la Palestine ne sont pas antisémites. Prétendre le contraire, c’est minimiser et dissimuler les crimes d’Israël et les souffrances des Palestiniens. »

Le message sur le blog poursuit :

« Une tendance domine dans le cadre du travail américain de solidarité avec la Palestine : promouvoir la paix et la réconciliation en tant que modèle de justice. Nous nous opposons fortement à cette tendance. La colonisation israélienne perpétue la violence, quelles que soient les mièvreries libérales concernant la ‘paix’ et le ‘respect’ dont on affuble le tout. »

Selon les mêmes lignes, il existe aussi une tendance à se concentrer sur les violations des droits humains par Israël, impliquant par-là que si l’État sioniste était tenu pour responsable de ces transgressions, il existerait une possibilité de justice pour le peuple palestinien. Si le colonialisme constitue « le crime originel », comme le prétend le collectif Red Nation, il s’ensuit qu’il n’y aura pas de justice tant que l’occupation n’aura pas été supprimée, qu’on n’aura pas mis fin en même temps au blocus de Gaza et qu’on n’aura pas accordé le droit de retour aux Palestiniens.

« Il est de la responsabilité de la totalité du mouvement antiraciste d’aborder ce combat et de réaffirmer son soutien au peuple palestinien et à sa résistance quand il fait face à l’occupation, à l’apartheid, au sionisme et au colonialisme »,

conclut Samidoun.

En outre, un grand nombre des personnes qui plaident pour la justice en Palestine sont également liées aux luttes des peuples colonisés un peu partout dans le monde, transformant de la sorte ce combat en un mouvement mondial plus large pour la justice sociale.

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Benay Blend a décroché son doctorat en Études américaines à l’Université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires portent sur : Douglas Vakoch et Sam Mickey, Éditeurs (2017), « Neither Homeland Nor Exile are Words : Situated Knowledge in the Works of Palestinian and Native American Writers » (Ni patrie ni exil ne sont des mots : Connaissance située dans les œuvres d’auteurs palestiniens et américains autochtones).

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Publié le 21 novembre 2021 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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