“Les Héros” (4) : De la liberté à la captivité

Le quatrième épisode de la série documentaire « Les Héros » diffusé sur Al Mayadeen, présente les différentes voies que les héros du tunnel de la liberté ont pris sur le chemin de la libération et comment ils ont été arrêtés à nouveau.

De la liberté à la captivité

 

Al-Mayadeen, 3 octobre 2022.

« J’avais l’impression d’être sur un petit nuage… J’avais juste envie de courir à travers l’immense espace de liberté. »

Par ces mots, Zakaria Al-Zubaidi raconte le parcours des prisonniers qui ont vaincu leur geôlier et se sont libérés… Voici le quatrième épisode de « Les Héros ».

À 1h43 exactement, le matin du 6 septembre 2021, les six prisonniers ont recouvré la liberté pour la première fois depuis des années au moment où ils sont sortis du tunnel.

Oui, les Héros sont libres, et tous les chemins sont ouverts devant eux, alors que les forces d’occupation sont en état d’alerte, avec des avions planant sans arrêt dans le ciel et des patrouilles au sol.

À l’occasion du premier anniversaire de la libération des six prisonniers de la prison de Gilboa, le prisonnier Mohammad Al-Aridah raconte les détails de l’opération.

« Nous avons traversé le champ à côté de la prison, et en traversant la route 71, un taxi a failli écraser Al-Kamamji. Les prisonniers ont pensé que le chauffeur les avait peut-être repérés et signalés »,

a déclaré Al-Aridah.

Mohammad poursuit :

« Nous sommes entrés dans un champ de coton voisin et nous nous sommes dirigés vers le nord jusqu’au village d’Al-Na’ura, que nous connaissions bien, donc nous savions que la route vers Al-Na’ura prend normalement environ deux heures, mais il nous a fallu trois heures pour arriver au village. »

Les Héros sont arrivés à Al-Na’ura vers 4h30 du matin, où ils se sont installés dans une écurie, pendant que les avions de l’occupation étaient à leur recherche. Ils se sont rendus à la mosquée du village, où ils ont pu acheter quelques produits dans une boulangerie voisine. Après avoir accompli la prière de l’aube, ils ont reçu un appel qui les a alertés que le plan (A), qui stipulait que quelqu’un les prendrait et les transférerait, avait été annulé ; ils ont alors eu recours au plan (B).

Ils se sont divisés en trois groupes : le premier groupe comprenait les prisonniers Mahmoud Al-Aridah et Yaqoub Qadri, le deuxième groupe était composé de prisonniers Mohammad Al-Aridah et Zakaria Al-Zubaidi, et Ayham Kamamji et Munadel Nafi’at formaient le troisième groupe.

Mahmoud al-Aridah et Yaqoub Qadri et la goyave

Mahmoud Al-Aridah et Yaqoub Qadri se sont dirigés vers le mont d’Al-Na’ura, qui surplombe le village. Ils ont décidé de dormir pendant la journée et de bouger la nuit. Cependant, ils ont vite découvert que le lieu n’était pas densément boisé et ne leur offrirait pas une bonne couverture. Ils ont donc décidé de continuer vers le nord jusqu’au village de Tamra. Mais ils sont allés par erreur vers le nord-ouest au lieu du nord, ce qui les a menés dans un camp israélien. Heureusement, ils ont trouvé devant eux un groupe de vaches derrière lesquelles ils ont pu se cacher. Les vaches ont protégé les deux prisonniers des soldats.

Mahmoud a décidé d’atteindre Tamra en passant par les collines mais Yaqoub était très faible à cause du manque de nourriture et d’eau, alors les deux camarades sont revenus au village d’Al-Na’ura pour prendre des itinéraires plus faciles. Cependant, le trajet ne s’est pas déroulé comme prévu ; alors qu’ils se dirigeaient vers ce qu’ils pensaient être Tamra, ils ont réalisé qu’ils étaient en fait arrivés au village de Sulam, où ils ont décidé de dormir pendant leur deuxième jour. Après ce court repos, les prisonniers ont décidé de se diriger vers le village d’Iksal et en longeant le village d’Afula, ils ont découvert que la rue était pleine de caméras, alors ils ont fait demi-tour en suivant la route de montagne pour se retrouver au village de Na’in, où ils ont décidé d’y dormir le troisième jour.

La nuit suivante, ils se sont dirigés vers les champs d’Iksal. Cependant, ils avaient des doutes sur le fait qu’il s’agissait du village souhaité (Tamra), alors ils se sont cachés dans une zone boisée entre Iksal et le village de Dabouriyya, où ils ont passé quelques temps à faire des allées et venues au village pour aller chercher de la nourriture et de l’eau. Après le bref repos, les prisonniers se sont dirigés d’Iksal vers le secteur de Fakhoura, où ils ont atteint la montagne Al-Kafza dans la région d’Al-Nasirah, où ils sont restés pendant quelques heures. Après que Mahmoud et Yaqoub aient tenté de poursuivre leur chemin, ils ont été arrêtés par pure coïncidence, car il n’y a pas eu d’embuscade ni d’informations sur leur localisation. Leur arrestation a eu lieu le vendredi soir 10 septembre 2021, cinq jours après leur évasion de la prison de Gilboa.

Le périple des deux héros fut plein de moments inoubliables. Après que les six prisonniers se soient séparés par paires après l’évasion, Mahmoud et Yaqoub sont arrivés dans une zone pleine d’arbres où ils ont trouvé des vaches, ce qui a procuré à Mahmoud un grand sentiment de joie, comme il l’a décrit dans ses lettres. Après que la plupart des vaches se soient dispersées, Mahmoud s’est approché d’une qui restait en arrière, et cette rencontre a amusé Yaqoub.

Au pied du mont Al-Na’ura, Mahmoud et Yaqoub sont entrés dans un champ d’oliviers où ils ont trouvé des plants de fenouil. Ils ont mangé avec bonheur un bouquet de feuilles et ont observé avec joie un bel oiseau voler devant leurs yeux. Ils ont également dévoré quelques mandarines du pays de Sulam.

Lorsque les deux sont arrivés dans la banlieue d’Iksal, ils ont rencontré une femme, que Mahmoud décrit comme l’une des plus formidables de toutes les femmes. Cette femme, très pauvre, les a amenés chez elle, leur a montré beaucoup d’affection et leur a donné de l’eau et de la nourriture ; elle a également proposé d’aller à Jénine quelques jours plus tard pour porter un message à qui ils voulaient. Cependant, la plus grande surprise est venue après leur départ, lorsqu’ils ont découvert qu’elle avait emballé pour eux des goyaves, leur plus grosse fringale depuis qu’ils étaient en prison.

Zakaria Al-Zubaidi et Mohammad Al-Aridah et du café sur du bois de chauffage

Zakaria et Mohammad se sont dirigés vers le nord jusqu’au village de Tamra. Ce n’est pas un hasard si tous les prisonniers ont choisi ce village, ils savaient tous qu’il y a là des travailleurs palestiniens qui retournent à Jénine tous les jours.

Les deux hommes sont entrés par erreur dans un camp appartenant aux forces d’occupation, également avec des vaches paissant autour. Les deux prisonniers ont décidé de se cacher sous un arbuste épineux où ils ont dû s’allonger à côté d’un nid de serpent. La nuit venue, Zakaria et Mohammad se sont rendus au mont Tabor, près du village de Daburiya. Les héros ont séjourné dans des forêts et des fermes près de l’extrémité orientale de la montagne. Après réflexion, ils ont décidé de ne pas s’approcher de tout endroit équipé de caméras et de ne pas entrer dans une ville ou des maisons habitées. Ils ont également convenu de limiter leurs déplacements à la nuit et de ne marcher qu’entre les arbres. Les prisonniers ont respecté leur plan jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés près d’un champ d’oliviers adjacent à un relais routier dans le village de Shibli Umm-al-Ghanam. Ils ont été localisés par des traqueurs sans avoir été prévenus. Cela s’est produit à l’aube du samedi 11 septembre 2021, cinq jours après leur évasion.

Dans la forêt près du village de Tamra, Mohammad Al-Adridah dit que lui et Zakaria se sont assis sous un olivier et ont trouvé un oignon, deux « manakish » [galettes] rassis, du café arabe et une bouilloire abandonnée – que Mohammad a nettoyée avec de la terre. Ils ont bu du café infusé sur du bois de chauffage, le café le plus délicieux qu’ils aient jamais goûté, comme a dit Mohammed.

Ayham Kamamji et Munadel Nafa’at… pour Jénine

Les deux héros partirent vers le Nord, en direction du village de Taybeh, et en s’en approchant, ils décidèrent de se diriger vers l’Ouest, vers le village de Kafr Misr. En raison de son expérience d’être poursuivi et de devoir s’adapter, Ayham s’est appuyé sur les étoiles pour trouver le chemin, et il a guidé Munadel sur la façon de le faire également.

Les deux hommes ont également décidé de marcher à travers les forêts et en dehors des routes et de rester à l’écart des zones peuplées. Ils se sont dirigés vers l’est, vers la plaine de Marj Ibn Amer, où Ayham avait l’habitude de travailler lorsqu’il était encore un jeune garçon. Depuis la vallée, ils ont vu les lumières de la ville de Jénine, qui était d’un blanc éclatant comparé aux lumières rouges et oranges des colonies.

Ayham et Munadel ont décidé ensuite d’aller vers le sud jusqu’à la route n°65 Afula-Tabariya, en traversant les vallées où s’écoulaient les eaux usées vers la ville d’Afula et les villages environnants. Leur objectif était d’atteindre le village de Salem, car c’est l’un des points les plus proches du mur de séparation, puis de Jénine, car ils prévoyaient de traverser le mur pour atteindre le village de Rummana depuis le nord-ouest de Jénine.

Les deux hommes ont été découverts par des soldats israéliens et des chiens policiers dans un petit champ à l’intérieur d’une zone appelée Ain Kadi ; là ils se sont séparés et ont pris des chemins différents. Ayham a traversé le village de Salem en se cachant parmi des ouvriers. Bien que poursuivi par les soldats qui lui ont tiré dessus, il a pu atteindre son village, Kafr Dan, mais a choisi de ne pas s’approcher de sa maison qui était surveillée ; il a été aidé par les habitants de son village et ceux de Burqin, Al-Hachimiya, Al-Yamoun, et d’autres villages également. Quant à Munadel, après être arrivé à Salem, il s’y est faufilé avec quelques ouvriers également, où les soldats israéliens ont tenté de l’arrêter mais en vain, après quoi il a réussi à s’échapper vers le village de Rummanah, puis est parti vers le village de Ya’bad.

Le troisième jour de la poursuite, les deux héros sont arrivés au camp de Jénine où ils se sont retrouvés. Ils sont restés dans le camp sous la protection de la brigade de Jénine. Cependant, alors que les forces d’occupation intensifiaient leur pression sur le camp, en menaçant désormais de prendre d’assaut le camp même si cela devait conduire à un massacre, Ayham et Munadel ont décidé de sacrifier leur liberté pour protéger la population de Jénine, ainsi que Gaza, qui menaçait de riposter et d’entrer dans la bataille pour Jénine. Dès qu’ils ont quitté le camp pour se rendre dans le quartier est de la ville, où ils étaient hébergés par une famille, ils ont été encerclés par les forces d’occupation. Ils ont décidé de se rendre pour protéger les membres de la famille qui les abritait. Les forces d’occupation ont menacé de démolir la maison sur la tête de ses habitants. Cela s’est passé 14 jours après l’évasion, le dimanche matin 19 septembre 2021.

 

Les revers israéliens et l’escalade des mesures de rétorsion

L’occupation israélienne a voulu discréditer les habitants des villages et des villes qui ont accueilli les héros palestiniens, ce qui a donné lieu à de nombreuses rumeurs et à des informations fabriquées de toutes pièces selon lesquelles un tuyau donné par certains habitants de ces villages aurait conduit à l’arrestation des héros. Mahmoud Al-Aridah explique que lui et Yaqoub ont en fait été arrêtés par un agent de la circulation, qui a été rejoint quelques minutes plus tard par des forces de police non armées et non équipées, et non par des forces spéciales comme cela a été dit, ce qui signifie que l’arrestation était accidentelle et non le résultat d’une dénonciation.

Les affirmations selon lesquelles les habitants d’Al-Nasirah les ont abandonnés ne sont pas non plus vraies. La première preuve en est qu’un homme aurait dit avoir vu deux personnes (Mahmoud et Yaqoub) le quatrième jour, mais les deux héros n’ont atteint Al-Nasirah que dans la nuit du sixième jour. Mahmoud ajoute :

« Le plus grand choc pour moi n’a pas été mon arrestation quelques jours plus tard, mais la rumeur qui a éclaté à propos d’Al-Nasirah. Les gens d’Al-Nasirah nous ont accueillis et nous ont pris en charge, mais nous n’en avons pas parlé au début pour ne nuire à personne »,

a-t-il déclaré.

Les revers israéliens ont incité l’occupation à renforcer les mesures de représailles. Ces mesures ont commencé à l’intérieur des prisons dès les premières heures après la découverte de l’évasion. Parmi les mesures, on peut citer l’évacuation totale de la prison de Gilboa, y compris des prisonniers du Jihad islamique, et le démantèlement de la structure organisationnelle que le mouvement des prisonniers avait établie au milieu des années 80. De plus, les dirigeants du mouvement et ses cadres, en particulier les membres du comité de direction suprême, ont été transférés et placés en isolement.

Refusant d’accepter les décisions des autorités pénitentiaires, qui leur volaient des droits obtenus au prix de longues luttes, les dirigeants emprisonnés du Jihad islamique ont décidé de brûler les sections et les cellules dans lesquelles ils se trouvaient. La décision de brûler la section 6 a été exécutée, ce qui a entraîné une série de transferts et de procédures diverses pendant 35 jours.

Pendant 35 jours, les prisonniers du Jihad islamique ont été emprisonnés dans la section brûlée jusqu’à ce qu’ils réussissent à obtenir d’en sortir.

Parallèlement aux mesures israéliennes prises à l’encontre des prisonniers, les forces d’occupation ont tenté de faire pression sur les familles en effectuant des raids, des arrestations et des menaces dans le but d’obtenir toute piste qui pourrait les aider à attraper les prisonniers héroïques.

Dans la pratique, le système judiciaire israélien n’est pas différent des services de renseignement et de sécurité

Les héros ont porté un coup majeur à l’establishment sécuritaire israélien par leur opération, car elle a mis en évidence la faiblesse des services de renseignement et des capacités préventives de l’occupation, et selon les avocats présents, les prisonniers ont maîtrisé les séances d’interrogatoire.

Le héros Mahmoud al-Aridah a déclaré aux interrogateurs que c’était lui qui avait planifié toute l’opération et qu’il en portait la responsabilité. Dans les cas habituels, les agents des services de renseignement ou de la police chargés de l’interrogatoire disposent d’un certain nombre de pistes à examiner avec les prisonniers et poursuivent leur investigation à partir de là. Cependant, dans le cas des six prisonniers, il n’y avait qu’un vague mystère, l’enquête n’était basée que sur les informations que les prisonniers décidaient de leur donner.

Les héros ont été placés à l’isolement, ce qui est la sanction israélienne pour tous les prisonniers qui tentent de se libérer. L’administration pénitentiaire les a à son tour classés comme une menace, a transféré les six héros dans des cellules sombres de 3m de long et 2m de large, voire plus petite, dépourvues du minimum nécessaire et les a soumis à diverses formes de torture.

Les avocats et les experts juridiques présentent le système judiciaire israélien comme faisant partie de la sécurité, du renseignement et même de l’establishment politique israéliens. Et avec ces actions contre les prisonniers, l’occupation, qui a même promulgué des lois spéciales pour les tribunaux militaires, refuse de travailler conformément à la Convention de Genève et aux lois internationales.

L’histoire n’est pas encore terminée… Les Héros en ont raconté les détails secrets à Al Mayadeen à travers des messages privés, transmettant les informations sur leur voyage vers la libération, chaque pas qu’ils ont fait, les décisions prises et les défis affrontés, au milieu des fruits de la Palestine et de l’odeur du jasmin.

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Publié le 3 octobre 2022 sur Al-Mayadeen

Traduction ISM-France / MR

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Lisez également :

“Les Héros” sur Al Mayadeen : histoire complète de l’évasion de la prison de Gilboa (intro)
“Les Héros” (1) : Comment l’idée de libération a-t-elle été conçue ?
“Les Héros” (2) : Qu’est-ce que la cellule “Qassem Soleimani” ?
“Les Héros” (3) : Au-delà des murs de Gilboa

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