L’adolescent palestinien exécuté : « N’oubliez pas mon anniversaire »

Une activiste des droits humains nous livre son témoignage sur l’exécution de l’adolescent Mohammad Fouad al-Baied, 17 ans, lors d’une manifestation pacifique en Cisjordanie occupée.

Le 21 juillet 2023, l'adolescent Mohammad Fouad al-Baied, a été abattu et tué d’une balle dans la tête par les forces israéliennes.

Le 21 juillet 2023, Mohammad Fouad al-Baied, 17 ans, a été abattu et tué d’une balle dans la tête par les forces israéliennes. (Photo : médias sociaux)

Julia Gibson, 6 août 2023

Se voir offrir un verre de boisson sucrée est très habituel, en Palestine. Des semaines plus tard, il est malaisé d’imaginer que cela serait l’un des derniers gestes innocents et aimables de la famille al-Baied avant que l’existence de ses membres ne soit irrévocablement ébranlée le vendredi 21 juillet.

En début d’après-midi, les forces israéliennes tuaient Mohammad Fouad al-Baied, un adolescent palestinien de 17 ans, et en blessaient grièvement un autre au cours d’une manifestation pacifique à Umm Safa, un village situé au nord de Ramallah, en Zone B de la Cisjordanie occupée.

La manifestation avait débuté comme prévu après la fin des prières hebdomadaires du vendredi. Plusieurs hommes avaient rejoint le groupe, leur tapis de prière enroulé et posé sur l’épaule, et les jeunes filles coiffées de hijabs aux couleurs brillantes déambulaient avec leurs familles.

Ils descendaient lentement la route depuis le centre de la ville en direction de la périphérie d’Umm Safa, d’où la colonie juive d’Ateret est visible. Il s’agissait clairement d’un groupe de gens spirituels résistant à l’occupation et à la persécution.


« Oblitération » de la paix

Les protestations répondaient à la recrudescence récente de la violence des colons, soutenue par l’État, contre le village d’Umm Safa qui, le mois précédent, avait vu une horde de colons armés de fusils entrer sur son territoire sous la protection des soldats et de la police des frontières, incendiant des voitures, des maisons, des ambulances et des pressoirs. Le pogrom avait culminé par l’incendie de plusieurs maisons et voitures.

Les manifestants non armés furent accueillis au bout de la route menant à la colonie par quatre jeeps blindées et un mur de soldats affublés de gilets pare-balles, de genouillères, de visières et de casques de protection.

Ils brandissaient tout un assortiment d’armes, dont des carabines équipées pour tirer des balles enrobées de caoutchouc, des AR-15 et des fusils d’assaut Tavor, ainsi que des carabines de snipers. La nudité des manifestants palestiniens n’aurait pu être plus évidente.

Au bout d’une demi-heure, les protestataires avaient commencé à retourner vers leurs foyers et familles au centre du village. C’est à ce moment, alors qu’ils avaient le dos tourné, que la paix fut oblitérée par un soldat qui se mit bien vite en position et, actionnant le verrou de sa carabine de sniper, tira en direction d’une cible distance et inconnue.

Immédiatement après, les véhicules blindés lancèrent des grenades lacrymogènes sur la foule qui se repliait, ébranlant sans discrimination les adultes comme les enfants encore présents.

Les véhicules pénétrèrent en convoi au cœur du village, sans cesser de lancer des gaz lacrymogènes. Les jeunes Palestiniens ripostaient contre leur avance par des pierres de la colline, un très vieux symbole de la résistance palestinienne face à l’un des plus importants budgets militaires du monde par habitant, présentant d’indéniables parallèles avec l’histoire de David et Goliath.

 

Le 21 juillet 2023, des Palestiniens manifestent pour protester contre la recrudescence de la violence des colons contre leur village d’Umm Safa, en Cisjordanie occupée.

Le 21 juillet 2023, des Palestiniens manifestent pour protester contre la recrudescence de la violence des colons contre leur village d’Umm Safa, en Cisjordanie occupée. (Photo : fournie par Julia Gibson)

 

Les observateurs des organisations de défense des droits humains se virent proposer des rafraîchissements et une protection contre les gaz lacrymogènes, alors que les soldats progressaient dans la ville, en saisissant contraste avec les scènes des rues d’en bas. Qu’importe l’immédiateté et la sévérité du niveau de violence, l’hospitalité palestinienne reste inébranlable dans sa générosité.

Au-delà des soldats qui lançaient toujours leurs gaz lacrymogènes et tiraient des balles de petit calibre sur les adolescents encagoulés, les travailleurs du Croissant-Rouge étaient rassemblés dans la même cour utilisée précédemment pour les prières communes. Les esprits étaient excités et on distribuait des crèmes glacées parmi les hommes âgés et les enfants qui jouaient aux échecs en plein chaos, quand une fissure distincte ébranla l’air, alourdi de fumée et de gaz lacrymogène. Les soldats s’était mis à utiliser des munitions à grande vitesse.

En un instant, des cris retentirent parmi les personnes présentes et une marée orange fluo, s’éloignant des endroits sûrs, se précipita vers le bruit. Traversant des monticules de terre et de roche, les hommes portaient une silhouette grise et molle. C’était Mohammad, dont la mère avait distribué du jus d’orange à des étrangers et les avait abrités dans sa maison quelques instants plus tôt à peine.


Une exécution

L’adolescent sans arme avait reçu une balle dans la tête depuis le porche d’une maison située à moins de vingt mètres de là. Une mare de sang et une partie de son crâne indiquaient qu’au moment de sa mort, Mohammad avait été séparé de la majorité des jeunes lançant vers les soldats des « pierres qui menaçaient leur vie », pour reprendre les termes de l’armée israélienne.

Au moment où on le transportait en lieu sûr, il était impossible d’ignorer l’absence de couleur sur son visage, son expression paisible contrastant avec la grosse tache rouge sur le côté droit de sa tête, preuve que, lorsque le soldat de l’occupation l’avait touché à la tête, il regardait dans une autre direction.

Il est difficile d’imaginer comment la mort de Mohammad pourrait être interprétée autrement que comme une exécution. Il fut déclaré mort dès son arrivée à l’hôpital mais, en réalité, quand son beau-père s’agenouilla près de lui pour lui serrer la main, la vérité était déjà douloureusement évidente.

Né au camp de réfugiés de Jalazone, avec sa famille ayant été victime de la Nakba en 1948, Mohammad était le fils unique d’une veuve. En 2009, sa famille avait quitté le camp surpeuplé pour s’installer à Umm Safa, où elle devint la cible de la violence sans discrimination des colons, une violence qui n’allait pas cesser de croître en intensité avec les encouragements de l’actuel gouvernement israélien d’extrême droite.

En tant qu’adolescent normal qui aimait les jeux vidéo, les voitures et les motos, Mohammad avait quitté l’école pour soutenir sa mère et ses trois sœurs, qu’il aimait tendrement.

 

Des secouristes se précipitent pour sauver l'adolescent Mohammad, abattu par un sniper israélien le 21 juillet 2023.

Des secouristes se précipitent pour sauver Mohammad, abattu par un sniper israélien le 21 juillet 2023. (Photo : fournie par Julia Gibson)

 

L’exécution de Mohammad – à une distance où tirer pour rendre incapable d’agir était tout à fait possible – était évitable, mais pas surprenante. Dans un message TikTok qu’il avait posté peu de temps avant sa mort, Mohammad mettait en exergue la réalité tragique de l’existence des jeunes garçons en Cisjordanie et à Gaza. Admettant la possibilité de son martyre, il avait demandé d’être enterré auprès de son père et il présentait ses excuses à sa mère.

Il fait partie désormais des 40 enfants palestiniens tués par les forces israéliennes depuis le début 2023. Certains étaient coupables de jets de pierres, d’autres tout simplement d’être palestiniens. Le recours systématique des forces israéliennes à la violence létale contre des enfants qui ne constituent pas la moindre menace est une tactique dont les Nations unies sont parfaitement au courant. Quand l’héroïsme et le sacrifice sont tellement mis en évidence, il est facile d’oublier que les enfants comme Mohammad sont simplement ce qu’ils sont : des enfants.

Parmi la liste des requêtes de Mohammad figuraient celles-ci :

« Enterrez-moi près de mon père (…) Dites à ma famille que je les aime tant. Je ne veux pas ni chagrin ni consolation.

Ne m’enlevez pas mes bracelets. Quand je mourrai, ne me placez pas dans un réfrigérateur, je n’aime pas le froid (…) Placez une lumière près de ma tombe, j’ai peur du noir. N’oubliez pas mon anniversaire… »

L’anniversaire de Mohammad était le 1er février. Il était né en 2006. Il n’avait que 17 ans.

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Julia Gibson est une étudiante britannique en dernière année de sciences politiques. Elle s’intéresse aux droits humains, aux études sur la sécurité et au Moyen-Orient. Habituellement, elle vit au Royaume-Uni mais voyage dans la région chaque fois qu’elle le peut.

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Publié le 6 août 2023 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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