Dans l’arène de la Coupe du Monde comme en Israël, c’est la loi du plus fort qui domine

La Coupe du Monde a présenté une grande occasion d’attiser la conscience internationale de la lutte des Palestiniens pour leur libération et leur retour.

 

Quds News Network : « Des milliers de supporters de nombreuses nationalités agitent des drapeaux à Doha, au Qatar, en guise de soutien au peuple de Palestine (#QatarWorldCup2022 kicks off). »

Quds News Network : « Des milliers de supporters de nombreuses nationalités agitent des drapeaux à Doha, au Qatar, en guise de soutien au peuple de Palestine (#QatarWorldCup2022 kicks off). »

 

Rima Najjar, 25 novembre 2022

Marco Balich, le très créatif directeur de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde du Qatar de 2022, n’a probablement aucune idée qu’« enjamber les distances » quand il s’agit des Palestiniens et des Israéliens est un euphémisme de la normalisation de l’apartheid et du colonialisme de peuplement, de sa soumission et dépossession brutales des Palestiniens.

Pour les Palestiniens et leurs partisans, il y a plus que le football à être en jeu ici. La Coupe du Monde a présenté une grande occasion d’attiser la conscience internationale de la lutte des Palestiniens pour leur libération et leur retour. Plusieurs campagnes ont été lancées dans les médias sociaux avec ce but en vue, pressant les partisans (entre autres) à porter des vêtements et des parures devenus des symboles iconiques de l’héritage culturel et de la résistance des Palestiniens.

Mon frère, qui a assisté à l’un de ces premiers matches, portait un t-shirt orné d’un « I Love Palestine ». Ce geste était non seulement destiné à la rangée d’Israéliens assis juste en dessous de lui dans les tribunes (mon frère a observé un Israélien qui partageait sur son mobile une photo qu’il avait prise de mon frère et de son t-shirt), mais faisait aussi fonction de message à l’adresse du monde en général.

 

À gauche, Gheith Najjar (en t-shirt blanc) à la Coupe du Monde du Qatar de 2022. À droite, une capture d’écran d’un GSM israélien au moment où il partage l’image de Najjar à la Coupe du Monde du Qatar de 2022. 

À gauche, Gheith Najjar (en t-shirt blanc) à la Coupe du Monde du Qatar de 2022. À droite, une capture d’écran d’un GSM israélien au moment où il partage l’image de Najjar à la Coupe du Monde du Qatar de 2022. 

 

Un incident posté en tant que « réel » sur Instagram et qui n’a été orchestré par aucune des campagnes afin d’accroître la visibilité de la Palestine m’a sauté aux yeux, non seulement parce qu’il s’est produit par inadvertance, mais aussi par ce qu’il révèle de la psyché israélienne.

Il implique quelques diffuseurs israéliens s’excitant à présenter leur reportage dans le sillage d’un des matches de la Coupe du Monde au Qatar. Ils mettent le grappin sur un spectateur égyptien afin de l’interviewer, un jeune homme bien inconscient d’être interviewé sur une chaîne israélienne jusqu’au moment où il entend que l’interviewer se met à parler en hébreu. Au moment où il se rend compte qu’il s’adresse à un public israélien, il se contente simplement de crier « Vive la Palestine ! ». Ils le coupent mais pas avant que le jeune Égyptien n’ait eu l’occasion de répéter « Vive la Palestine ! » à plusieurs reprises. À la fin de cet échange inattendu sur les ondes, et dans l’esprit d’une compétition sportive, le journaliste israélien dit : « Mais nous sommes plus forts que vous. »

Et là, voilà ce que vous avez, l’esprit de conquête d’une entité coloniale de peuplement, juive et sioniste, imposée par la force aux Palestiniens en 1948 et aujourd’hui reconnue internationalement comme la puissance qui occupe militairement la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et la bande de Gaza, mais uniquement pour la forme.

Pour les médias israéliens, tout cela est une question de domination de la loi du plus fort. Voilà Masar Badil qui monte sur le terrain avec une banderole qui dit : « Avec la résistance palestinienne : Soutenez l’Intifada ! » Comme si c’était pour répondre : OK, nous pourrions bien être le perdant de votre jeu de trônes mais nous ne renoncerons jamais à notre droit de vous combattre avec tout ce qui nous tombera sous la main. Et, qui plus est, la justice est avec nous.

Dans une déclaration publiée le 23 novembre 2022, Masar Badil (…)

« (…) saluait les organisations et brigades de la résistance palestinienne dans la bande de Gaza, les combattants et les cellules qui ébranlaient les bâtiments de l’ennemi à Jérusalem occupée, et tous les combattants des camps, des villes et des villages de la Cisjordanie occupée et de l’ensemble de la Palestine occupée »,

et confirmait

« sa position ferme et claire de soutien à la résistance palestinienne, jusqu’au retour et à la libération, en acceptant tous ses courants et forces de la résistance armée affrontant l’ennemi sioniste, et en défendant le droit sacré de notre peuple palestinien à défendre (sic, NdT) son existence et ses droits nationaux, en tentant de forcer l’unité dans tous les secteurs et en, multipliant les initiatives et les actions révolutionnaires, sur la voie de la construction d’un front national unifié qui bénéficie de la crédibilité et du soutien du peuple (…) Le point de mire national correct pour tout honorable Palestinien réside dans la défense du peuple palestinien et de sa terre, et ne consiste pas à assurer la protection des colonisateurs sionistes. »

C’est un face-à-face entre le slogan de Masar Badil, « Avec la résistance palestinienne » et la hasbara sioniste qui qualifie la résistance palestinienne de « terrorisme » et l’agression d’Israël de « défense de la sécurité ».

Le Hamas a repris l’appel de Masar Badil et s’en est servi en publiant une série d’affiches en arabe, avec les déclarations de Masar, tout en mettant également l’accent, via les images utilisées, sur sa propre résistance armée légitime.

Tant Masar Badil que le Hamas adressent leurs messages au public palestinien pour commencer et, ensuite, à Israël et à ses alliés. Ces derniers continuent à orchestrer, soutenir inconditionnellement et approfondir l’agression israélienne contre le peuple palestinien. Un autre clip vidéo (lui aussi filmé dans un stade) circulant couramment dans les médias sociaux capture de façon brève, par le biais d’images et de slogans, l’amère conscience qu’ont les Palestiniens de la conspiration internationale ourdie contre eux.

En arabe, il existe un juron qui est aussi violent pour les oreilles des arabophones que ne l’est le mot de « nique ta mère » pour les oreilles francophones. Il se traduit littéralement par « au diable ton père », le patriarche qui porte le nom de famille et qui mène le bateau. Dans le clip vidéo auquel je fais allusion plus haut, nous entendons un groupe de personnes debout sur les charpentes qui scandent (et on voit les mots et les drapeaux se dérouler au travers de l’écran) : « Au diable son père (drapeau israélien) qui l’a engendrée (drapeau britannique) ; Palestinienne (le nom féminin avec le drapeau), Libre et Arabe. »

Un autre but des campagnes des médias sociaux au nom de la Palestine à la Coupe du Monde du Qatar consiste à encourager les commentateurs sportifs et médias à Doha à parler de la lutte palestinienne durant la Coupe du Monde. C’est pourquoi les déclarations bien articulées du vice-ministre qatari des Affaires étrangères, Lolwah Al Khater, le 29 mai 2021, postées sur TikTok, ont également été retransmises ces derniers temps sur les médias sociaux. En voici un extrait :

Interviewer. Croyez-vous qu’on est à un moment où les nations occidentales doivent négocier avec le Hamas ?

Al Khater. Eh bien, je pense qu’il est à peu près temps que les Nations occidentales mettent un terme à leur soutien inconditionnel, tant moral que financier et, en fait, politique à Israël. Le problème, une nouvelle fois, ce n’est pas le Hamas. Cette approche réductrice visant à ramener la lutte du peuple palestinien au seul Hamas est très problématique. La fondation du Hamas ne remonte qu’à 1984. Il y a eu des décennies de souffrance avant l’existence même du Hamas.

Interviewer. Des appels du monde entier en faveur d’une enquête sur les crimes de guerre dans les deux camps. Les États-Unis disent que la moindre enquête sur les crimes de guerre va compromettre le cessez-le-feu. Qu’en pensez-vous ?

Al Khater. Je ne crois pas que ce soit juste, Samantha. Ce que la commissaire des droits de l’homme avait dit, c’était que l’agression venant d’Israël pouvait être perçue comme des crimes de guerre. Elle n’a pas dit la même chose des attaques venant de Gaza. Ainsi donc, une fois encore, nous ne parlons pas de deux camps. Nous parlons d’un État nucléaire avec l’une des armées les plus fortes du monde et d’un peuple apatride qui n’a fait que souffrir depuis des décennies. Samantha, (il montre un collage de visages d’enfants palestiniens), ces gosses du côté palestinien ont été tués… Ils ne sont pas du Hamas. Et pas uniquement non plus, quoi qu’il en soit, des Palestiniens. Vous vous souvenez de Rachel Corrie, l’activiste américaine qui a été tuée par les Israéliens en 2003 ? Ils tuent des journalistes ; ils tuent des activistes pour qu’ils ne disent pas la vérité. Ainsi donc, une fois encore, ce n’est pas une agression à deux camps. C’est fondamentalement une occupation et Israël est la dernière puissance coloniale à se manifester à notre époque.

Le public juif israélien de la chaîne de TV que j’ai mentionnée plus haut dans cet article est un public qui est trempé dans le sionisme. L’auteur israélien à succès de Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Yuval Noah Harari, décrit cette réalité et cette disposition d’esprit sur CNN et l’appelle « la solution à trois classes ».

« Le public israélien croit en Israël en tant que pays unique (entre le fleuve et la mer) dans lequel vivent trois classes : les Juifs, qui ont tous les droits ; certains Arabes, qui ont certains droits ; et d’autres Arabes, qui n’ont que très peu, voire pas de droits du tout… Et ceci constitue de plus en plus la situation sur le terrain. Et c’est de plus en plus aussi l’aspiration de la tournure d’esprit des gens, même du gouvernement, et c’est extrêmement ennuyeux, mais c’est ce qui se passe dans la réalité. »

La solution de Masar Badil est la révolution, non seulement contre la « classe », mais aussi contre l’existence d’Israël en tant qu’État juif en Palestine. Les Palestiniens sont pleinement conscients, comme Harari pourrait ne pas l’être, que ce qui est « ennuyeux » à propos de la situation est bien plus que de l’« apartheid ». Pour reprendre les mots de Susana Khalil,

« le sionisme est un mouvement fasciste euro-centrique et, aujourd’hui, c’est le moteur de l’inhumanité impériale et c’est la normalisation même du fascisme. Le sionisme est un ennemi de l’humanité qui, avec son superpouvoir despotique, lui permet de se moquer du monde et de le soumettre comme s’il était le porteur intouchable de la Paix ».

Néanmoins, le monde et ses médias continuent à négliger ces vérités et à ne traiter les Palestiniens que selon deux poids et deux mesures.

L’imagerie parfois malvenue de la Coupe du Monde au Qatar lors de la cérémonie d’ouverture, et sa rhétorique éculée parlant d’« unir le monde », de « nous rassembler » et du « beau jeu » laisse le Palestinien de marbre.

Je n’adhère pas non plus à l’évaluation par The Telegraph de la cérémonie en tant que vitrine

« d’une organisation corrompue, obsédée par l’argent et d’un régime dont l’approche des droits civiques et de la sécurité du travailleur est restée moyenâgeuse »,

sans appliquer cette description dépréciative au gouvernement britannique et à son histoire sordide en Palestine (pour ne pas mentionner de nombreuses autres régions du monde) et à Israël, prétendue “seule et unique démocratie du Moyen-Orient”.

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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.

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Publié le 25 novembre 2022 sur le blog de Rima Najjar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : La Coupe du monde de 2022, une occasion en or pour la Palestine

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