Le génocide a déclenché un désastre écologique

 

Désastre écologique : Du fait qu'il n'y a quasiment plus de gaz de cuisine qui peut encore entrer à Gaza, les gens sont forcés d'abattre des arbres pour avoir du bois. Photo prise à Deir al-Balah.

Du fait qu’il n’y a quasiment plus de gaz de cuisine qui peut encore entrer à Gaza, les gens sont forcés d’abattre des arbres pour avoir du bois. Photo prise à Deir al-Balah. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)


Rakan Abed et Khuloud Rabah Sulaiman
, 26 avril 2024

Début avril, Dukhan, 32 ans, brûlait du bois dans un poêle rudimentaire qu’il avait façonné avec de l’argile et des bouts de ferraille près de chez lui à Rafah, la ville la plus au sud de Gaza.

Il avait eu le bois en abattant un arbre à proximité de sa maison. C’était nécessaire, avait-il dit, afin de pouvoir cuire de la nourriture pour ses deux enfants en bas âge et sa femme Shireen, qui était enceinte.

Tout de suite après le 7 octobre, Israël a interdit l’entrée de gaz de cuisine à Gaza. Des livraisons limitées sont aujourd’hui permises, mais à 30 pour 100 à peine de la moyenne quotidienne d’avant le 7 octobre. Selon l’ONU, ces livraisons sont très loin de couvrir les besoins des 2,3 millions d’habitants de Gaza.

Par conséquent, le bois est devenu la principale source de combustible, pour cuisiner à Gaza.

Islam s’est bien débrouillé, au cours des deux premiers mois. Comme tant d’autres à Gaza, accoutumés à des épisodes récurrents de la violence démesurée d’Israël, il avait une ample provision de gaz de cuisine chez lui.

Quand elle est tombée à court, il s’est mis à ratisser les bois à l’est de Rafah, à plus ou moins une heure à pied de sa maison.

C’étaient les mois les plus froids, mais cela n’allait pas le dissuader. Shireen et leurs deux filles, Seela, un an, et Lamees, trois ans, étaient toutes trois en danger de malnutrition.

Une journée d’Islam dans les bois avait tout d’un emploi à temps plein. Il y passait six heures, coupant des branches d’olivier et de citronnier, avant de traîner le bois sur le sol sablonneux jusqu’à la grand-route, où il pouvait charger son fardeau sur une charrette à âne.

Il était généralement accompagné de six autres hommes qui faisaient pareil pour la même raison.

En fait, les bois étaient saturés de centaines de personnes qui abattaient des arbres. En un mois, avait dit Islam, les bois étaient devenus une « terre aride ».

L’armée israélienne est responsable de la plus grosse partie de la destruction des bois et des terres agricoles de Gaza et l’ampleur des dégâts occasionnés par Israël a provoqué un désastre écologique.

En un seul couloir de terre, les images par satellite révèlent qu’Israël a détruit plus de 17 400 mètres carrés de terre portant des arbres et d’autres plantes.

Bellingcat, une organisation d’enquête open source en ligne qui utilise l’imagerie en provenance de Planet Labs, a découvert des destructions de terres similaires en deux autres zones de Gaza au moins.

Le défrichement des terres agricoles par des parties en guerre est « strictement interdit », selon les lois de la guerre, d’après l’organisation qui citait d’ailleurs un porte-parole de Human Rights Watch.

 

Le désespoir

Islam et ses semblables, toutefois, n’ont pas le choix.

Et ils ont de moins en moins la possibilité de choisir un type de bois.

Par expérience, Islam savait que le bois de l’olivier et celui du citronnier brûlaient plus lentement et plus longtemps. Mais une fois que ces arbres ont commencé à disparaître des bois, il s’est mis à utiliser le bois de n’importe quel arbre qu’il trouvait, dans les rues près de chez lui ou dans les environs.

« Nous ne cherchons plus un type spécifique. Ce qui importe désormais, c’est de trouver du bois, même s’il ne brûle pas très longtemps »,

a-t-il expliqué à The Electronic Intifada.

« Nous voulons cuire et manger. Nous voulons chauffer de l’eau et préparer le lait de bébé pour ma fille et pour que ma famille puisse prendre une douche. »

Puisque les arbres disparaissent, trouver du bois est devenu un autre défi, nécessitant d’autres moyens pour allumer des feux ; Islam brûle parfois des déchets, « juste au moins pour chauffer le lait pour le bébé » et, de toute façon, il n’a plus d’autre choix.

« La nourriture vendue sur les marchés est hors de prix et j’ai perdu mon boulot de commerçant au bord de mer, à la suite des combats »,

dit-il.

« Je sais que les déchets sont dangereux et qu’ils pourraient provoquer des maladies respiratoires chez moi et mes enfants. Mais ai-je le choix ? »

Hiyam Abed, 65 ans, n’a pu que pleurer quand elle a appris que ses frères avaient été forcés d’abattre les arbres qu’elle cultivait depuis des dizaines d’années autour de la maison de trois étages de la famille, à Gaza.

Au contraire de Hiyam, qui avait fui vers Rafah, Atef et Aref, ses deux frères, étaient restés dans la maison familiale de Gaza, malgré l’intensité de la violence génocidaire d’Israël dans la ville. Mais, quand ils étaient tombés à court de carburant et de gaz, ils n’avaient plus eu d’autre choix, d’autant qu’Israël limitait sévèrement l’aide alimentaire dans la partie nord de Gaza. .

« Mes frères m’ont demandé de leur pardonner parce qu’ils savent à quel point ces arbres comptaient pour moi. Je m’en occupais soigneusement, jour et nuit, depuis des années, exactement comme une mère s’occupe de ses enfants »,

a expliqué Hiyam à The Electronic Intifada.

« Ils m’ont envoyé des photos pour que je voie à quoi ressemble la maison sans mes arbres. Tout est vide et sombre. J’ai l’impression qu’ils m’ont pris mon âme. »

Outre les arbres qui entouraient la construction, Hiyam avait ensemencé une parcelle de terre à l’arrière avec diverses sortes d’arbres : goyaviers, citronniers, orangers et oliviers, entre autres.

Certains avaient été abattus pour en faire du bois à brûler. Les autres avaient été la proie des bulldozers d’Israël.

« C’est de mon père que j’ai hérité ma passion pour les arbres, et lui l’avait héritée de son père. La plupart de nos arbres sont plus que centenaires »,

dit-elle.

 

Brûler les meubles

Hiyam n’a pas blâmé ses frères. Elle a compris qu’ils faisaient ce qui était nécessaire pour leur survie.

« Il n’y a rien à manger. Il n’y a pas de courant pour prendre un bain d’eau chaude. Il n’y a pas de gaz de cuisine pour préparer à manger. Pas même de combustible pour allumer un feu »,

dit-elle.

« Il n’y a là plus de vie du tout. »

Ses frères ont également donné un peu de bois à des voisins, ont-ils dit à Hiyam par téléphone. Mais leur verger jadis luxuriant n’était qu’une ressource limitée.

Le bois avait manqué et, désormais, ils étaient forcés de se mettre à brûler leurs meubles et même leurs vêtements.

« Que devrons-nous faire une fois que les meubles et les vêtements seront partis ? Comment survivrons-nous, après cela ? »

avait demandé Aref, de plus en plus désespéré, à sa sœur.

« Combien de temps allons-nous devoir survivre à cela ? »

Mais il n’y a pas plus débrouillard et résilient que les Palestiniens de Gaza.

Chaque matin, Saïd Hassan, 56 ans, se met en quête de bois de chauffage sous les ruines des maisons détruites du camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza.

Il est toujours accompagné de son petit-fils de dix ans, Ahmad. Ils cherchent des bouts de bois provenant des portes ou des meubles des nombreuses maisons et constructions détruites autour d’eux.

Une fois que l’homme et le garçon ont ramassé assez de bois, Saïd porte sur le dos ce qu’il peut jusqu’à la cour derrière sa maison, alors qu’Ahmad coltine autant de carton qu’il peut, lequel servira à allumer le feu.

« Quand nous arrivons à la maison, nous faisons un feu et l’annonçons à tout le monde dans le quartier de sorte que tous ceux qui ont des aliments à cuire peuvent les apporter. Des centaines de personnes viennent souvent »,

explique Saïd par téléphone à The Electronic Intifada.

À certaines occasions, Saïd parvient à se procurer du bois provenant d’arbres, mais c’est de plus en plus rare. La plupart des arbres ont tout simplement disparu, dans le nord.

D’autres fois, dit-il, quand leur recherche est infructueuse, ils fouillent dans les maisons qui n’ont été que partiellement détruites.

« Nous laissons toujours un mot sur le mur en demandant pardon aux propriétaires et pour leur expliquer que nous sommes bien obligés de prendre leurs vêtements et leurs meubles, sans quoi nous mourrions . »

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Rakan Abed est un reporter et producteur de vidéos installé à Gaza. Journaliste, Khuloud Rabah Sulaiman vit lui aussi à Gaza.

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Publié le 24 avril 2024 sur The Electronic Intifada

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