Pourquoi Trump pratique l’escalade dans la guerre américano-israélienne contre l’Iran

Ali Abunimah

Iran : manifestation à Téhéran le lendemain de l'assassinat de  Qasem Soleimani

Le 3 janvier, à Téhéran, un Iranien brandit un portrait de Qasem Soleimani, le lendemain de l’assassinat du général iranien au cours d’une attaque aérienne américaine contre l’aéroport de Bagdad. (Photo : Morteza Nikoubazl SIPA)

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a encensé les raids aériens américains qui ont tué le grand général iranien Qasem Soleimani et Abu Mahdi al-Muhandis, le chef des milices irakiennes qui ont été déterminantes dans la défaite de l’EI, autrement dit le prétendu État islamique.

Le président Donald Trump « mérite d’être pleinement apprécié pour avoir agi avec détermination, force et célérité », a déclaré Netanyahou vendredi.

D’autres hommes politiques israéliens de premier plan, dont de prétendus dirigeants de l’opposition, ont encensé l’attaque américaine.

Parmi ces derniers, Amir Peretz, chef du parti travailliste israélien, se voulant de centre gauche, a déclaré que Soleimani « méritait de mourir » et il a remercié Trump.

La haine de Peretz envers l’Iran est peut-être compréhensible. Il était ministre de la Défense au moment de l’invasion du Liban par Israël en 2006 et la résistance de ce pays, soutenu par l’Iran, valut une défaite humiliante à Israël.

Yossi Melman, un vétéran de l’analyse des services de renseignement israéliens, a qualifié l’escalade américaine de « bonne nouvelle pour Israël », parce qu’elle attire les États-Unis un peu plus loin encore dans les attaques israéliennes contre l’Iran et ses intérêts.

Dans une réponse initiale, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a fait l’éloge de Soleimani en tant que chef de « la force la plus efficace » dans le combat contre l’EI et al-Qaïda, et il a qualifié son assassinat d’acte de « terrorisme international ».

Sans aucun doute, une grande satisfaction règne en Israël et parmi ses partisans les plus fanatiques à propos d’une action qui précipite la situation vers une violence encore plus catastrophique.

Un chauvinisme complètement détraqué

L’assassinat de Soleimani a suivi les attaques américaines de dimanche dernier qui ont tué plus de deux douzaines de membres de Kataib Hizballah, une milice irakienne qui avait contribué à la défaite de l’EI.

Cela a déclenché des protestations qui ont empiété sur le périmètre de l’ambassade extrêmement fortifiée des États-Unis à Bagdad.

Les États-Unis prétendent que le groupe a effectué une attaque à la roquette, quelques jours plus tôt, contre une base militaire du nord de l’Irak, attaque au cours de laquelle un entrepreneur américain a été tué.

Le sénateur Ted Cruz a applaudi à l’assassinat par Trump de Soleimani, un acte qu’il a qualifié de « justice due depuis longtemps à nos alliés israéliens » – quel que soit le sens qu’il convient de donner à ces mots.

Trump – qui s’est présenté aux élections en critiquant vertement la guerre en Irak – reproduit aujourd’hui les mêmes mensonges et exagérations utilisés par ses prédécesseurs pour manipuler le public afin qu’il soutienne leurs aventures militaires. Il dit dans un tweet :

« Le général Qassem Soleimani a tué ou grièvement blessé des milliers d’Américains durant une longue période et il prévoyait d’en tuer bien plus encore (…) mais s’est fait avoir ! Il était directement et indirectement responsable de la mort de millions de gens, y compris récemment le grand nombre (…) »

Sans aucun doute aurons-nous encore droit à bien d’autres exemples de ce chauvinisme complètement detraqué.

Les démocrates soutiennent tacitement Trump

Il faut s’attendre au soutien de l’extrême droite à Trump, mais il en va tristement de même de la part de prétendus progressistes comme la sénatrice Elizabeth Warren et de centristes comme l’ancien vice-président Joe Biden, tous deux démocrates concourant pour la présidence.

Leur critique plutôt timide des actions meurtrières du président part de la prémisse selon laquelle Soleimani est un « agent du mal » – le mauvais de circonstance, qui mérite donc d’être liquidé.

Mais les seules choses qui les embarrassent, ce sont le timing, la façon de procéder et les conséquences possibles.

Ils ne remettent jamais en question la prémisse selon laquelle les États-Unis ont le droit d’envoyer des troupes, des porte-avions et des drones afin d’imposer leur volonté dans chaque endroit du monde, de bombarder et de tuer, de mettre en place des dirigeants fantoches triés sur le volet dans tout pays qui ne se soumet pas à la ligne de Washington.

En d’autres termes, eux aussi sont des impérialistes engagés, de vulgaires progressistes uniquement de nom.

Le sénateur Bernie Sanders a prévenu que

« l’escalade dangereuse de Trump nous rapproche d’une autre guerre désastreuse au Moyen-Orient, laquelle pourrait coûter d’innombrables vies humaines et des milliers de milliards de dollars supplémentaires ».

Mais il s’est bien abstenu de comdamner l’assassinat même de Soleimani.

L’Iran encerclé

La réalité – bien claire pour ceux dont la vision n’est pas occultée par la dévotion à la puissance américaine ou à une haine sectaire – est que depuis des décennies l’Iran doit s’opposer à l’encerclement par les États-Unis et par les efforts de ces derniers pour y provoquer un changement de régime.

Les choses ont débuté après la Révolution islamique de 1979 qui a renversé le shah, une marionnette loyale des États-Unis et un allié d’Israël.

En 1980, l’Occident – et particulièrement les États-Unis – a soutenu l’invasion de l’Iran par Saddam Hussein.

Cela a déclenché une guerre de huit ans qui a coûté des centaines de milliers de vies humaines, tant irakiennes qu’iraniennes.

Des sociétés américaines, britanniques, françaises et allemandes ont équipé l’Irak d’armes, dont la capacité de fabriquer des armes chimiques.

(Après la guerre, Saddam a eu la prétendion de muer l’Irak en une puissance régionale de son propre droit – notamment son invasion criminelle du Koweït en 1990. Comme il ne servait plus leurs desseins, les États-Unis se sont retournés contre l’Irak, lui infligeant des sanctions mortelles durant plus d’une décennie et lui déclarant ensuite la guerre).

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis envahissaient le voisin oriental de l’Iran, l’Afghanistan. Deux ans plus tard, l’administration de George W. Bush envahissait et occupait l’Irak, immédiatement à l’ouest de l’Iran.

Tout cela, avec la pleine euphorie des néoconservateurs au cœur même de l’administration Bush, qui annoncèrent que Damas et Téhéran seraient les prochaines cibles.

Tout cela était bel et bien conforme au scénario établi par le Projet pour un nouveau siècle américain, un think-tank prônant le changement de régime dans la région comme une façon de garantir la domination américaine et israélienne.

Envoyer des armes nucléaires sur l’Iran

Alliés des impérialistes américains, Israël et ses partisans ont été les premiers supporters de l’escalade, sinon de la guerre directe, contre l’Iran.

Israël, et tout particulièrement Netanyahou, a pris la direction des opérations en menant à bon terme l’arrangement de 2015 qui allait voir l’Iran restreindre volontairement son programme d’énergie nucléaire dans des limites strictes, et ce, en échange d’une levée des sanctions économiques.

Intatigablement, Israël a poussé à la guerre économique punitive menée par Trump et visant à infliger des souffrances à un peuple ordinaire et à provoquer l’effondrement de l’Iran.

Comme le fait remarquer l’intellectuel Greg Shupak,

« Les planificateurs américains et israéliens détestent l’Iran surtout du fait que c’est une puissance régionale indépendante ».

« L’Iran a une politique militaire et étrangère forte qui comprend la fourniture d’un soutien matériel à la résistance armée palestinienne à Israël et à la défense du Liban par le Hezbollah contre les agressions américaco-israéliennes, dont l’invasion commune en 1982 et l’offensive israélienne soutenue par les États-Unis en 2006 »,

a ajouté Shupak.

Cette haine est si extrême que Sheldon Adelson, le milliardaire pro-israélien et principal sponsor financier de Trump et du Parti républicain, a instamment invité les États-Unis à utiliser l’arme nucléaire contre l’Iran.

La détermination d’Israël à vouloir affaiblir l’Iran – et si possible y amener un changement de régime – motive les attaques israéliennes depuis des années. Parmi celles-ci, des douzaines de bombardements en Syrie et en Irak et l’assassinat d’hommes de science iraniens.

Mais, comme le fait remarquer Shupak, la principale stratégie israélienne a été d’insister pour que l’Iran

« soit soumis à une asphyxie économique suffisante pour que son gouvernement soit renversé ou fasse l’objet d’un contrôle extérieur encore plus poussé qu’il ne l’était à l’époque de l’arrangement nucléaire »

– un arrangement auquel l’Iran se soumit jusqu’au moment où les États-Unis s’en retirèrent en 2018.

Ceci est en contraste saisissant avec Israël, dont tout le monde sait qu’il possède un arsenal nucléaire mais qui, au contraire de l’Iran, refuse catégoriquement de signer le Traité de non-prolifération ou d’accepter le moindre contrôle international.

Il importe de garder les choses dans leur perspective : le budget militaire de l’Iran est relativement modeste : 13 milliards de USD.

L’Arabie saoudite – sa voisine et ennemie implacable, soutenue par les États-Unis – dépense cinq fois plus. Quant aux États-Unis, ils viennent d’adopter un budget militaire – agréé par les deux partis – de 738 milliards de USD, soit 55 fois ce que l’Iran dépense.

Une logique pervertie

N’empêche que l’Iran, relativement chétif, a mené à bien certaines réalisations significatives.

Le Hezbollah libanais, soutenu par l’Iran, a infligé à Israël – et par extension aux États-Unis – une défaite stratégique majeure au moment où Israël a envahi le Liban en 2006.

Plus récemment, c’est le soutien de l’Iran, particulièrement sous la direction du général Soleimani, qui a repoussé l’EI à travers la Syrie et l’Irak, empêchant ainsi le groupe de s’emparer de Bagdad.

Le développement et la propagation de groupes comme l’EI et al-Qaïda – une conséquence directe des guerres et interventions américaines – a été une catastrophe pour des millions de personnes dans toute la région.

Mais ces groupes n’ont jamais préoccupé les États-Unis et Israël, qui les perçoivent simplement comme des outils supplémentaires dans leur effort d’imposer leur volonté.

C’est pourquoi les États-Unis ont envoyé au moins pour un milliard de USD d’armes dans les mains de ces groupes afin d’alimenter la guerre en Syrie.

C’est pourquoi lsraël a également armé et créé des groupes liés à al-Qaïda en Syrie.

En 2014, vice-président à l’époque, Biden s’est excusé d’avoir accidentellement révélé une vérité implacable :

Ce sont les alliés les plus proches des États-Unis dans la région – la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis – qui ont également envoyé « des centaines de millions de USD et des dizaines de milliers de tonnes d’armes » à des groupes, dont Jabhat al-Nusra et al-Qaïda, et à « des éléments extrémistes de djihadistes venus de toutes les parties du monde ».

Biden avait suggéré que ce soutien était crucial pour fonder l’EI, une excroissance d’al-Qaïda et de ses alliés.

En 2016, le ministre israélien de la Défense, Moshe Yaalon, a dévoilé clairement l’agenda d’Israël :

« En Syrie, s’il s’agit de choisir entre l’Iran et l’État islamique, je choisis l’État islamique. »

Et c’est sans aucun doute pourquoi Yaalon a accepté des excuses de la part de l’EI après que ce dernier, en 2016, avait attaqué des forces israéliennes dans les hauteurs du Golan de la Syrie, occupées par Israël.

Cette logique israélienne peut s’appliquer à la région au sens large, et en particulier aux relations de plus en plus amicales entre Israël et l’Arabie saoudite, qui s’appuie sur une inimitié commune envers l’Iran.

Le professeur Joseph Massad, de l’Université de Columbia, a suggéré que les récentes démarches soutenues par les États-Unis pour en arriver à d’officiels « pactes de non-agression » entre Israël et certains États du Golfe pouvaient constituer une étape préparatoire pour une extension de la guerre contre l’Iran de même que contre le Liban, la Syrie, l’Irak et les Palestiniens.

Comprendre cette logique pervertie est essentiel pour comprendre pourquoi les États-Unis et Israël se montrent si déterminés à poursuivre un conflit avec l’Iran et ce, quel qu’en soit le coût en vies humaines.


Publié le 3 janvier 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Ali Abunimah est directeur exécutif de The Electronic Intifada et l’auteur de One Country (Un seul pays) et de The Battle for Justice in Palestine (Le combat pour la justice en Palestine).

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...