Les Palestiniens rendent hommage à Desmond Tutu

L’archevêque Desmond Tutu fut un « véritable prophète de la justice et de la paix », a déclaré ce dimanche le mouvement palestinien pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions, suite à la nouvelle du décès, à l’âge de 90 ans, de l’icône de la lutte de l’Afrique du Sud pour sa liberté.

Octobre 2014. L’archevêque Desmond Tutu esquisse un pas de danse en traversant un jardin potager, après avoir dévoilé une plaque au Cap, en Afrique du Sud, à la mémoire des personnes mortes de la violence dans les territoires palestiniens occupés. (Photo : Halden Krog Newscom)

Ali Abunimah , 27 décembre 2021

« Au cours de ses décennies de combat contre l’apartheid et toutes les formes d’injustice, Arch’, comme il aimait qu’on l’appelât, a enseigné à des millions de personnes du monde entier, dont les Palestiniens, la signification du combat mené avec des principes éthiques, avec efficacité et une extrême conviction dans le but de concrétiser ‘la panoplie complète des droits’. »

Des hommages ont été exprimés depuis tous les secteurs de la société palestinienne.

Mahmoud Abbas, dont l’Autorité palestinienne collabore étroitement avec les forces d’occupation israéliennes, a encensé Tutu en tant que « héros au service de l’humanité et de ses causes ».

À Jérusalem, l’archevêque Atallah Hanna a déclaré que « l’on se souviendra toujours de Tutu pour son rejet du racisme et de l’apartheid, y compris en Palestine ».

« De même que l’Afrique du Sud, la Palestine a perdu un véritable patriote, un grand défenseur des droits humains, un opposant au racisme et un farouche défenseur de la cause palestinienne »,

a fait savoir le mouvement de résistance du Hamas.

À ceux et celles qui sont assez âgés pour se souvenir de la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid, le visage et la voix de Tutu sont aussi familiers que ceux de Nelson Mandela – peut-être davantage, même : Pendant que Mandela et d’autres dirigeants du Congrès national africain étaient emprisonnés par le régime raciste et gardés hors de vue du public, Tutu était en effet le porte-parole du peuple sud-africain face au monde.

Suite à la fin de l’apartheid en 1994, Tutu consacra le même amour dévoué de la justice au combat palestinien.

Bien avant de nombreux autres personnages aussi en vue dans le monde que lui n’eussent osé le faire, Tutu compara la domination d’Israël sur les Palestiniens à l’apartheid qui régnait dans sa propre patrie.

« J’ai été très profondément attristé lors de ma visite en Terre sainte ; cela m’a tellement rappelé ce qui se passait chez nous, les noirs, en Afrique du Sud »,

écrivait-il en 2002.

« J’ai vu l’humiliation des Palestiniens aux check-points et aux blocages routiers, souffrant comme nous quand de jeunes policiers blancs nous empêchaient de circuler. »

« Nous avons visité Israël / la Palestine en plusieurs occasions et, chaque fois, nous avons été frappés par les similitudes avec le régime d’apartheid sud-africain »,

écrivait-il en 2011.

« Les routes et zones séparées pour les Palestiniens, l’humiliation aux blocages routiers et aux check-points, les expulsions et les démolitions de maisons. »

Et d’ajouter que « certaines parties de Jérusalem-Est ressemblent à ce qu’était le District Six au Cap » – une communauté multiraciale vieille de plusieurs siècles, qui avait été détruite par le régime d’apartheid en 1966 et déclarée zone réservée aux seuls blancs.

 

Le soutien au boycott

Comprenant les similitudes de la dynamique de pouvoir dans les deux sociétés coloniales de peuplement, Tutu s’empressa de soutenir l’appel palestinien au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS).

Très fréquemment, il apporta son soutien direct, en public et en privé, aux campagnes BDS partout dans le monde.

Après avoir insisté auprès des églises américaines pour qu’elles désinvestissent des entreprises et sociétés complices des crimes d’Israël contre les Palestiniens, il s’attira la colère – très prévisible – du lobby pro-israélien.

Son statut emblématique ne put le protéger des calomnies de la Ligue anti-diffamation (LAD), qui prétendait qu’il avait dérivé vers l’« antisémitisme ».

Cette attaque vint de la même LAD qui, durant les années 1980, avait espionné le mouvement antiapartheid et transmis des informations au gouvernement raciste de l’Afrique du Sud.

 

 

À l’époque, Israël était l’un des alliés les plus proches du régime suprémaciste blanc de Pretoria, de plus en plus isolé.

Mais de telles attaques ne dissuadèrent jamais Tutu d’exprimer son soutien à BDS.

En 2014, il déclara dans le quotidien israélien Haaretz que les boycotts internationaux contre l’Afrique du Sud avaient joué un rôle crucial en facilitant le dialogue qui avait abouti à une transition vers la démocratie.

« À un moment donné – le point de bascule – le gouvernement de l’époque se rendit compte que le coût de la tentative de sauvegarde de l’apartheid dépassait les bénéfices »,

expliqua Tutu.

« Dans les années 1980, l’abandon de tout commerce avec l’Afrique du Sud par des sociétés multinationales animées d’une conscience fut en fin de compte l’un des principaux leviers qui mirent à genoux l’État d’apartheid – et ce, en le vidant de son sang. »

« Ceux qui continuent à faire du commerce avec Israël, qui contribuent à un sentiment de ‘normalité’ au sein de la société israélienne, rendent un très mauvais service au peuple d’Israël et de la Palestine »,

ajouta-t-il.

« Ils contribuent à la perpétuation d’un statu quo profondément injuste. »

 

Des louanges émanant d’hypocrites

Tutu est désormais encensé par de nombreuses institutions et par toute une série de dirigeants qui ont refusé d’écouter ses appels au boycott durant la lutte en Afrique du Sud et qui, aujourd’hui, refusent à nouveau de le faire, cette fois dans le cas de la Palestine.

Des membres prépondérants de l’Union européenne, en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont longtemps résisté aux sanctions contre l’Afrique du Sud.

Aujourd’hui, l’UE continue de récompenser Israël sur les plans militaire, économique et politique, bien que ce pays commette de plus en plus de crimes contre les Palestiniens.

Rien de tout cela n’a amené les principaux dirigeants de l’UE à réfléchir avant de rendre hommage à Tutu. On dirait qu’ils n’ont rien appris de lui.

La secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Liz Truss, dont le gouvernement a signé récemment un accord de « partenariat stratégique » militaire et économique avec Israël, a également encensé Tutu :

 

Par contre, le gouvernement israélien est resté muet – peut-être dans un rare moment de conscience de soi.

 

Mais Yishai Fleisher, un dirigeant des colons juifs en Cisjordanie occupée, a révélé après le décès de Tutu : « Un antisémite est mort, aujourd’hui. »

Fleisher, s’exprimant vraisemblablement au nom de nombreux hauts responsables israéliens, a également qualifié Tutu de « sérieux ennemi d’Israël ».

Le chef du Parti travailliste britannique, Keir Starmer, a loué Tutu en le qualifiant d’« homme comme une tour » et de « figure de proue de l’activisme moral ».

La chose a incité de nombreux usagers des médias sociaux – y compris votre serviteur – à railler l’hypocrisie de Starmer.

Si Tutu avait été membre du Parti travailliste, il est quasi certain que Starmer aurait pris des mesures pour qu’il soit viré – à l’instar de bien d’autres qui ont été exclus pour des positions similaires dans le soutien des droits palestiniens.

L’un des prédécesseurs du dirigeant travailliste, l’ancien Premier ministre Tony Blair, a déclaré qu’il était « peiné » de la mort de Tutu.

En 2012, Tutu s’est retiré d’un sommet de « dirigeants » auquel participait également Blair, en disant qu’il ne pouvait s’asseoir à côté de la personne qui, en compagnie du président américain George W. Bush, avait ordonné l’invasion catastrophique de l’Irak en s’appuyant sur des mensonges.

Tutu avait mis le doigt sur la pure hypocrisie qui traîne des dirigeants africains et asiatiques devant des tribunaux alors que Blair et ses semblables se promènent en liberté.

« Selon quels critères décidons-nous que Robert Mugabe devrait comparaître devant la Cour pénale internationale » alors que « Tony Blair devrait rejoindre le cercle des orateurs ? »,

avait demandé Tutu.

Jusqu’à la fin, Desmond Tutu a passé sa vie à lutter et à s’exprimer en faveur de la justice et de la vérité en Afrique du Sud, en Palestine et dans le monde entier.

C’est à nous qu’il incombe d’accomplir le reste du voyage, mais il nous en a montré le chemin.

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Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

 

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Publié le 27 décembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Africa4Palestine : « Nous et les Palestiniens avons perdu un combattant indomptable »

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