Témoignages de Palestiniennes qui rendent visite à leurs proches, prisonniers en Israël

Chaque visite à une prison requiert une journée entière de voyage pénible et de souffrance physique et émotionnelle, en particulier pour les parents plus âgés et pour les enfants.

Fin décembre 2019, comme Israël détenait dans ses installations carcérales au moins 4544 prisonniers et détenus administratifs (tous repris comme prisonniers dans la suite du texte), qualifiés de « prisonniers sécuritaires ».

296 de ces prisonniers sont des résidents de la bande de Gaza et le reste des résidents de la Cisjordanie.

Israël impose de nombreuses restrictions aux visites des familles à la prison – y compris en décidant qui peut rendre visite et à quelle fréquence.

Ces restrictions s’appliquent aussi bien aux prisons sur le territoire israélien souverain – où les Palestiniens sont détenus en violation des stipulations des lois internationales – qu’à la prison d’Ofer, située en territoire cisjordanien mais au-delà de la barrière de séparation.

Comme les visiteurs palestiniens ne sont pas en mesure d’accéder aux prisons sans dépendre de quelqu’un et qu’Israël ne facilite en aucun cas ces visites aux prisons, la tâche d’organiser ces visites incombe entièrement au Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Israël n’autorise que les parents du premier degré à rendre visite à leurs êtres chers en prison et même cela est soumis aux autorisations qu’il délivre, et uniquement dans le cadre des journées de visites prévues pendant lesquelles le CICR organise le transport.

Le CICR arrange les visites du dimanche au jeudi, avec des cars qui passent à des lieux de ramassage situés dans des villes importantes et se rendent à une ou plusieurs prisons, en fonction du programme de visite du CICR.

Jusqu’à la mi-2016, les proches qui recevaient des permis étaient à même de visiter les membres emprisonnés de leur famille deux fois par mois mais, en raison des restrictions dans le budget du CICR, en 2016, le nombre de visites a été ramené à une par mois seulement.

Jusqu’au deuxième trimestre 2019, des permis de visite étaient accordés à la plupart des membres de la famille une fois par an, et les membres de la famille frappés d’une interdiction d’entrée en Israël pour des raisons sécuritaires devaient introduire une demande de nouveau permis tous les deux ou quatre mois.

En août 2019, suite aux pressions des membres des familles et du CICR, les autorités israéliennes se sont mises à sortir des permis valides pour un an pour tous les membres de la famille ayant la permission d’effectuer des visites, y compris les gens frappés d’une « interdiction sécuritaire ».

Pourtant, ces derniers ne savent jamais réellement s’ils pourront effectuer leur visite avant d’avoir atteint le check-point, puisque, parfois, les forces de sécurité stationnées sur place ne les laissent pas passer, de sorte qu’ils sont forcés de retourner chez eux sans avoir pu visiter leur proche.

Avant la visite, le CICR soumet une liste de visiteurs au Bureau israélien de coordination de district (DCO) des diverses régions et attend que le côté israélien envoie une réponse.

Ensuite, les familles reçoivent les réponses et apprennent si leurs requêtes ont été approuvées et si elles recevront un permis d’entrée, si elles seront rejetées ou radiées de la liste parce que certains membres ne répondent pas au critère de parenté au premier degré avec le prisonnier.

Les visiteurs qui satisfont aux conditions embarquent dans un car qui, très tôt le matin, passe aux lieux de ramassage des principales villes palestiniennes ; ces personnes sont accompagnées d’un représentant du CICR.

Quand le car atteint le check-point, tous les visiteurs sont priés de débarquer et de subir une fouille corporelle et un examen des effets personnels, ce qui requiert beaucoup de temps, puis, une fois de l’autre côté du check-point, ils embarquent dans un car israélien qui les emmène à la prison.

La visite même ne dure que 45 minutes, pendant lesquelles les membres de la famille parlent à leurs proches par le biais d’un récepteur téléphonique, de part et d’autre d’un écran de verre. Chaque prisonnier a droit de recevoir jusqu’à quatre visiteurs.

Les visiteurs ne peuvent donner aux prisonniers que certaines pièces bien spécifiques d’habillement autorisées par les règlements de prison et celles-ci sont inspectées avant d’être remises au prisonnier.

Les visiteurs peuvent également déposer de l’argent pour que les prisonniers puissent acheter certaines marchandises.

Après la visite, les visiteurs retournent à bord des cars israéliens qui les ramènent au check-point et, de là, ils sont emmenés par les cars du CICR. Ils rentrent généralement chez eux le soir, après une journée épuisante.

Dans les témoignages que les proches de prisonniers ont transmis aux enquêteurs sur le terrain de B’Tselem, ils ont décrit le voyage pénible jusqu’à la prison, la brièveté de la visite et la douloureuse déception quand la demande de visite est rejetée :

a Hilweh Shabaneh fait état des difficultés inhérentes à la visite à son fils en prison

Hilweh Shabaneh, Photo: Iyad Hadad, B’Tselem

Hilweh Shabaneh, 80 ans, mariée et mère de 11 enfants, réside dans le village de Sinjil, dans le district de Ramallah.

Elle a fait état des difficultés inhérentes à la visite à son fils en prison dans un témoignage qui a été transmis à B’Tselem par l’enquêteur sur le terrain Iyad Hadad, le 30 décembre 2019 :

« Mon fils Khaled, 41 ans, a été condamné à la prison à vie et il est détenu à la prison de Nafha.

Il y a trois ans, j’ai eu une fracture de la hanche et, depuis, ma santé s’est détériorée et je lui rends moins souvent visite.

Mais, tous les quelques mois, je rassemble mes forces pour y aller quand même.

Mon mari, ‘Abd a-Rahman, est décédé en 2010 et, avant cela, il a été très malade et il n’a pas été en état d’aller voir Khaled et de lui dire au revoir.

Les frères et sœurs de Khaled lui rendent visite, mais il attend toujours que moi, j’aille le visiter.

La première année après ma fracture de la hanche, le CICR est venu me prendre chez moi et m’a ramenée avec une ambulance privée, mais c’était très cher et cela demandait beaucoup de coordination de sorte qu’on n’a plus opéré de la sorte depuis lors.

La dernière fois que j’ai été voir Khaled, c’est le 25 septembre 2019.

Ce matin-là, je me suis levée à 4 heures du matin, je me suis apprêtée et j’ai pris des antidouleurs, parce que toutes ces bousculades et ces déplacements qui font partie de la visite me provoquent de vilaines douleurs.

Je me suis assurée que j’avais ma carte d’identité et tous les papiers nécessaires, y compris un certificat médical qui dit que j’ai du platine dans la jambe, de sorte que je puisse franchir les scanners sans problème.

Quand je suis sortie avec ma fille Samiha, qui m’accompagne toujours, il faisait encore noir et le reste de la famille dormait encore.

Nous avons pris un taxi au point de ralliement, à al-Birah, et avons payé 70 shekels.

C’était le premier arrêt de la journée. Le car est parti à sept heures pour le check-point de Ni’lin, en passant par les villages situés à l’ouest de Ramallah.

Nous étions environ une cinquantaine.

La porte du check-point ne s’ouvre qu’à huit heures et c’est alors qu’on descend du car.

J’utilise une canne pour m’aider à marcher et ma fille, Samila, m’aide aussi jusqu’au où j’entre dans le check-point.

Il faut passer par deux tourniquets, ce qui est très difficile pour moi, avec la canne.

Puis nous avons déposé nos sacs et nos affaires et tout ce qui était en métal, y compris la canne, sur un tapis roulant pour les passer au scanner, après quoi nous sommes passées par un autre sas d’inspection au scanner juste à côté.

Puis chacun est passé, un à la fois, de l’autre côté d’une paroi en verre, derrière laquelle un employé est assis, et vous devez lever les mains de façon à ce qu’il puisse se rendre compte que vous n’avez rien en main, puis vous allez à une fenêtre d’acueil et vous leur donnez votre carte d’identité et votre permis.

De là, nous avons franchi un tourniquet pour nous rendre sur un parking situé du côté israélien du check-point, où un car israélien nous attendait.

Samiha est restée juste à côté de moi tout le temps, pour m’aider. Nous sommes montées dans le car et avons attendu que le dernier passager soit monté, vers 9 h 30 ou 10 h du matin.

Toute l’opération au check-point prend une heure et demie et parfois plus encore.

C’était toujours le matin mais, à ce moment-là, j’étais déjà épuisée.

Puis nous avons roulé pendant environ deux heures et demie sans le moindre arrêt.

J’avais des tas de douleurs et j’avais la nausée. J’avais les pieds et les jambes qui dormaient.

Quand nous sommes arrivées à la prison de Nafha, nous avons attendu dans une cour avec rien dedans sauf des toilettes dégoûtantes qu’il vaut mieux éviter.

Pendant ces visites, j’essaie de boire et de manger le moins possible de façon à ne pas devoir aller aux toilettes. Parfois, en fait, je jeûne.

Dans la cour de la prison, nous nous sommes séparées.

Samiha est allée chercher des cigarettes pour Khaled et moi, j’ai marché avec ma canne pour me mettre dans la file pour la visite et donner ma carte d’identité et celle de Samiha, ainsi que nos tickets et nos permis.

Samiha a également loué un cadenas, cinq shekels, pour nos affaires personnelles, parce que nous n’avons pas le droit d’avoir quoi que ce soit avec nous, pas même un mouchoir en papier.

Puis nous avons attendu avec tout le monde dans la cour. Elle a un toit, mais il n’y a pas d’air conditionné en été ni de chauffage en hiver et les conditions sont pénibles.

Environ une demi-heure plus tard, on nous a appelées et la troisième série de contrôles de sécurité en cours de visite a commencé.

Nous sommes passées par une porte électronique, avons ôté nos chaussures et nos ceintures et tout ce qui aurait pu faire sonner l’appareil.

J’ai déposé ma canne sur le tapis roulant. Nous sommes passées par un tourniquet, puis nous avons rencontré un policier ou un employé et lui avons remis 1 200 chekels pour la cantine de sorte que Khaled puisse acheter tout ce dont il a besoin à l’intérieur de la prison.

Puis nous sommes passées par une autre porte électronique dans un long corridor où nous avons attendu.

Parfois, on attend là quelques minutes, parfois plus d’une demi-heure. Par chance, cette fois, nous n’avons pas attendu longtemps.

Samiha et moi avons été appelées, nous sommes passées par un autre sas électronique et, de là, nous sommes rendues à une salle d’inspection, une à la fois.

Malgré mon état, ils n’ont pas laissé Samiha entrer avec moi.

Deux policières m’ont fouillée physiquement avec un appareil qu’elles tenaient à la main. Quand elles ont eu fini de nous examiner, nous sommes entrées dans une vaste salle avecde l’espace pour environ 200 visiteurs.

Il y a des bancs en bois, de l’air conditionné et de l’eau, mais pas de toilettes. Nous avons attendu là jusqu’au moment où ils ont fini de contrôler tout le groupe.

Habituellement, cela dure entre une demi-heure et une heure et, cette fois, cela a pris 45 minutes.

Et, ensuite, quatre policiers ont conduit le groupe vers la salle des visites. Deux policiers marchaient devant, et deux derrière.

Il y a deux salles de visite et l’une des deux est à plus de 150 mètres. Quand nous devons nous rendre dans celle-là, c’est très difficile pour moi parce que chaque pas me fait mal et on n’a aucune considération pour moi.

Quand nous sommes entrées dans la pièce, tous les prisonniers étaient déjà assis à nous attendre. Parfois, c’est le contraire.

La visite ne dure que 45 minutes et je vois mon fils derrière une vitre blindée et je ne peux lui parler que par téléphone.

Dieu merci, j’ai pu voir que Khaled était en bonne santé. Nous avons parlé de toutes sortes de nouvelles sociales et de la famille et de santé.

À la fin de la visite, ils nous ont fait passer par une porte qui débouche sur la cour de la prison et nous sommes montées dans le car et nous avons attendu que tout le monde soit là.

Il était déjà 3 h 30 de l’après-midi. Nous sommes arrivés au check-point de Qalandiya qu’il était environ 8 heures du soir. Je le jure devant Dieu, je ne souhaiterais ça à personne. Nous sommes rentrées à 9 heures du soir.

De quatre heures du matin à neuf heures du soir, dix-sept longues heures pendant lesquelles on se traîne d’un endroit à l’autre, d’un bus à l’autre et d’un contrôle de sécurité à l’autre, et on monte, et on descend, et on monte, et on descend.

Même si j’étais en acier, je m’écroulerais. C’est un voyage pénible. »

Amneh Abu Khirmeh. (Photo : Abdulkarim Sadi, B’Tselem)

Amneh Abu Khirmeh, 65 ans, veuve et mère de six enfants, habitant à Tulkarem R.C., a déclaré dans un témoignage transmis à l’enquêteur de terrain Abdulkarim Sadi, le 31 décembre 2019, qu’Israël l’avait empêchée pendant une année entière de rendre visite à deux de ses trois fils emprisonnés en Israël :

« J’ai trois fils en prison : Muhammad, 40 ans, Ahmad, 38 ans, et ‘Adnan, 34 ans.

Tous trois ont été arrêtés en 2003-2004 et condamnés à de longues peines de plus de 20 ans. Muhammad et Ahmad sont à la prison de Ramon et ‘Adnan est dans celle de Hadarim.

Je suis la seule à leur rendre visite parce que mes filles sont mariées et ont des familles, l’une en Jordanie et l’autre à Hébron et c’est difficile pour elles, et les autorités israéliennes empêchent mon quatrième fils, Mahmoud, de rendre visite à ses frères parce qu’un jour, il a été arrêté en entrant en Israël sans permis de travail.

Au cours des cinq premières années de leur détention, Israël m’a interdit de leur rendre visite, prétendant que j’étais sous le coup d’une interdiction sécuritaire.

Pendant ce temps, d’autres membres de la famille ont reçu des permis pour aller les voir. Depuis lors, le CICR s’est arrangé pour m’obtenir des autorisations de visite, du type de celles des gens avec des interdictions sécuritaires, et je peux aller voir mes fils une fois par mois.

Pour leur rendre visite, je dois quitter ma maison à 5 h 30 du matin, me rendre à un endroit où tout le monde se retrouve et d’où partent les autocars du CICR, et on attend là, avec les autres membres des familles jusqu’à ce que les cars s’en aillent, vers 7 heures.

Les cars se rendent au check-point de Sha’ar Efrayim, qui ouvre à 8 heures du matin pour les visiteurs qui ont des autorisations de traverser à pied pour des « raisons spéciales », après quoi on entame les procédures de sécurité.

Cela comprend un contrôle de sécurité avec des instruments électroniques et une inspection des permis de visite. L’inspection des papiers de tous les membres de la famille prend plus d’une heure et, s’ils envoient quelqu’un dans le local où ils font les fouilles corporelles, cela prend plus de temps encore.

En 2019, les autorités israéliennes m’ont interdit une fois de plus de rendre visite à mes fils.

J’obtenais un permis d’entrée israélien mais, chaque fois que je passais par le check-point de Sha’ar Efrayim, les gardes de la sécurité m’interdisaient de traverser. Je n’ai pas vu mes fils pendant toute une année et personne n’a pris la peine de m’expliquer pourquoi on ne me laissait pas passer. Cela a continué comme cela jusqu’au 5 décembre 2019, date à laquelle on m’a finalement permis d’aller voir mon fils ‘Adnan, qui est à la prison de Hadarim.

Je ne croyais pas qu’ils allaient réellement me laisser passer jusqu’au moment où je suis arrivée au dépôt du car où tous les proches des prisonniers attendent après qu’ils ont fini de passer par tous les contrôles de sécurité.

À la prison, j’ai vu ‘Adnan pendant 45 minutes seulement. Je lui a parlé par téléphone alors qu’une paroi en verre nous séparait.

Le 11 décembre 2019, j’étais censée aller visiter mes fils Muhammad et Ahmad à la prison de Ramon. Je me suis apprêtée et j’ai quitté la maison à 5 h 30 du matin. Le car a quitté le point de rassemblement à Tulkarem et est allé jusqu’au check-point de Sha’ar Efrayim et, à 8 heures, les familles ont pu entrer dans le check-point et entamer les contrôles de sécurité. Quand je suis arrivée au point de contrôle des permis et des documents, la responsable de la sécurité de la société privée m’a retenue pendant plus d’une demi-heure en présence du représentant du CICR, qui supervise la procédure et, finalement, elle m’a interdit l’entrée et m’a ordonné de retourner à Tulkarem. Quand j’ai demandé pourquoi, elle m’a répondu que j’avais une interdiction ISA.

Je ne comprends pas comment, pendant toutes ces années, on m’a remis des permis par le biais du CICR, puis pourquoi on m’a ensuite interdit de traverser. Je n’ai plus vu Muhammad et Ahmad depuis plus d’un an, à cause de cette interdiction sécuritaire. »

Husniyeh Abu Shakhdam, 75 ans, veuve et mère de 11 enfants, habitant Jabal al-Rahmeh à Hébron, a elle aussi parlé des difficultés impliquées par la visite de son fils en prison. Son témoignage a été repris par l’enquêteur de terrain de B’Tselem, Manal al-Ja’bri, le 13 janvier 2020 :

Légende photo : Husniyeh Abu Shakhdam. (Photo : Manal al-Ja’bri, B’Tselem)

Mon fils, Wael, 38 ans, est en prison depuis 2002. Il a été condamné à six fois la perpétuité plus 20 ans. Depuis, il a séjourné dans trois prisons : Nafha, Rimon et Ashkelon.

Depuis deux ans déjà, ses frères et sœurs ont pu lui rendre visite sans moi, parce que les visites impliquent une grande souffrance et je suis une vieille femme, aujourd’hui. C’est un voyage pénible et douloureux qui commence à 4 heures du matin. Dans le car vers le check-point de Tarqumya, il n’y a pas d’arrêt. Je suis diabétique et je dois aller aux toilettes très souvent, en cours de route, si bien que, pour éviter la chose, je ne bois rien, ce matin-là.

Après toutes ces choses pénibles et ces contrôles, il n’y a que 45 minutes pour la visite même, de part et d’autre d’une paroi en verre et par téléphone. Ce n’est pas assez pour atténuer le désir qui nous ronge le cœur.

Demain, malgré tout, je prévois d’y retourner encore, après ne plus avoir vu Wael depuis deux ans. L’envie de le revoir me ronge le cœur et j’ai toujours peur de mourir avant de l’avoir revu. Je prie Dieu de me donner la force d’endurer les difficultés du voyage et toute cette souffrance.

Après avoir vu son fils, Husniyeh Abu Shakhdam a déclaré à Manal al-Ja’bri :
Wael a été très heureux que je puisse venir. J’ai essayé de ne pas pleurer en face de lui, il a supplié les gardiens de pouvoir me prendre dans ses bras, mais ils ne l’ont pas laissé faire. J’étais si heureuse d’avoir pu m’y rendre et le voir après que nous ne nous étions plus vus depuis deux ans mais, comme d’habitude, le trajet a été épuisant, j’étais très fatiguée et le temps était terrible aussi et il faisait très froid. Je ne sais pas si j’aurai encore une chance de jamais le revoir.

Maqboulah ‘Abd al-Jalil. (Photo : Salma a-Deb’i, B’Tselem)

Maqboulah ‘Abd al-Jalil, 65 ans, mariée et mère de cinq enfants, habitant à Naplouse, a dit ce qui suit dans un témoignage transmis à l’enquêteuse de terrain de B’Tselem, Salma a-Deb’i, le 20 janvier 2020 :

Mon fils Raed, 39 ans, a été condamné à quatre fois la perpétuité plus 40 ans.

On ne nous a pas dit où il était pendant les quatre mois qui ont suivi son arrestation, en 2002, et, même alors, on ne nous a pas permis de le voir, on nous a dit que toute la famille était sous le coup d’une interdiction sécuritaire.

Ce n’est qu’un an et demi après qu’ils m’ont permis de lui rendre visite pour la première fois.

Après cela, je me suis retrouvée avec un problème cardiaque et ma santé s’est détériorée.

Je voulais encore lui rendre visite, quoi qu’il en soit, mais, chaque fois que j’essayais d’obtenir un permis, on me le refusait.

Mon mari et mes enfants obtenaient des permis, mais pas moi.

Cela a continué ainsi pendant une dizaine d’années et, ensuite, j’ai fini par obtenir un permis pour un an, lequel me permet d’aller voir Raed une fois par mois.

Ces cinq dernières années, Raed les a passées à la prison de Gilboa.

La nuit avant ma visite, je suis toujours si excitée que je ne puis m’endormir.

Je me lève à quatre heures du matin et c’est alors que le voyage épuisant commence.

Je fais mes préparatifs et j’enlève même l’armature de mon soutien-gorge afin que le scanner du check-point ne sonne pas quand je passe dedans.

Pendant la visite, une paroi en verre nous sépare et nous ne pouvons parler que par téléphone.

Ces 18 dernières années, je n’ai pu voir Raed en face à face qu’à quatre reprises, chaque fois pendant quelques secondes à peine, quand on nous a permis de prendre une photo ensemble.

Quand il est temps de partir, au bout de 45 brèves minutes, je me sens profondément triste de laisser Raed tout seul derrière mois, de ne pouvoir l’emmener à la maison, de prendre soin de lui et de lui cuisiner les aliments qu’il aime.

Raed aime tout particulièrement l’okra et, au cours des années qui ont suivi son arrestation, je n’ai pas été capable de cuisiner de l’okra ni ses biscuits favoris qu’il m’aidait à faire.

Tout ce que je souhaite afin de mourir en paix, c’est de pouvoir le voir en dehors de la prison.

Rima Janazra. Photo : B’tselem

Rima Janazra, 37 ans, femme d’intérieur d’al-Fawwar R.C., mariée et mère de trois enfants, a parlé des difficultés de rendre visite à son mari dans un témoignage adressé à l’enquêteur de terrain de B’Tselem, Musa Abu Hashhash, le 27 décembre 2019 :

Mon mari Sami a été arrêté le 16 septembre 2019 et placé en détention administrative pendant quatre mois. Il est censé sortir le 15 janvier 2020 (*).

Nous avons trois enfants, L’aîné, Firas, a 15 ans, la plus jeune, Maria, 9 ans, et je suis enceinte de sept mois.

Sami a déjà connu la détention administrative pendant 11 mois, 2017-2018, une période pensant laquelle il a fait une grève de la faim de 10 jours.

Mes enfants et moi lui avons rendu visite, à l’époque. On le déplaçait de la prison d’Ofer à Ketziot. Les enfants étaient plus jeunes et les visites réellement horribles.

À quatre heures du matin, nous avons eu un véicule qui nous a emmenés à Hébron, où nous sommes montés dans des cars avec des dizaines d’autres parents de prisonniers.

Sur le chemin de la prison, nous sommes passés par les check-points de Tarqumya ou de Metar, et nous y avons attendu longtemps.

Les soldats nous ont contrôlés complètement, un par un, y compris les enfants. Ils ont tout confisqué, sauf l’eau.

Nous avons également attendu longtemps dans la cour de la prison, où chacun, y compris les enfants, est passé une nouvelle fois par les contrôles de sécurité, puis on nous a enfermés dans une pièce avec tous les autres visiteurs, jusqu’au moment de la visite.

Parfois, nous attendions pendant une heure, parfois pendant plusieurs heures, selon que les visites avaient lieu l’après-midi, ou le soir.

Cette attente était particulièrement pénible. Beaucoup d’enfants pleuraient et les mères essayaient de les consoler. Nombre d’enfants étaient couchés sur les chaises.

La visite même était également une expérience difficile, de part et d’autre d’une paroi de verre et à l’aide d’un récepteur téléphonique.

Parfois, je devais crier pour que mon mari puisse m’entendre. Il y avait beaucoup de bruit dans la pièce et la visite se terminait si vite.

Après une journée aussi dure sur la route et toute cette attente ensuite, ç’a été pénible pour moi de ne pouvoir voir mon mari et lui parler qu’un bref instant.

À cause de cela et du fait que je suis enceinte, cette fois, j’ai décidé de ne pas lui rendre visite.

Mon mari m’a également démandé de ne pas venir, espérant qu’il serait libéré au bout de quatre mois.

Mais, s’ils prolongent sa détention, je vais devoir lui rendre visite.

Personne d’autre ne peut le faire, puisque sa mère est âgée et malade et qu’elle elle ne peut donc faire le voyage, et nos enfants sont trop jeunes et ne peuvent lui rendre visite sans que je les accompagne.

(*) Le 5 janvier 2020, la détention administrative de Sami Janazra a été prolongée de quatre nouveaux mois supplémentaires.


Publié le 12 janvier 2020 sur le site de B’tselem sous le titre : 

Le voyage pénible : visites de Palestiniens de Cisjordanie à leurs proches détenus dans des prisons israéliennes

Photo à la une : Raya Obeid, la mère de Fares Baroud, tient sa photo. Fares est mort en prison, peu de temps après la visite de sa mère. (Photo: via les médias sociaux)

Traduction : Jean-Marie Flémal

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