Ne pleurez pas pour Lifta : Les Palestiniens survivront

Ne pleurez pas pour Lifta : Les Palestiniens survivront – Jamais on ne réalisera de film intitulé « Le dernier des Palestiniens » !

« Le paysage de Jérusalem vu à travers les ruines d’une maison de Lifta, 2017. » (Photo :  World Monuments Fund)

Rima Najjar, 25 juillet 2021

La dernière chose dont nous, Palestiniens, avons besoin est de nous accommoder de la tristesse provoquée par notre dépossession des œuvres de l’État colonial de peuplement et d’apartheid juif. La dernière chose dont nous avons besoin est de nous résigner aux « faits sur le terrain ».

Le très récent article publié dans Haaretz (par Gideon Levy et Alex Levak) sur le village palestinien de Lifta, dépeuplé de force, déplore l’effondrement imminent des ruines de ce qui reste de l’ancien village palestinien et, par extension, de toute la Palestine. L’article se lit comme une élégie. L’accent est placé sur la perte, le chagrin et la douleur alors que ce dont nous avons de toute urgence besoin, nous, Palestiniens, c’est que l’accent soit mis sur l’espoir, la révolution et la résistance.

Le titre de Haaretz dit ceci :

« Le village le plus triste d’Israël – Les plans de construction de plus de 250 logements de luxe [destinés aux Juifs israéliens] sur les ruines du village palestinien de Lifta vont se concrétiser. Une balade parmi les maisons de ce très beau village en compagnie de l’un de ses derniers réfugiés encore en vie. »  

Le cadrage sioniste débute exactement là, dans le titre, tout d’abord avec l’omission de toute mention de la destination de ces maisons de luxe que l’on va construire (les quatre mots que j’ai ajoutés entre crochets). Ensuite, la balade a pour guide Yacoub Odeh, qui est décrit comme l’un des « derniers réfugiés encore en vie » de Lifta.

Odeh n’est pas l’un des « derniers réfugiés en vie » de Lifta. Mes petits-enfants et autres bébés qui naissent aujourd’hui dans des familles originaires de Lifta sont les derniers ou, plutôt, la dernière génération en vie. Les Palestiniens et la communauté internationale définissent les réfugiés palestiniens en y incluant les descendants des réfugiés de 1948 et 1967. [Voir : Les réfugiés palestiniens et le droit au retour.]

On ne réalisera jamais de film intitulé « Le dernier des Palestiniens » !  

Levy et Levak écrivent : « Voici le village le plus triste d’Israël et probablement le plus beau également. »

Lifta est-il le village le plus triste et le plus beau d’Israël ? Certes non. Plus triste encore et tout aussi beau est le village voisin d’Ein Karem, qui a déjà été « rénové » et qui est l’une des toutes premières destinations d’excursion à Jérusalem.

« Ein Karem est encore un endroit tranquille, avec des arbres et des vignes, mais la municipalité de Jérusalem s’est étendue au point d’incorporer l’ancien village arabe. »

C’est devenu une

« ville judéenne, une ville d’artisans et d’hommes de métier juifs, mais les églises et monastères chrétiens abondent »,

selon le site seetheholyland.net.

Il n’y a que les mosquées qui manquent ! [Remarque : Sur une population d’Ein Karim estimée à 3 180 personnes en 1945, on comptait 2 510 musulmans et 670 chrétiens ; aujourd’hui, Ein Karem a une population de quelque 2 000 Juifs israéliens.]

Tout aussi tristes et tout aussi beaux dans le souvenir de ceux d’entre nous qui ne les ont jamais vus, sauf en imagination, il y a les centaines de villages palestiniens que les forces juives ont rasés complètement et recouverts de forêts dans lesquelles il ne reste rien sur quoi l’on puisse pleurer et se lamenter. En guise d’exemple, voyez :

« Un nouveau documentaire révèle l’histoire d’un village palestinien recouvert par une forêt du FNJ – Le village palestinien de Lubya a été évacué en 1948, ses résidents ont été chassés et ses structures réduites à des amas de décombres. Comme le montre un nouveau documentaire, les vestiges sont toujours visibles à l’intérieur d’une forêt plantée par le Fonds national juif. »

Lifta est beau, même en ruines, et il était même plus beau encore avant 1948, mais c’était également le cas pour des centaines de villes et villages palestiniens.

Et, oui, nous avons pleuré et nous nous sommes lamentés au cours de ces sept dernières décennies, mais nous avons également résisté, tenu bon sur notre terre rasée et violée, comme les Palestiniens le font aujourd’hui même à Gaza, à Sheikh Jarrah, à Silwan et à Al-Araqeeb.  

Nous tenons bon sur notre terre sanctifiée à la mosquée Al-Aqsa dans la Vieille Ville, tout en gardant à l’esprit le quartier Mughrabi, qu’Israël avait rasé avec ses bulldozers le 11 juin 1967. L’État juif l’appelle aujourd’hui le Quartier juif, après l’avoir « rénové », de la même façon qu’il prévoit de rénover Lifta, en le réservant exclusivement à des propriétaires juifs.

La démolition de Lifta a été la première étape du nettoyage de Jérusalem de ses Palestiniens en 1948. La démolition du quartier Mughrabi a été la première étape du nettoyage de Jérusalem de ses Palestiniens en 1967.

Mais, rappelez-vous, on a beau raser des structures et placarder des caractères hébreux sur des écriteaux et panneaux indicateurs, les Palestiniens survivront au cours des générations à venir.

Lifta, la fille de Louay Mohammad Odeh. (Photo : Facebook)

Lifta, la fille de Louay Mohammad Odeh. (Photo : Facebook)

On ne réalisera jamais de film intitulé « Le dernier des Palestiniens » !

Yacoub Odeh est cité dans l’article de Haaretz pour avoir dit :

« Nous avions été des rois et, en une heure, nous étions devenus des mendiants. Voilà comment j’ai rallié le mouvement national palestinien. Toute ma vie, j’ai rêvé du retour. »

Le « mouvement national » palestinien rallié par Odeh – ce qu’il a chèrement payé en étant emprisonné et torturé par l’État israélien – est le mouvement de libération palestinien (l’OLP). Le 25 septembre 2004, j’ai publié un récit sur The Electronic Intifada intitulé « Histoires de prisonniers : Loai et Ubai Mohammad Odeh », à propos de ses neveux emprisonnés, et j’écrivais ceci :

Loai, qui a 26 ans aujourd’hui, savait à quoi la prison de Ramleh ressemblait à l’intérieur, longtemps avant qu’il n’y soit jeté lui-même. Tout petit encore, il avait été un visiteur régulier de cette prison, en compagnie de sa grand-mère et d’autres proches, afin d’aller voir l’un de ses oncles, Yacoub Odeh, qui avait subi des tortures sévères (toujours visibles aujourd’hui sur son corps) et dix-sept années d’emprisonnement jusqu’au moment de sa libération lors de l’échange de prisonniers entre Israël et la Palestine en 1985, quand 1 150 prisonniers palestiniens avaient été libérés. Il avait été condamné à trois fois la perpétuité. Aujourd’hui, il est actif dans les droits de l’homme et porte un intérêt tout particulier aux maisons palestiniennes démolies à Jérusalem.

Yacoub Odeh a survécu, à l’instar de ses neveux. Loai (qu’on écrit aussi Louay) est sorti de prison et a deux beaux enfants, dont l’une s’appelle Lifta.

Nous survivrons ; nous l’emporterons.


Publié le 25 juillet 2021 sur Countercurrents
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Rima Najjar

Rima Najjar

 

Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille paternelle provient du village – dépeuplé de force – de Lifta dans la périphérie ouest de Jérusalem et dont la famille maternelle est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée

 

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