Prudence avec la nouvelle définition de l’antisémitisme !

Une nouvelle définition de l’antisémitisme a vu le jour, visant à clarifier et « améliorer » une interprétation largement discréditée qui a entravé et menacé le soutien aux droits palestiniens.

Mais les organisations palestiniennes et juives de la société civile invitent instamment les militants des campagnes pour les droits humains à approcher cette déclaration avec prudence.

Les groupes de pression pro-israéliens ont tenté de taxer certain soutien aux droits palestiniens d’antisémitisme. Une nouvelle définition de l’intolérance envers les juifs contribuera-t-elle à modifier cela ? (Photo : Mahmoud Ajjour APA images)

Nora Barrows-Friedman, 29 mars 2021

La Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (DJA), signée par plus de 200 universitaires, est proposée comme alternative à la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA), qui confond la critique à l’égard d’Israël et de son idéologie étatique, le sionisme, avec la haine des juifs.  

Dans leurs efforts de protéger Israël de la critique, les groupes de pression pro-israéliens et les individus qui leur sont associés en Europe, au Canada et aux États-Unis ont poussé les représentants du peuple, les législateurs et les administrations universitaires à adopter la définition de l’IHRA et ce, avec un certain succès. 

Mais on a assisté à une opposition ferme de la part des partisans des droits humains et de la liberté d’expression.

La nouvelle déclaration dit que l’antisémitisme devrait être défini comme

« une discrimination, un préjugé, une hostilité ou de la violence contre les juifs en tant que tels »

et elle affirme que la critique à l’égard du sionisme, l’opposition à l’apartheid israélien et au système colonial d’implantation, ainsi que le soutien à la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) ne sont pas antisémites.

Mais, alors que la nouvelle définition

« peut servir d’instrument dans le combat contre le maccarthisme antipalestinien et la répression que les responsables de la définition de l’IHRA ont intentionnellement promue, la déclaration de Jérusalem « exclut les perspectives palestiniennes représentatives »,

affirme le Comité national BDS palestinien (BNC).                                                                                                                                                       “Outre le « titre mal choisi » de la déclaration et la plupart de ses directives, elle se concentre sur la Palestine et Israël et sur le sionisme, renforçant de façon injustifiable les tentatives en vue d’associer le racisme antijuif et la lutte pour la libération palestinienne, ce qui, par conséquent, a un impact sur notre lutte», ajoute l’organisation de la coalition.

L’exclusion des perspectives palestiniennes, disent-ils, indique

« une omission qui en dit long sur les relations de pouvoir et de domination asymétriques et sur la façon dont certains libéraux essaient toujours de prendre des décisions qui nous affectent profondément, mais sans nous ».

 

Cette nouvelle définition

« risque de renforcer l’impulsion en vue de décider pour les Palestiniens et leurs alliés ce qu’il est acceptable de dire d’Israël et des expériences vécues des Palestiniens »,

a déclaré la directrice de Palestine Legal, Dima Khalidi.

En outre, la déclaration n’identifie pas avec à-propos les suprémacistes blancs et les organisations d’extrême droite comme les tout premiers responsables de la violence antisémite.

Ceci « laisse par inadvertance l’extrême droite hors de portée », met en garde le Comité national du Boycott (BNC), « malgré une brève mention » dans la liste des questions fréquemment posées de la déclaration.

Un accueil prudent

Jeudi, Corey Balsam, de Voix juives indépendantes – Canada, a déclaré que la DJA pouvait servir

« d’outil utile pour les gouvernements et institutions qui combattent sérieusement l’antisémitisme, au lieu de préférer marquer des points auprès du gouvernement israélien et des groupes de pression pro-israéliens ».

Balsam a toutefois mis en garde contre le fait que la déclaration se concentre sur Israël et la Palestine et que « cela risque donc de contribuer à un intense contrôle policier du discours » et que

« cela nous détourne des réels dangers auxquels, en tant que juifs, nous sommes confrontés aujourd’hui de la part des suprémacistes blancs et de l’extrême droite ».

« Il est regrettable que plus d’une année de temps et d’énergie intellectuelle ait été dépensée dans cette initiative qui, en outre, risque de classer le discours concernant les juifs comme un « cas spécial » requérant son propre jeu de directives »,

écrit Barry Trachtenberg, un universitaire qui a lui aussi signé la déclaration, peut-on lire dans Jewish Currents.

Trachtenberg est également membre du comité de consultance académique de Voix juive pour la paix.

« Cependant, les dégâts infligés par la définition de l’antisémitisme par l’IHRA sont profonds. Elle a entravé des débats raisonnables sur Israël et n’a rien fait pour réduire l’antisémitisme. Elle doit être carrément arrêtée dans son élan »,

ajoute-t-il.

Cette semaine, Palestine Legal a publié en ligne un toolkit interactif qui suit l’évolution et la mise en application de la définition de l’IHRA et qui montre également l’impact que cela a pu avoir sur les partisans des droits palestiniens.  

En 2020, des représentants du peuple et législateurs fédéraux et des États ont introduit plus de 20 mesures « visant à réduire au silence, condamner ou punir le soutien aux droits palestiniens », rapporte cette organisation des droits civiques. Parmi ces mesures figuraient des projets de lois condamnant la campagne BDS aussi bien que la promotion de la définition de l’IHRA.

Parmi les centaines de cas de répression auxquels Palestine Legal a répondu en 2020, deux tiers (66 pour 100) comprenaient de fausses accusations d’antisémitisme.

De larges efforts en vue de promouvoir la définition de l’IHRA peuvent avoir joué un rôle dans l’augmentation du nombre d’accusations d’antisémitisme motivées politiquement à l’encontre de partisans des droits palestiniens », déclare Palestine Legal.

 

Les droits de qui ?

Une autre critique majeure de la déclaration des militants des campagnes en faveur des droits palestiniens porte sur le langage qui pourrait donner aux droits des colons israéliens la priorité sur ceux des Palestiniens.

Alors que la Déclaration de Jérusalem maintient

« la revendication des Palestiniens en faveur de la justice et l’octroi complet de leurs droits politiques, nationaux, civiques et humains, comme le prévoient les lois internationales »,

elle définit aussi

« le rejet du droit des juifs à exister et prospérer collectivement et individuellement en tant que juifs, dans l’État d’Israël, et ce, selon le principe de l’égalité »,

comme un acte d’antisémitisme.  

Ici, le BNC fait remarquer que, de façon inquiétante,

« cela ne tient pas compte de la distinction nécessaire entre l’hostilité et les préjudices envers les juifs, d’une part, et l’opposition légitime à la politique, l’idéologie et le(s) système(s) d’injustice d’Israël, d’autre part ».

La déclaration signale qu’il serait antisémite de refuser aux colons juifs israéliens le « droit » de remplacer les Palestiniens sur des terres ayant fait l’objet d’une épuration ethnique, met encore en garde le BNC.

« Les réfugiés palestiniens devraient-ils se voir refuser leur droit au retour chez eux, stipulé par l’ONU, afin de ne pas porter atteinte à certain ‘droit juif collectif’ présumé à une suprématie démographique ? »,

ajoute l’organisation.

« Quid de la justice, du rapatriement et des réparations conformes aux lois internationales et comment peuvent-ils avoir un impact sur certains ‘droits’ présumés des Israéliens juifs qui occupent les habitations ou les terres des Palestiniens ? »

Plus important encore, affirme l’organisation de la coalition palestinienne, « qu’est-ce que tout cela a à voir avec le racisme antijuif ? »


Publié le 29 mars 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Nora Barrows-Friedman est une journaliste faisant partie de l’équipe de The Electronic Intifada, et elle est l’auteure de « In Our Power : US Students Organize for Justice in Palestine » (Just World Books, 2014).

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