Comment Palestine Action a mis en lumière au tribunal les crimes de guerre d’Israël

Le but de Palestine Action est clair et simple : fermer Elbit Systems, le principal fabricant d’armes israélien.

 

Les membres de Palestine Action ont donné les preuves que les armes fabriquées par la firme Elbit Systems étaient utilisées pour tuer et mutiler des Palestiniens.

Les membres de Palestine Action ont donné les preuves que les armes fabriquées par la firme Elbit Systems étaient utilisées pour tuer et mutiler des Palestiniens. (Photo : Mohamed Elmaazi)


Mohamed Elmaazi
, 9 janvier 2024

 

Ce but a été mis en exergue des douzaines de fois lors d’un récent procès à la Cour royale de Snaresbrook, à Londres.

Les accusations – la plupart concernant des dommages criminels supposés – pesaient contre huit membres de Palestine Action.

En décembre, un jury délivrait un verdict de non-culpabilité sur 9 des 32 accusations, ainsi qu’un seul verdict de culpabilité contre l’un des accusés.

Le jury n’était pas parvenu à prendre une décision quant aux charges restantes. Le service des poursuites de la Couronne britannique (CPS) est censé prendre une décision ce mois-ci afin de savoir s’il va chercher à relancer le procès sur les accusations pour lesquelles le jury s’est retrouvé dans une impasse.

Le verdict a constitué une victoire partielle pour les activistes – surnommés les « Huit d’Elbit » – qui avaient ciblés des usines et des bureaux appartenant ou loués à la firme d’armement israélienne en Grande-Bretagne. L’organisation avait également protesté contre le propriétaire des installations Elbit, LaSalle Investment Management.

Le procès a eu lieu en pleine guerre actuelle d’Israël contre Gaza. Néanmoins, le CPS a tenté de convaincre le jury que le rôle joué par Elbit dans la violence contre les Palestiniens était sans rapport avec le sujet.

« Vous n’êtes pas concernés ici par les raisons pour lesquelles ils protestaient »,

a déclaré Sally Hobson, la procureure principale, lors de l’entame du procès.

« Vous êtes concernés par la question de savoir si ce qu’ils ont fait était légal ou pas. »

Hobson a également insisté sur ce point dans son réquisitoire de conclusion, disant à maintes reprises au jury qu’il devait passer les preuves en revue « sans passion aucune » [c’est-à-dire de façon impartiale, NdT].

« Cette affaire ne concerne pas ce qui se passe au Moyen-Orient depuis de très, très nombreuses années »,

a-t-elle ajouté.

« Cette affaire ne consiste pas à savoir si les activités commerciales d’Elbit sont légitimes. »

Audrey Mogan, l’avocate de Huda Ammori, une cofondatrice de Palestine Action, a contesté cette affirmation :

« Navré, mais c’est exactement de quoi il retourne »,

a-t-elle dit au jury en guise de réponse.

Mogan a rappelé au jury qu’Ammori avait dit qu’elle « croyait honnêtement » que des entreprises qui louaient des propriétés à Elbit [ce dernier étant locataire, et non loueur, NdT] allaient approuver les protestations de Palestine Action ainsi que les dégâts résultants

« si elles savaient les horreurs qui se passaient à Gaza, si elles savaient que la société à laquelle elles louaient leur propriété était une composante vitale de système qui faisait de ces horreurs une réalité ».

Gerard Pounder, le juge dans cette affaire, a dit au jury que,

« pour être pénalement responsable, une personne qui endommage la propriété d’autrui doit agir sans excuse légale ».

« Ceci est destiné à protéger des personnes tels les pompiers qui pourraient avoir à briser une porte afin d’avoir accès à la propriété d’une autre personne dans le but de traiter un incident et qui ne peut trouver personne en mesure de l’autoriser à agir de la sorte. »

Huda Ammori était l’une des huit accusés, en compagnie de Richard Barnard, Robin Refualu, Genevieve Scherer, Caroline Brouard, Jocelyn Cooney, Emily Arnott et Nicola Stickells.

 

Les Huit d’Elbit, de Palestine Action,  le dernier jour du procès. (Photo : Mohamed Elmaazi)

Les Huit d’Elbit le dernier jour du procès. (Photo : Mohamed Elmaazi)

Bien que tous les avocats de la défense aient rappelé au jury qu’il devait s’en tenir à la loi et dégager un verdict s’appuyant sur des preuves, ils ont également parlé du rôle historique joué par les protestations d’action directe en facilitant le progrès au Royaume-Uni et ailleurs.

Rupert Bowers était l’avocat représentant Richard Barnard, l’autre cofondateur de Palestine Action.

« Permettez-moi de vous rappeler, mesdames, que vous ne pourriez voter ni siéger dans ce jury s’il n’y avait eu les suffragettes »,

a dit Bowers au jury lors de sa plaidoirie de clôture. Il faisait allusion à la façon dont le mouvement en faveur du vote pour les femmes avait recouru à des tactiques tel le bris de vitres dans les principales artères de Londres, et ce, dans les premières décennies du 20e siècle.

« Messieurs, il est probable que la plupart d’entre vous ne feraient pas partie non plus du jury »,

a ajouté Bowers, faisant remarquer qu’il y avait eu un temps où

« l’on devait posséder une certaine quantité de biens pour pouvoir voter ».

« Les temps changent, les opinions changent et, parfois, il faut que ce soient d’autres personnes qui portent à notre attention certaines choses qui modifieront nos points de vue »,

a-t-il ajouté.

Genevieve Scherer est une travailleuse sociale retraitée de 77 ans.

Son avocat Will Hanson a cité On Palestine (Sur la Palestine), un livre contenant des contributions de l’intellectuel américain Noam Chomsky et de l’historien israélien Ilan Pappé.

Dans son introduction à cet ouvrage, l’activiste de campagne Frank Barat écrit :

« Nous ne devenons pas des activistes. Nous oublions tout simplement que nous existons. Nous sommes tous nés avec, en nous, de la compassion, de la générosité et de l’amour pour autrui. Nous sommes tous secoués par l’injustice et la discrimination. »

Hanson a dit au jury de considérer que sa cliente représentait cette éthique même.

« Genny [diminutif de Genevieve, NdT] se concentre sur d’autres personnes plutôt que sur elle-même »,

a déclaré Hanson, ajoutant que lorsqu’elle avait entrepris des actions directes contre Elbit durant l’été 2020, elle était concentrée sur la Palestine et qu’elle était restée concernée par la question.

Scherer a été acquittée des deux accusations de cambriolage qui lui avaient été signifiées.

 

« Mettre un terme à la complicité britannique »

L’une des principales « cibles » de Palestine Action, a-t-on entendu à la cour, était située au n° 77 de Kingsway, où Elbit avait son bureau londonien. Certains des huit ont été aperçus sur les images prises par CCTV sur le 77, Kingsway, ainsi que sur des reportages vidéo filmés par Real Media en juillet et août 2020, alors qu’ils entraient dans le bâtiment hébergeant les bureaux.

Les activistes avaient jeté de la peinture rouge sur le sol, avaient peint à la bombe et crié des slogans tels « Fermez Elbit » et « Vos bénéfices sont couverts de sang palestinien » au moment où l’on pouvait voir des gardes de la sécurité qui les affrontaient et s’emparaient de leurs personnes dans la zone de réception des bureaux.

« L’idée était » et « est toujours de mettre un terme à la complicité britannique dans le régime d’apartheid israélien », a déclaré Richard Barnard à l’adresse de la cour.

Et d‘insister en disant que « les seuls criminels ici, c’est Elbit Systems », une entreprise « qui tue des gens pour en tirer des bénéfices » et « qui commet un génocide, au moment même où nous parlons ».

Barnard a expliqué qu’il tentait « d’empêcher des crimes de guerre » contre les Palestiniens, lesquels crimes sont commis par des drones manufacturés par Elbit et utilisés par l’armée israélienne.

Elbit commercialise ses produits sous l’étiquette « testés au combat », a expliqué Huda Ammori à la cour, parce que la population de Gaza y est maintenue en tant que « population captive ».

Elle a encore dit qu’Elbit fournit à Israël des projectiles à sous-munitions pourtant « interdits au niveau international ». La banque HSBC a désinvesti d’Elbit à cause de sa production des bombes à sous-munitions utilisées par l’armée israélienne, et ce, précisément à la suite d’une campagne de protestation dirigée contre la banque HSBC même. Ammori a également expliqué à la cour l’utilisation de phosphore blanc contre les Palestiniens de Gaza : Il provoque à travers la peau des brûlures qui vont jusqu’aux os.

« Si ça va dans vos poumons, ça peut provoquer un cancer du poumon »,

a-t-elle dit, ajoutant qu’Israël ne permettra pas à ce genre de victimes d’obtenir des autorisations de se rendre à l’hôpital pour s’y faire soigner.

« Cela rend la situation tout à fait invivable. »

Ammori, dont le père palestinien est devenu réfugié en Irak après l’invasion par Israël de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, a parlé à la cour d’un rapport de l’ONU qui faisait remarquer que la flotte de drones d’Israël avait été intensivement utilisée en 2014, lorsque l’armée israélienne « avait tué plus de 500 enfants » en une cinquantaine de jours.

Ammori a décrit comment Israël utilise le drone Hermes 450 d’Elbit, dont les moteurs sont fabriqués à Shenstone, près de la ville anglaise de Birmingham, par l’entreprise UAV Engines, propriété d’Elbit. Les drones sont ensuite utilisés pour tuer « des familles, des femmes, des enfants », a-t-elle ajouté.

Le drone Hermes 900 d’Elbit, « qui circule désormais sur le marché mondial des armes, n’a pas été mis en vente avant d’avoir été préalablement testé sur la population de Gaza », a encore dit Ammori.

 

Crimes contre l’humanité

Lors de son contre-interrogatoire d’Ammori, la procureure principale Sally Hobson a suggéré que les allégations de crimes de guerre perpétrés par Israël restaient encore « à prouver ».

« Il vous suffit de regarder les infos et de lire les rapports pour comprendre »,

a répondu Ammori.

Hobson a ensuite demandé à Ammori si elle était au courant des

« tentatives de négociations [d’Israël] en vue d’aboutir à un accord de paix »

en 2020 et 2021.

« Je ne suis pas certaine des négociations auxquelles vous faites allusion »,

a répondu Ammori.

« Le peuple palestinien n’a cessé d’être opprimé depuis 75 ans »,

a déclaré Ammori.

« Toutes suggestions de ce qu’il y aurait des pourparlers de paix de la part de l’État israélien sont fausses »,

a-t-elle ajouté.

Tout le monde

« peut allumer la TV là, maintenant, et se rendre compte à quel point ils massacrent les Palestiniens »,

a-t-elle encore dit.

« Ce n’est pas seulement un crime de guerre »,

a insisté Ammori, « c’est un génocide », un « crime contre l’humanité ».

« Qui fournit ses armes au Hamas ? », a demandé Hobson à Ammori.

« Ce n’est pas Elbit Systems », a rétorqué Ammori.

L’avocat défendant Ammori s’est levé et a mis en doute la pertinence de la question de Hobson à propos du Hamas.

Le juge a fait remarquer que la question ne pouvait déboucher sur rien mais il n’a pas tenté immédiatement d’empêcher qu’elle ne soit posée. Après qu’Ammori a dit qu’elle ne savait pas qui armait le Hamas, le juge a indiqué qu’il attendait de Hobson qu’elle poursuive.

« Avez-vous remboursé les dizaines de milliers de livres de dégâts provoqués au cours de l’action que vous avez entreprise. ? Si cela n’importe pas vraiment, pourquoi ne les avez-vous pas payés ? »

, a demandé Hobson à Ammori durant son contre-interrogatoire.

« Il n’y a pas eu de réparations pour les maisons, les écoles, les vies et les communautés palestiniennes qui ont été emportées »,

a répondu Ammori.

Les protestations mises sur pied par Palestine Action ne consistaient pas « qu’en un peu de peinture », a dit Hobson à Ammori.

« Nous avons vu des dégâts, des destructions, des perturbations dans l’existence de nombre de personnes. »

« La plupart des protestations se traduisent par un certain degré de perturbation dans la vie des gens »,

a répondu Ammori. Et de faire remarquer que les protestations de rue provoquent également des « perturbations », avant de réitérer son point de vue ; « Ici, c’est bien de peinture, que nous parlons. »

 

Richard Barnard et Huda Ammori, cofondateurs de Palestine Action. (Photo : Mohamed Elmaazi)

Richard Barnard et Huda Ammori, cofondateurs de Palestine Action. (Photo : Mohamed Elmaazi)

Vers la fin de l’audience, le jury a été informé que la société d’assurance d’Elbit avait payé les frais de réparation de l’usine de Shenstone suite aux protestations sur place de Palestine Action.

« J’ai découvert qu’Elbit Systems faisait sa propre publicité en tant que « colonne vertébrale » de la flotte de drones de l’armée israélienne »,

a déclaré Richard Barnard à la cour. Et d’ajouter qu’il avait appris comment Elbit, qui fournit environ 85 pour 100 de la flotte de drones de l’armée israélienne et 85 pour 100 de ses équipements basés à terre, fabrique également des « balles rebondissantes » (ou balles papillons).

On vous tire ce genre de balle

« dans la jambe et elle explose ensuite » et « la seule option est de vous couper la jambe ».

Barnard a décrit pourquoi les snipers israéliens abattaient tant de Palestiniens sans armes à Gaza en leur tirant dans les genoux ou dans les chevilles au cours de la Grande Marche du Retour, les protestations hebdomadaires des années 2018 et 2019. Un grand nombre de ces blessures requéraient l’amputation.

Des centaines de personnes avaient été tuées et des milliers blessées au cours de cette Grande Marche du Retour, a été informée la cour.

Barnard, après avoir été admis naguère dans l’équipe de jeunes de Swansea City – l’un des meilleurs clubs de football du pays de Galles – a été gagné par l’émotion quand il s’est mis à décrire la façon dont une frappe de drone israélien avait tué quatre cousins, âgés de 10 à 11 ans, alors qu’ils jouaient au foot sur la plage, à Gaza, en 2014.

On avait vérifié, a fait remarquer Barnard, que c’était un drone de surveillance d’Elbit, le Hermes 450, qui avait facilité le massacre.

Barnard a témoigné qu’il s’était engagé dans les protestations contre Elbit vers 2015, bien avant de cofonder Palestine Action avec Huda Ammori.

Il avait essayé des protestations silencieuses, en utilisant des affiches et des banderoles, en organisant des veillées ou des prières à l’extérieur des usines Elbit.

« Je souhaite du fond de mon cœur que [ces protestations d’action non directe] marchent, mais ce n’est pas le cas »,

a dit Barnard.

« Le demander gentiment ou poliment, même avec un très bon écriteau ou une bonne chanson, cela ne marchera pas, je le crains. »

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Mohamed Elmaazi, qui vit au Royaume-Uni, est journaliste et il contribue à de nombreuses publications, dont Jacobin, The Dissenter et Consortium News.

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Publié le 9 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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