Le calendrier de la liberté

Cette histoire a été tissée à l’aide des fils de l’espoir, encore que cet espoir soit toujours enfermé dans une boîte. Quoi qu’il en soit, le vieil homme dont il est question ici est parvenu à se saisir de cet espoir en créant un beau tableau intitulé « le calendrier de la liberté », lequel aide les jours à s’écouler rapidement – les jours qui séparent les gens emprisonnés dans les geôles israéliennes et les gens du dehors, leurs familles, leurs fils, ceux qui les aiment…

Sami Samir Albreem, Gaza, 21 décembre 2020

Le calendrier de la liberté

Sameeh Qadan est âgé de 74 ans. Il est un père attentionné pour ses fils et particulièrement pour le plus jeune qui, depuis sa naissance, a toujours occupé une place spéciale dans son cœur, ce fils qui lui a été ravi par l’occupation israélienne alors qu’il venait d’avoir 27 ans.

Mais la vie a donné à ce père quelque chose de très grand, et c’est l’espoir. C’est ce qui lui a donné la force de poursuivre sa vie sans son fils, à qui il ne peut que rarement rendre visite à l’intérieur de la prison.

Un fils grandit

Ce fils s’appelle Abdul Raouf Qadan. Il est né le 6 novembre 1977. Depuis son enfance, Abdul aimait le sport et il pratiquait le basket-ball dans son club local. Il y avait passé le plus clair de son temps et son père disait qu’il ne voyait jamais son fils parce qu’il était tellement attiré par le sport, avec ce rêve qui ne cessait de le hanter : devenir un basketteur professionnel.

Abdul Raouf allait rapidement développer un sens des responsabilités, également, en ne cessant de s’enquérir de sa famille et d’aider ses proches en leur apportant ce dont ils avaient besoin. Simultanément, il passait du temps avec ses amis qui, comme lui, se sentaient responsables envers leur peuple et s’inquiétaient de ce que lui faisait subir l’occupation israélienne.

Abdul Raouf et ses amis avaient choisi de s’exprimer. Malheureusement, ces actions ne durèrent pas longtemps, car les forces israéliennes les poursuivirent. À de nombreuses reprises, les militaires firent irruption dans la maison de ses parents pour tenter de s’emparer de lui et c’est ainsi qu’il fut obligé de se tenir à l’écart, ne pouvant plus rentrer, même pour voir ses proches. Sa famille lui manquait tellement, surtout lors du ramadan, à l’iftar, chaque année.

Puis Abdul franchit un pas important dans la vie : Il se maria. Quand sa femme mit au monde son premier et seul enfant, la famille d’Abdul lui manqua plus encore et l’envie de ses proches de rencontrer son épouse et son enfant pesèrent encore davantage comme une nécessité.

La capture

Un jour, son père l’appela et lui dit :

« J’aimerais que vous soyez avec nous à l’iftar. Cela fait longtemps, et vous nous manquez aujourd’hui plus que jamais. »

Abdul acquiesça et décida de rejoindre sa famille pour l’iftar.

Il ne savait pas que ce serait son dernier iftar. Le 8 novembre 2004, alors qu’il était en route vers la maison de sa famille, il tomba sur des soldats israéliens à un check-point sur la grand-route  Salah Al Din. Il était assis dans sa voiture en souhaitant que les soldats ne le reconnaîtraient pas mais, malheureusement pour lui, ils le reconnurent. Ils le capturèrent, l’envoyèrent en prison et il fut condamné à 16 années d’emprisonnement.

Ce fut un énorme choc, pour la famille. Il leur adressa des lettres en leur parlant de sa santé et de sa situation, et ses parents s’arrangèrent pour lui rendre visite un mois après son arrestation. Ils étaient remplis de tristesse de le voir à l’intérieur de la prison. Abdul Raouf lui-même était très triste et désespéré, comme tout être humain qui a perdu sa liberté.

Abdul Raouf se fit une autre famille, en prison – d’autres détenus prirent soin de lui. Toutefois, pendant sept mois, il fut soumis à de nombreux interrogatoires au cours desquels il fut torturé, battu et soumis à toutes sortes de violences psychologiques.

Pendant ce temps, son fils unique, Sameer, grandissait et sa femme décida d’épouser un autre homme, car la situation était bien trop difficile pour elle.

Une autre douleur

Les parents d’Abdul Raouf et son fils allaient lui rendre visite quand ils le pouvaient et sa mère, qui avait une place spéciale dans son cœur pour le plus jeune de ses fils, rassembla un tas de cadeaux et de vêtements qu’elle avait l’intention de lui donner quand il sortirait de prison.

Puis vint un temps plus pénible encore, pour Abdul Raouf. Sa mère tomba malade. Pendant cinq ans, elle ne put plus lui rendre visite et, ensuite, elle décéda. Son tout dernier souhait fut de voir son fils sortir de prison et de pouvoir lui remettre les cadeaux.

« Nous hésitions à prévenir Abdul Raouf du décès de notre maman »,

expliqua Sameer, le frère aîné.

« Mais, le lendemain matin, nous fûmes surpris de recevoir un appel de sa part, nous disant qu’il était déjà au courant et nous demandant de confirmer que c’était vrai. »

Ce fut néanmoins très difficile pour Abdul Raouf d’accepter la disparition de sa mère. Puisqu’il était en prison, il ne put la voir une dernière fois ni non plus assister aux funérailles.

Continuer à lutter

Abdul Raouf est à la prison de Nafha, dans le Néguev, le plus grand désert de Palestine, et il souffre tantôt de la chaleur estivale extrême, tantôt du froid rigoureux de l’hiver. Cette prison est considérée comme l’une des plus dures et sévères de l’occupation. Abdul Raouf y poursuit des études. Il a déjà obtenu deux diplômes de bachelier, un premier en histoire et un autre en sociologie de l’Université ouverte d’Al-Quds. Il a également suivi tout un cycle scientifique en médias et droits humains. 

Il a tenté d’obtenir une maîtrise au centre de détention de Hadarim, puisque c’est la seule prison qui procure un diplôme de maîtrise, mais il n’a pu y arriver parce que cela aurait signifié qu’il lui aurait été impossible de voir ses parents, Hardarim étant trop éloigné de chez eux. Il espère donc obtenir cette maîtrise une fois qu’on lui aura rendu sa liberté.

Le décompte des jours avant la libération

À l’extérieur, son père Sameeh ne perdait pas espoir, malgré la tristesse du décès de son épouse sans qu’elle ait pu voir se réaliser son grand rêve. Il craignait de subir le même sort que celui de sa femme. Il décida donc de faire quelque chose afin de conserver l’espoir en son cœur et c’est ainsi qu’il réalisa un calendrier. Quand on en fut à une année de la libération de son fils, il dessina chaque chiffre, de 1 à 365, qu’il plaça dans de petites cases disposées sur une large feuille de papier.

« Chaque matin, quand je barre un chiffre, je me sens très heureux »,

déclara-t-il

« Cela m’aide à gagner beaucoup de force en attendant le jour de la libération. »

Il espère être encore en vie quand ce sera le cas, afin de pouvoir réaliser le rêve de sa femme. Il espère aussi faire une grande cérémonie et trouver une nouvelle épouse pour Abdul Raouf de sorte que son fils puisse entamer à nouveau une existence normale. Sameeh est désormais empli de bonheur, parce que le moment de la libération de son fils est proche et il sera à même de passer à nouveau du temps avec lui, dans un confort total, comme aux temps anciens.

Abdul Raouf a aujourd’hui 43 ans. Il avait été arrêté alors qu’il avait 27 ans. Son fils Sameer a 16 ans.


Publié le 21 décembre 2020 sur We are not numbers
Traduction : Jean-Marie Flémal

Note de l’auteur : Abdul Raouf a été libéré le 6 novembre 2020.

Lisez ici le poème de Muʿin Bseiso, poète, dramaturge et dirigeant communiste de Gaza : Trois murs pour la salle de torture

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