Que se passerait-il si le coronavirus atteignait Gaza en état de siège ?

 

16 février 2020. Au passage frontalier de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, des employés du ministère palestinien de la Santé préparent des pavillons de quarantaine afin de tester l'éventuelle présence du coronavirus chez des passagers de retour de Chine. (Photo : Mariam Dagga / APA Images)

16 février 2020. Au passage frontalier de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, des employés du ministère palestinien de la Santé préparent des pavillons de quarantaine afin de tester l’éventuelle présence du coronavirus chez des passagers de retour de Chine. (Photo : Mariam Dagga / APA Images)

Alors que la question revêt une grande urgence pour tous les Palestiniens vivant sous l’occupation militaire israélienne, la situation à Gaza est particulièrement complexe et extrêmement préoccupante.

Près de 50 pays font déjà état de cas de la maladie COVID-19, l’une des plusieurs épidémies qui sont provoquées par le coronavirus.

Si les pays développés, comme l’Italie et la Corée du Sud, luttent pied à pied pour tenter de contenir le virus mortel, on ne peut qu’imaginer ce que les Palestiniens occupés auraient à affronter si le virus devait frapper.

En fait, selon les rapports palestiniens officiels, le coronavirus à déjà atteint la Palestine suite à une visite effectuée par une délégation sud-coréenne durant la période située entre le 8 et le 15 février, visite qui comprenait une tournée dans quelques-unes des principales villes palestiniennes comme Jérusalem, Jéricho, Hébron et Bethléem.

L’Autorité palestinienne s’est emmêlée les pinceaux pour empêcher la diffusion de l’information, ce qui a provoqué une panique palpable parmi une population qui n’a déjà que très peu confiance dans ses dirigeants, pour commencer.

Le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh, « espérait » que les « propriétaires des services inconnus » allaient assumer leur responsabilité personnelle et fermer leur entreprise et autres établissements qui sont ouverts au public.

Le ministre palestinien de la Santé lui a emboîté le pas en déclarant un « état d’urgence » dans tous les hôpitaux sous juridiction de l’AP en Cisjordanie, désignant un centre de quarantaine non loin de Jéricho pour les personnes en provenance de Chine et d’autres régions fortement touchées par le coronavirus.

Pour les Palestiniens, toutefois, lutter contre une épidémie du coronavirus ne constitue pas un problème direct, même si les services de l’AP, passablement dysfonctionnels, suivent à la lettre les instructions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les Palestiniens sont séparés par une matrice israélienne de contrôle qui a exclu de nombreuses communautés derrière d’épaisses murailles de béton, de check-points militaires et d’ordonnances militaires impossibles à contourner, le tout étant intrinsèquement destiné à affaiblir la communauté palestinienne et à faciliter la mission du gouvernement israélien consistant à contrôler les Palestiniens et à coloniser leur terre.

Que peut faire l’AP pour venir en aide aux dizaines de milliers de Palestiniens vivant dans la « zone C » de la Cisjordanie occupée ? Cette région est entièrement sous le contrôle de l’armée israélienne, qui a peu d’intérêt dans le bien-être des habitants palestiniens qui y résident.

De telles questions devraient être envisagées dans le contexte de ce que l’OMS définit comme « inégalités sur le plan de la santé » parmi les Palestiniens, d’une part, et entre les Palestiniens et les colons juifs privilégiés, d’autre part.

D’une certaine façon, bien des communautés palestiniennes sont déjà confinées en « quarantaine » par Israël, mais pour des raisons politiques, et non médicales.

Une épidémie de coronavirus dans certaines de ces communautés, particulièrement celles qui sont coupées de soins de santé convenables et de services médicaux bien équipés, s’avérerait désastreuse.

Le pire des sorts, toutefois, attend Gaza, si le virus mortel à la propagation rapide devait trouver son chemin de partout et forcer le siège hermétique qui emprisonne cette région minuscule mais à la population très dense.

Gaza, qui subit sa 12e année de siège israélien et qui titube toujours sous les destructions massives provoquées par plusieurs guerres israéliennes, a déjà été déclarée « inhabitable » par les Nations unies.

Cependant, la misère de Gaza ne cesse jamais de prendre de l’ampleur. Pas un seul rapport de l’ONU sur les services médicaux déficients de Gaza ou sur les mesures de préventions tout aussi faibles depuis ces dix dernières années n’a utilisé un langage positif ou même quelque peu optimiste.

En mars dernier, le coordinateur humanitaire des Nations unies pour le territoire palestinien occupé, M. Jamie McGoldrick, se lamentait sur les « coupures de courant à répétition » à Gaza, « les brèches dans les services d’une importance critique, y compris la santé mentale et le soutien psychosocial, et les pénuries dans les fournitures et médicaments essentiels ».

En janvier, le groupe israélien de défense des droits, B’Tselem, parlait d’une crise de la santé sans précédent à Gaza en état de siège, une crise qui n’était certes pas alimentée par le coronavirus ou quelque autre épidémie mais par le fait que les hôpitaux de Gaza, qui fonctionnent à peine, tentent désespérément de traiter les séquelles des milliers de blessures résultant de la « Grande Marche du Retour » qui a eu lieu du côté gazaoui de la clôture de séparation.

B’Tselem a déjà publié des rapports disant entre autres que

« l’illégale politique de tir à vue à laquelle recourt Israël contre ces manifestations, permettant à ses soldats de tirer à balles réelles sur des manifestants sans armes qui ne sont un danger pour personne, a abouti à des résultats horrifiants ».

L’association israélienne a cité des estimations modérées fournies par l’OMS disant que, fin 2019, les médecins de Gaza devaient effectuer des opérations des membres sur 155 manifestants, dont 30 enfants. Ceci, en sus des douzaines de manifestants qui sont désormais paralysés pour de bon à cause de traumatismes médullaires.

Tout cela n’est qu’une infime partie d’une crise présentant bien plus de facettes multiples. Non seulement la rougeole et d’autres maladies hautement contagieuses ont refait surface à Gaza, mais des maladies hydriques se propagent également à un niveau alarmant.

97 pour 100 de toute l’eau à Gaza est impropre à la consommation humaine, selon l’OMS, qui pose timidement la question : Comment les hôpitaux de Gaza pourraient-ils affronter l’épidémie de coronavirus si, dans certains cas, de l’eau potable n’est même pas disponible dans le plus grand hôpital de Gaza, celui d’Al-Shifa ?

« Même quand il y en a, les docteurs et les infirmières sont incapables de se stériliser les mains en raison de la qualité de l’eau », a fait savoir la RAND Corporation.

Le directeur de l’OMS en Palestine, Gerald Rockenschaub, s’est exprimé avec assurance à propos de sa rencontre avec la ministre palestinienne (AP) de la Santé, Mai Al-Kaila, à Ramallah le 25 février dernier, où ils ont discuté de la nécessité de « davantage de mesures préventives » et d’« actions préventives prioritaires supplémentaires » en Cisjordanie et à Gaza.

L’OMS a également annoncé qu’elle organisait « une coordination avec les autorités locales à Gaza » pour assurer sur tout le territoire la prévention contre le coronavirus.

Ce langage qui se veut rassurant dissimule toutefois une horrible réalité, une réalité que l’OMS et la totalité des Nations unies ont été incapables d’affronter au cours de la dernière décennie.

S’il est vrai qu’ils détaillaient correctement le problème, tous les rapports antérieurs de l’OMS sur Gaza ont fait très peu pour diagnostiquer ses racines ou pour y apporter une solution permanente.

En effet, les hôpitaux de Gaza sont plus dysfonctionnels que jamais, l’eau de Gaza est plus polluée que jamais et, en dépit des mises en garde répétées, la bande est toujours impropre à toute occupation par l’homme, suite au siège brutal organisé par Israël et au silence de la communauté internationale.

La vérité est qu’aucune dose de mesure « préventive » à Gaza – ou, honnêtement, partout en Palestine occupée – ne pourrait arrêter la propagation du coronavirus.

Ce qu’il faut, c’est un changement fondamental et structurel qui émanciperait le système palestinien des soins de santé en le libérant de l’impact horrible de l’occupation israélienne et de la politique du gouvernement israélien misant sur un état de siège permanent l’imposition politique de « quarantaines » – que l’on appelle également « apartheid ».


Publié le 5 mars 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

Ramzy Baroud est un journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est The Last Earth: A Palestinian Story (Pluto Press, Londres, 2018). Il a acquis un doctorat en Études palestiniennes à l’Université d’Exeter et est chercheur non résident au Centre Orfalea des Études mondiales et internationales, à l’UCSB.

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