En direct depuis l’abattoir

 

31 octobre 2022, Hébron, Cisjordanie occupée. Les forces israéliennes démolissent un immeuble palestinien de trois étages. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA Images)

31 octobre 2022, Hébron, Cisjordanie occupée. Au moment que les forces israéliennes démolissent un immeuble palestinien de trois étages. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA Images)

 

Mariam Barghouti, 1er novembre 2022

Ç’a été une année de tueries. Une année très diversifiée, dans son appel à la mort. Ce n’est pas une tâche facile, de répertorier le nombre de Palestiniens arrêtés chaque jour (20 en moyenne, quotidiennement), ou le nombre de martyrs (19 par mois, en moyenne), ou le nombre de maisons démolies (dont des maisons de Palestiniens de citoyenneté israélienne), ou encore l’expansion des colonies, sans parler des colons qui s’arment et s’enhardissent de plus en plus en Cisjordanie. Tout cela mis ensemble, c’est comme si la Palestine s’était muée en un gigantesque abattoir.

L’abattoir qu’est la Palestine ne se présente peut-être pas comme un film dramatique, avec une bande sonore épique et des effets spéciaux mettant en évidence un simulacre de la douleur. Cet abattoir est bien plus complexe, secret et corrompu. Il a tout d’un labyrinthe, de la même façon qu’on pourrait explorer des allées et des portes dissimulées, encore et toujours, jusqu’à ce qu’on se perde.

Le processus consistant à faire la lumière sur l’information, à compiler des témoignages et à relier ces événements à des développements sociopolitiques plus larges se mue en un fardeau que l’on pourrait croire stérile. Si le but consiste à répertorier, les archives des Nations unies et des organisations de défense des droits humains l’ont concrétisé. L’histoire n’a pas changé depuis des décennies.

J’ai lu des rapports des années 1980, 1990, 2000 et de la dernière décennie. Tous répètent la même conclusion : « C’est illégal » et « ça doit finir ». Ils partagent aussi la réalité selon laquelle pas une seule action du tout n’a été entreprise, une fois terminées la compilation et l’analyse de la documentation. Telle est la réalité, le cycle de la violence que les Palestiniens endurent. Elle est enchevêtrée dans la création de mythes et de récits qui justifient et promeuvent une continuation de l’agression, de l’offense déguisée en défense, du nettoyage ethnique.

Je ne cesse de revenir aux mots et tous sont insuffisants. Ce qu’il reste, c’est équiper les gens d’informations et d’outils, non seulement pour les informer, mais pour permettre une conversation et un engagement les uns entre les autres. Cela, pour faciliter la compréhension des communautés.

Depuis l’abattoir, les journalistes deviennent des opérateurs de lignes téléphoniques – en tirant des sonorités d’un fil et en les transférant vers une prise téléphonique. C’est une tentative de porter ce qui est loin dans un endroit proche quand ce qui est proche semble s’éteindre lentement. Pourtant, en tant que journalistes opérant à partir de l’abattoir, nous pouvons également voir que ce qui semble être désespoir et ruine n’est peut-être qu’un petit accroc dans le fil. Que, à l’autre bout de la ligne, la vie continue toujours, même si la ligne est en retard.

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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine 

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Article publié le 1er novembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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