La flottille des femmes vers Gaza est plus que du simple symbolisme

Voici ce qu’écrivait Susan Abulhawa concernant la flotille des femmes le 21 septembre.

Il est peut-être malaisé de se rendre compte de l’impact réel et matériel d’activistes internationaux qui prennent des bateaux pour tenter de débarquer à Gaza et qui ne parviennent qu’à se faire intercepter, arrêter et expulser ensuite.

Mais la signification de ces tentatives devient manifeste dans le contexte plus large des mouvements populaires qui prennent racine un peu partout dans le monde.

La flottille des femmes vers Gaza est plus que du simple symbolisme

La flotille des femmes : porter un message d’espoir

Il y a eu plus de 24 voyages de ce genre depuis 2008, dont cinq seulement ont pu rallier Gaza. Tous les autres ont été interceptés par l’armée israélienne, qui confisque souvent les navires et autres équipements, et arrête les passagers.

Et, alors que les navires transportent souvent de l’aide, dont des fournitures médicales et scolaires ainsi que des matériaux de construction, les organisateurs considèrent ces tentatives coûteuses et dangereuses comme largement symboliques. La porte-parole Zohar Chamberlain Regev a déclaré à Al Jazeera : « Avant tout, nous portons un message d’espoir et de solidarité [aux gens de Gaza]. »

Il est peut-être malaisé de se rendre compte de l’impact réel et matériel d’activistes internationaux qui prennent des bateaux pour tenter de débarquer à Gaza et qui ne parviennent qu’à se faire intercepter, arrêter et expulser ensuite. Mais la signification de ces tentatives devient manifeste dans le contexte plus large des mouvements populaires qui prennent racine un peu partout dans le monde.

Le vol de la Palestine et la destruction de sa société autochtone constituent le dernier vestige mondial du colonialisme d’implantation. C’est le lien entre cette époque ignominieuse et la destruction néolibérale contemporaine de la vie, les guerres qui rapportent et la destruction complète de notre planète au profit d’un petit nombre d’individus. 

L’un des exemples actuels les plus visibles se passe dans le Nord-Dakota. Au moment où le Bateau des Femmes vogue vers la Palestine, un combat épique est mené par la nation sioux de Standing Rock afin de mettre un terme à la construction d’un oléoduc qui menace l’intégrité de leurs terres et de leurs cours d’eau.

Ils ont été rejoints dans leur lutte par plus de 60 tribus indigènes américaines. Des peuples autochtones du monde entier ont exprimé leur solidarité et des déclarations de soutien sans réserve ont été publiées par la National Lawyers Guild (Guilde nationale des avocats), par d’éminents Palestiniens, par le mouvement BDS palestinien, par Black Lives Matter et par la Nation de l’Islam, entre autres. Et des rassemblements de soutien ont été organisés dans nombre de villes des États-Unis et d’ailleurs.

La violence nourrit la solidarité mondiale

Comme dans le cas de Standing Rock, une telle fusion de mouvements de gauche autour d’une cause commune a constitué un renfort puissant pour la lutte palestinienne contre le colonialisme d’implantation d‘Israël.

En outre, la traditionnelle réponse du pouvoir – à savoir le recours à la violence – s’est avérée inefficace.
Par exemple, quand Israël a attaqué et pris d’abordage la Flottille pour Gaza en 2010, tuant dix passagers désarmés, le mouvement Free Gaza a été inondé de demandes du monde entier pour rallier sa cause.

En une journée, la coalition est passée de six à vingt organisations, y compris des groupes d’Italie, des Pays-Bas, de Norvège, d’Espagne et d’ailleurs encore.

De même, lorsque les Energy Transfer Partners (Partenaires du transfert de l’énergie), cantonnés au Texas, ont utilisé des chiens d’attaque contre des protecteurs désarmés des terres, la résolution des peuplades sioux a été davantage galvanisée encore et des activistes du pays tout entier ont défilé dans les rues par solidarité.

Chose prévisible, le pouvoir – que ce soit celui des sociétés, de l’État ou les deux – a donc consacré toute son attention à empêcher la diffusion des informations.

L’un des outils les plus puissants disponibles pour les activistes récemment a été la facilité relative d’accès aux infos qui contournent les portiers habituels de l’information, comme les rédacteurs en chef de la presse traditionnelle et les producteurs des sociétés de télévision.

Les médias sociaux, les publications indépendantes d’informations et les journalistes citoyens disposent de forums efficaces de communication avec le monde.

Ainsi donc, cela n’a pas été une surprise quand le Nord-Dakota a lancé un mandat d’arrêt contre Amy Goodman, dont le rapport d’information Democracy Now montrant des gardes sécuritaires privés lâchant des chiens d’attaque sur des protestataires non armés s’est répandu comme une traînée de poudre.

Par ailleurs, Israël a entrepris la démarche sans précédent de conclure des marchés avec les géants des médias sociaux, comme Facebook, afin de censurer les voix palestiniennes, et en particulier les preuves vidéo des incessants crimes de guerre israéliens.

Vers un nouveau concept de la citoyenneté

Le vol de la Palestine et la destruction de sa société autochtone constituent le dernier vestige mondial du colonialisme d’implantation.

C’est le lien entre cette époque ignominieuse et la destruction néolibérale contemporaine de la vie, les guerres qui rapportent et la destruction complète de notre planète au profit d’un petit nombre d’individus. 

Deux navires avec onze femmes à bord chacun et quelques centaines de personnes campant sur leurs terres pour arrêter un pipeline pourraient paraître uniquement symboliques face au pouvoir écrasant de grosses sociétés et d’États militaires, mais ils sont bien plus que cela.

Ils procurent une cause au mécontentement mondial d’un public de mieux en mieux informé. Ils représentent une prise de conscience populaire là où des citoyens se motivent pour se protéger mutuellement contre un pouvoir prédateur. Ils sont les agitateurs justifiés dont nous tous avons besoin en ces temps désespérés de violence de l’État et de guerres mondiales sans précédent, de pollution, d’insécurité alimentaire et de précarité sur le plan de l’eau.

Leurs actions vont au-delà des frontières des États nations, des races et des classes, en transférant les loyautés vers les droits universels. Ils bâtissent des réseaux mondiaux de militants. Ils contribuent à modifier le discours qui prévaut en injectant des mots comme « occupation », « siège » et « dignité » dans le discours populaire.

Les femmes à bord de l’Amal et du Zaytouna-Oliva proviennent pour la plupart de nations puissantes ou du moins de nations stables. Elles utilisent leur privilège et leur accès aux ressources de la meilleure façon possible : en accordant leur solidarité à la lutte d’un peuple en état de siège et en contribuant à forger un nouveau concept de citoyenneté.


Extrait d’un article publié le 21 septembre 2016 sur Al Jazeera english
Traduction : Jean-Marie Flémal

 

Susan Abulhawa

Susan Abulhawa est une femme de lettres palestinienne et activiste palestinienne, auteur du roman et best-seller international, Les matins de Jénine (Buchet/Chastel 2008).

En 2012, elle publia un recueil de poésie : « My voice sought the wind ».

Son dernier roman s’intitule The Blue Between Sky and Water (Le bleu entre le ciel et l’eau – Denoël/janvier 2016), et ses droits ont été cédés pour être traduits dans 21 langues.
Elle est aussi fondatrice de Playgrounds for Palestine (Terrains de jeu pour la Palestine), une ONG au profit des enfants.
 

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