Tony Greenstein : Comment les sionistes ont collaboré avec les nazis. Partie III.

Troisième et dernière partie de la transcription du podcast “Comment les sionistes ont collaboré avec les nazis.” Les journalistes Nora Barrows-Friedman et Asa Winstanley ont invité le blogger Tony Greenstein, vétéran du mouvement de solidarité avec la Palestine au Royaume-Uni, Greenstein parle de son nouveau livre, Zionism During the Holocaust: The Weaponization of Memory in the Service of State and Nation (Le sionisme durant l’Holocauste ou comment faire de la mémoire une arme au service de l’État et de la nation).

Le livre de Tony Greenstein plonge dans l’histoire de la collaboration du mouvement sioniste avec l’extrême droite, incluant même l’Allemagne nazie.

Trouvez ici la première partie  et la deuxième partie de la transcription.
La vidéo (en anglais) se trouve en bas de l’article.

La couverture du livre de Tony Greenstein : Le sionisme durant l’Holocauste ou comment faire de la mémoire une arme au service de l’État et de la nation

La couverture du livre de Tony Greenstein : Le sionisme durant l’Holocauste ou comment faire de la mémoire une arme au service de l’État et de la nation

 

Asa Winstanley. Il y a tant de choses, dans votre livre, Tony, que nous n’aurons pas le temps d’entrer dans tout ! Et vous couvrez certains des mêmes sujets que traite le livre de Lenni Brenner, et j’ai écrit là-dessus ainsi qu’en relation avec Owen Jones récemment. À savoir l’accord Haavara et l’affaire Reszo Kasztner, qui était un dirigeant sioniste hongrois qui collaborait avec les nazis. Et vous passez en revue tous ces cas, et d’autres, ils sont toujours matière à controverse, pour certains comme Owen Jones, qui a défendu Rezso Kasztner.

Mais beaucoup de choses dans votre livre étaient nouvelles pour moi. Votre livre est le seul que je connais et qui ramène l’histoire tout entière à l’époque moderne en termes de collaboration israélienne avec l’extrême droite et vous avez une perspective globale sur la chose.

Ainsi donc, pourriez-vous expliciter un peu plus vos conclusions sur les liens d’Israël avec l’extrême droite et les régimes fascistes ? Plus récemment, dans les années de l’après-guerre et jusqu’à nos jours…

Tony Greenstein. Mon dernier chapitre, le chapitre 18, traite de l’Argentine. Et je pense que c’est un cas spécial, parce que ç’a été le premier régime néonazi, en laissant de côté le Paraguay.


Asa Winstanley.
J’ai lu ce chapitre aujourd’hui et je l’ai trouvé vraiment fascinant. C’est très nouveau pour moi. Expliquez-nous donc ça.

Tony Greenstein. Entre 1976 et 1983, une junte militaire a occupé le pouvoir en Argentine. Son idéologie était antisémite. Elle se cramponnait à son plan Andinia, qui dit que Marx, Freud et Einstein constituaient une espèce de trinité sacrée ou maudite. Et c’était la conspiration juive. Et, ainsi, ils arrêtaient des juifs, des juifs de gauche, surtout, mais pas entièrement, afin d’en apprendre plus et ils les torturaient et ceux-ci mouraient sous la torture pour la plupart.

 

Asa Winstanley. Ainsi, c’était la junte militaire argentine locale, qui était essentiellement à caractère fasciste. Cette sorte de conspiration mondiale qu’elle imaginait, diriez-vous que c’était leur propre version des idées nazies à propos d’une conspiration juive mondiale ?

Tony Greenstein. En essence, oui, sauf que cela tournait autour d’Einstein, de Marx et de Freud. Pourquoi, je n’en suis pas certain. Je n’ai pas effectué de recherches sur les origines du plan Andinia. Mais ils avaient ce plan. Sous la junte, jusqu’à 3 000 juifs ont disparu – environ 12,5 pour 100 de toutes les personnes qui ont disparu étaient juives. Et la communauté juive argentine représente moins de 1 pour 100 de la population argentine. Et, ainsi, vous auriez pensé, étant donné tout le foin agité dans la campagne autour des Juifs soviétiques – si vous vous en souvenez, « Let our people go », etc., une campagne massive des années 1960 et 1970 – vous auriez pensé qu’Israël serait monté en première ligne pour dénoncer la junte argentine. Pas un mot sur la chose, silence radio absolu ! Pourquoi ? Eh bien, ils étaient les premiers fournisseurs d’armes à la junte argentine. Quand Carter a bloqué ses ventes d’armes à la junte, Israël a sauté dans la brèche. Israël formait ses officiers, ils allaient en Israël pour recevoir leurs formations. Lors de la guerre des Malouines, Israël a équipé l’Argentine d’équipements militaires d’urgence, etc. L’ambassade d’Israël refusait des demandes de juifs que la junte considérait comme subversifs.

Ainsi, cette idée selon laquelle Israël sera en quelque sorte un refuge contre l’antisémitisme pour les juifs n’est que balivernes, parce que, si vous êtes socialiste à l’étranger et que vous tombez sous le coup de la junte de [Volodymyr] Zelenskyy, vous n’y serez probablement pas très bien accueilli. Mais, à Buenos Aires, il est certain que l’ambassade d’Israël ne voulait pas en entendre parler. Certains juifs obtinrent des visas, quoi qu’il en soit, mais leur vision politique était très hostile. Et cela fut repris dans le livre d’un correspondant israélien du journal Yehdiot Aharonot – dont je crois qu’il s’appelait Zohar, cela m’a échappé, mais c’est dans le bouquin et, fondamentalement, ce n’était pas la bonne catégorie de juifs. Et ils ne furent donc pas bien accueillis.

Et le plus célèbre d’entre eux fut Jacobo Timerman, qui éditait un journal sioniste de gauche, La Opinión, et il fut arrêté et torturé. Quand il fut relâché, son affaire attira une énorme publicité et il fut placé en résidence surveillée. L’ambassadeur d’Israël, Ram Nirgad, lui rendit visite et lui demanda de signer certains documents disant qu’il avait été bien traité, ce qu’il refusa absolument. Il condamna le conseil de la communauté juive locale, DAIA et AMIA, qu’il accusa d’être des collaborateurs et de constituer un Judenrat, parce qu’ils étaient sionistes. Du fait que la majorité des Juifs argentins n’étaient pas sionistes, à l’époque, je ne sais pas où la situation en est actuellement. Mais Israël avait absolument refusé de s’exprimer. Et quand Timerman avait demandé pourquoi au directeur du ministère israélien des affaires étrangères, il avait répondu que c’était parce que les Russes étaient nos ennemis alors que les Argentins faisaient partie de notre amitié avec les Américains.

Il y a cela : Quand on en arrive là, les intérêts d’Israël passent toujours en premier. Et c’est ainsi que l’idée disant qu’un État juif va protéger les juifs à l’étranger est une absurdité totale. Mais, une fois encore, l’épisode argentin a lui aussi disparu dans le puits de la mémoire. Il y a ainsi une histoire de base de ce qui s’est passé. Il y a beaucoup de choses en plus que j’ai dû mettre à part. Mais je pense que les éléments essentiels sont présents. La Knesset a refusé de discuter de la situation précaire des Juifs argentins, tout au long de cette période. Cela avait tout simplement été interdit sur les ordres du gouvernement jusqu’à ce que, finalement, la cour suprême dise : « Oui, cela doit être discuté. » Mais les preuves sont là. Shulamit Aloni, de Ratz, le parti des droits civiques, a tenté à plusieurs reprises de discuter de l’affaire et elle a été menacée physiquement par les sionistes, qui ont dit : « Cela ne peut être discuté, les intérêts israéliens passent avant. » De sorte que c’est la leçon du sionisme et de l’État israélien. Quand on en arrive là, ce n’est une garantie de rien même si vous êtes juif !


Asa Winstanley.
Et Israël fournissait des armes à la junte, tout au long de cette période.

Tony Greenstein. Oui, absolument. Il envoyait des jets Kfir. Oui, oui.


Asa Winstanley.
Et une partie de cet armement a été livrée dans des périodes où les armes américaines ne devaient pas être fournies à la junte ?

Tony Greenstein. C’est cela. Fondamentalement, Israël a suivi cette politique au moment où les États-Unis ont été forcés par le Congrès, suite aux pressions publiques, de ne pas équiper ni armer certaines de juntes sud-américaines. La même chose au Guatemala : Israël a toujours sauté dans la brèche.


Asa Winstanley.
Ce fut un modèle durant toute cette période de sales guerres en Amérique latine. Ce fut pareil avec les Contras au Nicaragua. Et, comme vous le mentionnez dans le livre, le génocide au Guatemala, dans lequel Israël était aussi complice en contribuant à armer les généraux de l’époque – dont Rios Montt, qui allait plus tard être reconnu coupable de génocide.

Ceci se rapporte à ce que vous avez dit plus tôt : Israël a été un outil utile et il l’est toujours, de l’impérialisme mondial américain et, avant cela, de l’impérialisme britannique. Autre chose, que j’ai trouvé de vraiment fascinant dans le chapitre sur l’Argentine et dont je pense que je n’en savais rien du tout, ou peut-être de façon confuse, c’était la question de la communauté AMIA – le centre communautaire juif bombardé en 1994. Et nous retrouvons cela occasionnellement sur le tapis, aujourd’hui : il y aurait des allégations à l’époque, et aujourd’hui encore, disant que l’Iran et le Hezbollah étaient derrière cette affaire. Mais, en fait, il a bien été montré que ce n’était pas le cas.


Tony Greenstein.
Oui, il est assez clair aujourd’hui, d’après l’informateur de la police qui a fini par témoigner contre ses employeurs, si vous aimez ce genre de témoignage, que le plan d’une attaque à la bombe contre le centre émanait bien de la police même. Et ils ont fondamentalement examiné l’affaire afin de mettre le doigt sur les points faibles, etc. Et c’est une conclusion honnête : ils étaient bien responsables. Il n’y a pas de preuve que ce soient l’Iran et le Hezbollah qui l’aient fait. Et les Américains ont en gros accepté qu’il n’y avait pas de preuve. Mais, vous savez, pour Israël, ses intérêts consistent à blâmer le Hezbollah et l’Iran.


Asa Winstanley.
Ouais. C’est une histoire du type « opération Gladio », en fait, non ? Parce que quelque chose d’autre que vous avez mis dans le livre, c’est que, dans pas mal de ces dictatures militaires sud-américaines, il y avait en place une idéologie néonazie, si pas carrément nazie car, dans bien des cas il y avait des criminels de guerre nazis qui s’étaient réfugiés en Amérique du Sud, parfois même avec l’aide d’Israël. Je connaissais une partie de l’affaire, mais quelque chose de nouveau que j’ai appris dans votre livre, c’est que les Israéliens faisaient essentiellement la même chose que les Américains et les Britanniques quand ils sauvaient les criminels de guerre nazis de l’Italie et de l’Allemagne de l’Ouest, à la fin de la seconde Guerre mondiale et après. En fait, Israël a fait pareil dans plusieurs cas aussi.

Pourriez-vous nous dire qui étaient Walter Rauff et Otto Skorzeny et ce qu’ils ont fait pour Israël ? C’est quelque chose dont vous parlez aussi dans votre livre.

Tony Greenstein. Je ne sais pas grand-chose sur ce qu’ils ont fait pour Israël, mais je sais qu’ils ont été des agents d’Israël. Otto Skorzeny, apparemment, était un homme de main au service d’Israël. Skorzeny était célèbre, parce que, avant tout, il délivra Mussolini quand celui-ci fut renversé lors du coup d’État, vers septembre 1943, me semble-t-il. Il fut arrêté et détenu quelque part et Skorzeny, qui était parachutiste, dirigea la tentative de sauvetage et remit Mussolini dans ses fonctions, dans ce qu’on a appelé la république de Salo, qui était en réalité dirigée par les nazis, et non par les Italiens. Et c’est alors que débuta la déportation des Juifs italiens. Et ainsi, Skorzeny joua un rôle clé dans l’affaire. Puis en Hongrie, de nouveau, le régime antisémite que les nazis avaient installé sous Horthy en mars 1944 fut fondamentalement facilité dans ses fonctions par [Miklós] Horthy après la réponse de l’Ouest aux déportations. Les déportations des juifs débutèrent le 15 mai 1944 et elles furent arrêtées par Horthy le 7 juillet, pour la simple raison qu’elles étaient devenues un secret de polichinelle à l’Ouest, à cause de ce qui se passait, de la publicité massive conférée aux protocoles d’Auschwitz qui, en dépit des efforts de Kasztner, avaient fait l’objet de publicité. La presse suisse ne cessa d’en parler et, en fin de compte, Horthy ordonna tout simplement qu’on arrête les frais en disant : « Nous ne pouvons plus persister là-dedans. »

Tous savaient ce qui se passait. Mais il se dégonfla, comme ce fut le cas pour toute une série d’alliés des nazis en Europe de l’Est, dont [Ion] Antonescu en Roumanie, qui eut des doutes, lorsqu’il se rendit compte que les Allemands allaient perdre la guerre. Et c’est ainsi que la situation changea. Mais Horthy établit son régime. Je crois que ce fut à partir d’août environ jusqu’à octobre [1944], sous le général [Geza] Lakatos, ce fut un régime assez bienveillant : Au fil du temps, les juifs ne furent plus persécutés et les déportations n’eurent plus lieu. Puis Horthy fut très stupide, et de multiples façons. Il déclara à Hitler qu’il allait rejoindre les Alliés. Dès lors, naturellement, les nazis se hâtèrent de le renverser. Et Skorzeny vint et il captura le fils de Horthy, qui s’appelait Miklós aussi, il le fit enrouler dans une carpette, croyez-le ou pas, et dit à Horthy que, s’il faisait un geste de travers ou qu’il désobéissait aux ordres, son fils serait abattu. Et, ainsi, il joua un rôle clé dans le rétablissement d’un régime néonazi, si vous voulez, en Hongrie, à partir d’octobre environ, je pense que c’était le 23, jusqu’au moment où Budapest fut libérée en janvier 1945.

Il n’y eut pas de déportations parce qu’Auschwitz avait déjà fermé boutique. En réalité, on y avait arrêté les exterminations vers octobre ou novembre. Pour l’instant, ils faisaient sauter les équipements d’extermination parce que Himmler lui non plus n’était plus tellement enthousiaste, à ce moment-là. Mais quand les Nyilas, les Croix fléchées, qui étaient les fascistes qui avaient pris le pouvoir – ils dirigèrent des émeutes à Budapest et tuèrent jusqu’à 50 000 juifs. Budapest comptait un quart de million de juifs. Et 200 000 d’entre eux furent sauvés en raison des protocoles d’Auschwitz. Mais 50 000 moururent dans ces pogroms sauvages avant que les Soviétiques ne libèrent Budapest et le reste de la Hongrie. Skorzeny joua un rôle clef, dans toute cette affaire.

Mais, néanmoins, il fut un agent d’Israël. Et, de même, Walter Rauff. Walter Rauff avait à son crédit l’invention du camion à gaz. Vous faisiez monter les gens à l’arrière de la remorque de gaz et vous attachiez un tuyau à l’échappement, le faisiez déboucher à l’intérieur et les gens mouraient tout ce qu’il y a de plus efficacement d’un empoisonnement au monoxyde de carbone. Ces camions à gaz furent d’abord utilisés contre les handicapés en Allemagne, ce qui provoqua un scandale. Les gens commencèrent à se demander : Qu’est-ce qui s’est passé avec mon enfant, on est venu le chercher, on l’a déclaré anormal, après quoi arrive un certificat de décès. La chose s’est produite 70 000 fois environ. Et, ainsi, finalement, cela ressembla assez à un secret de polichinelle. Il y avait ces centres d’élimination en Allemagne et Hitler comprit qu’il ne pouvait plus persister en ce sens. Mais la chose fut transférée, on l’appela l’euthanasie blanche, au camp de concentration. Et cela se poursuivit, mais plus en Allemagne même. Et ce fut la réponse à ceux qui disaient, « eh bien, le peuple allemand était au courant des camps d’extermination ». Ce n’est pas vrai. La raison principale pour laquelle ils n’étaient pas situés en Allemagne était précisément que le peuple allemand ne savait rien d’eux de sorte qu’on les installa en Pologne pour ces raisons.

Mais Walter Rauff, il a non seulement inventé le camion à gaz, qui a tué, je ne sais pas, un minimum de 100 000 personnes, probablement beaucoup plus, aux frontières de l’Union soviétique, à Chełmno, qui fut le premier camp d’extermination, puis en Serbie et ailleurs. Il se rendit en Tunisie et il tenta – durant l’occupation nazie plus ou moins à partir d’octobre 1943 – un camp d’extermination à Kairouan. Mais l’occupation nazie ne dura qu’environ six mois. Et les Italiens eux aussi faisaient objection. Finalement, ils abandonnèrent donc l’idée. Et, comme je l’ai dit, l’occupation nazie de la Tunisie ne fut que de brève durée, heureusement. Mais Rauff était un important criminel de guerre et le fait simplement qu’Israël l’ait eu comme agent secret était tout simplement scandaleux. Mais c’est pourtant ce qui arriva. Et Israël paya son passage en Équateur, où il entama une nouvelle existence. Je pense qu’il devint officier supérieur dans un endroit secret du Chili sous [Augusto] Pinochet.

Et c’est donc vrai : Israël n’hésite pas à coopérer avec des régimes et mouvements néonazis. Est-ce vraiment étonnant ? Nous avons un parti nazi juif, qui va devenir le troisième parti en importance à la Knesset d’un jour à l’autre. La politique israélienne tourne autour de cela. Si vous établissez un État ethno-nationaliste, ce que vous faites s’accorde avec la logique de ce que les nazis faisaient aussi. Tel est le sort des États ethno-nationalistes, et c’est pourquoi le néonazis aiment Israël aujourd’hui, parce que, vraiment, qu’y a-t-il là qu’ils n’aimeraient pas ? Comme le dit Richard Spencer, « Je suis un sioniste blanc. »


Nora Barrows-Friedman.
À propos de vos décennies de recherches et ce livre, et votre propre activisme politique, où voyez-vous le sionisme aller ? De nos jours, dans cette situation en cours, dans ce contexte où Israël devient de plus en plus fasciste, de plus en plus un État d’apartheid et génocidaire et de plus en plus imbriqué dans des desseins et une politique impérialistes partout dans le monde ?

Tony Greenstein. C’est une question difficile, parce qu’elle dépend d’un tas de variables. Ce que je ne pense pas qui soit possible, c’est que les Palestiniens auront le poids d’eux-mêmes de renverser le sionisme en Palestine. Au contraire des noirs sud-africains, ils n’ont pas une classe ouvrière majeure dont les blancs sont dépendants. Ce n’est pas le cas en Israël. L’Afrique du Sud a été d’abord une colonie d’exploitation, une colonie de peuplement exploitatrice, alors qu’Israël, réellement, ne veut pas des Palestiniens, il les expulserait très volontiers de l’autre côté du Jourdain, s’il avait la moindre chance que ce fût faisable politiquement. Ainsi, il y a une bien plus grande force en Israël non seulement politiquement, mais économiquement et socialement. C’est une communauté très soudée. Et c’est pourquoi les moindres idées de socialisme – je pense que les mots « gauchiste » ou « de gauche » soient des insultes, aujourd’hui. On peut voir la gauche sioniste, qui n’a jamais eu grand-chose d’une gauche, et qui en est aujourd’hui un fragment, elle a rempli son rôle : elle est absolument à côté de la plaque. Et c’est pourquoi je ne vois pas, à l’intérieur d’Israël, le moindre changement de quelque nature qu’il puisse être.

Je pense que des organisations comme le Board of Deputies (organisation communautaire juive réunissant des députés du Parlement britannique, NdT) continueront de blanchir ce qui se passe. Le Jewish Chronicle et le Jewish News et d’autres encore s’assureront que rien de vrai n’en sorte. Ainsi donc, c’est au mouvement de solidarité avec la Palestine en Grande-Bretagne de conscientiser les jeunes juifs, comme c’est le cas en Amérique, de la réalité de ce qui se passe. Il me semble, pour une bonne part du peuple britannique, qu’il y a une compréhension croissante de ce qu’Israël est un État d’apartheid. Mais là où j’estime que les gens se trompent, c’est quand ils croient que l’establishment britannique sera par conséquent convaincu. Israël est soutenu parce que c’est dans les intérêts de l’impérialisme britannique et américain qu’il le soit. Ainsi donc, il n’y aura pas beaucoup de changement, à moins qu’ils ne soient forcés de changer par un mouvement de masse venu d’en bas. Et, ainsi, l’idée de la Campagne de solidarité avec la Palestine, que l’on peut réellement généraliser le discours antisioniste et propalestinien, ne s’accorde tout simplement pas avec la réalité, parce que ce n’est pas dans leur intérêt. Et c’est pourquoi les journaux les plus antisémites, vous savez le [Daily] Mail, qui avait fait une virulente campagne en compagnie de L’Express afin de ne pas accepter des réfugiés de l’Allemagne nazie, sont les plus prosionistes de tous. Ils peuvent utiliser une néonazie appelée Katie Hopkins, qui prend la parole sur des plates-formes en compagnie de négationnistes de l’Holocauste, en même temps qu’ils peuvent être de fervents prosionistes.

Être antisémite et sioniste est parfaitement compatible. Et, selon toute évidence, bien des juifs ne le comprennent pas. Mais je pense en termes de fin du sionisme : tant que les peuples arabes n’auront pas renversé les régimes qui les oppriment – parce que ces régimes sont protégés par Israël, c’est pourquoi Israël a été mis en place : afin de garantir la sécurité des intérêts pétroliers occidentaux – tant que nous ne verrons pas la révolution dans l’Orient arabe, alors je ne crois pas que le sionisme sera renversé. Je ne puis voir aucune force capable de le faire. Certainement pas à l’intérieur d’Israël, la population juive, la population de colons certainement ne le feront pas. Ni tous ceux qui croient vivre dans un royaume de sucre candi. Martin Luther King l’a dit : Ceux qui tirent profit de privilèges n’y renonceront pas volontairement. C’est la lettre depuis la prison d’Alabama. C’est aussi vrai aujourd’hui que ce ne l’était à l’époque.

Ainsi, fondamentalement, il n’existe pas de solutions réformistes au sionisme. On peut réformer le capitalisme (Sic – NdT) et y introduire des palliatifs. Mais on ne peut le faire avec le sionisme, il doit être renversé et détruit jusqu’à l’anéantissement. Je dis dans mon livre que même s’il n’y avait pas eu de Palestiniens, même si le mouvement sioniste avait colonisé une île déserte du Pacifique, je me serais opposé au sionisme, parce que c’est une formation réactionnaire de son propre droit, sans égard pour ce qui est fait aux Palestiniens autochtones et qui est aussi réel aujourd’hui qu’à l’époque. La Palestine ne sera pas libre tant que le monde arabe ne le sera pas non plus, je le crains. À moins que l’Amérique ne retire son soutien parce que le pétrole coule de quelque chose du même genre. Mais, même dans ce cas, j’en doute, de toute façon.

Mais c’est ça mon scénario. En Amérique, le sionisme perd de sa faveur parmi les juifs. Les principaux supporters, naturellement, sont les fondamentalistes chrétiens, parce qu’ils sont des impérialistes chrétiens. C’est cela qui les motive réellement. C’est une religion nationale exactement comme on avait l’église du Reich allemand, où les Allemands étaient le peuple choisi. De même que l’Amérique et la Destinée manifeste. Tout cela, c’est la même chose. Bob Dylan a écrit que chaque nation qui s’en va-t’en guerre à Dieu à ses côtés. Et c’est aussi vrai pour l’Amérique que ce ne l’est pour Israël. Je suis navré, ce n’est pas très optimiste, mais je ne puis que faire de mon mieux afin d’aider les gens à comprendre ce qu’est le sionisme. Malheureusement, il n’est pas dans mon pouvoir de faire beaucoup plus.

Nora Barrows-Friedman. Vous avez fait un sacré travail, Tony !

Tony Greenstein. Je ne suis qu’un individu.


Nora Barrows-Friedman.
Dites-nous où l’on peut avoir le livre, quand il sortira et comment les gens pourront rester en contact.

Tony Greenstein. Oui, OK. Il y a longtemps, j’étais naïvement optimiste en pensant qu’il serait sorti en avril dernier. Mais n’ayant pas connu ce processus auparavant et n’ayant écrit qu’un seul bouquin avant cela, et là, tout avait été fait pour moi. En gros, ç’avait été autopublié dans le sens que j’avais sorti des tas d’argent à une maison d’édition pour qu’elle le fasse pour moi. C’est une brique, il fait environ 1 300 000 et je devais renvoyer les épreuves plusieurs fois, corriger les erreurs, et tout ce travail. Et, dans le processus, je récrivais certains passages aussi. Et c’est ainsi qu’il va sortir avant un mois, je croise les doigts, tout sauf la couverture rigide est terminé. Donc, réellement, maintenant, ce n’est plus qu’une question de temps. Les copies justificatives, comme je le dis, sont sorties. Et le livre lui-même va sortir. Ainsi, si les gens en veulent un exemplaire, qu’ils m’adressent un courriel à TonyGreenstein104@gmail.com. Je le mettrai sur mon blog. Et je le ferai savoir aux gens, mais ce sera très utile.

Malheureusement, PayPal m’a retiré mon compte récemment, sans évoquer de raison, mais je pense qu’on peut deviner d’où sont venues les pressions. C’eût été la façon la plus facile. Mais ce ne sera pas ainsi si vous m’adressez un courriel, je vous fournirai les détails bancaires. Et si vous transférez l’argent, ce sera presque toujours à bas prix, la version poche à couverture souple tournera autour de 12,50 £ (14,38 €) et la version à couverture rigide autour de 18 £ (20,70 €) et ce sera un peu plus cher pour les éditeurs mêmes. Mais je n’amasserai pas une grosse fortune, je le crains. Je veux tout simplement le voir sortir, parce que je pense que les informations qu’il contient doivent être connues et comprises. Parce que si les gens avaient compris le bilan du sionisme vis-à-vis de l’antisémitisme, ils l’auraient extrait du Labour Party et dit :

« Eh bien, votre bilan aujourd’hui n’est pas très bon, hein ? Pourquoi êtes-vous si soucieux à propos de Jeremy Corbyn ? »

Mais les gens ne posent pas de questions simples comme celle-là, n’est-ce pas ?


Asa Winstanley.
Quelle est la réponse ? Je présume que vous avez approché des éditeurs, avec cela ?

Tony Greenstein. Oui. J’ai approché Zed Press, dont un des consultants m’avait dit que le livre était incendiaire. Pluto Press n’a même pas donné de réponse. Verso a hésité, ils ont en fait utilisé un couple de lecteurs. L’un d’eux a été très utile concernant la structure du livre. Et c’est ainsi qu’il m’a aidé à le repenser. Mais à la fin, ils ont été refroidis. Je veux dire, c’est un gros bouquin et Pluto m’a dit qu’il était trop gros pour eux de toute façon, mais je ne sais pas. Vous savez, il est plus facile d’imprimer des bouquins universitaires de gauche, vous ne causerez pas trop d’agitation et celui-ci, sans aucun doute, va en créer et, manifestement, Pluto ne veut pas y être associé. Ainsi donc, j’ai décidé que je devais le sortir moi-même.

Les sionistes sont très utiles, là-dedans, parce que j’ai mis en place un CrowdFunder, et je l’ai fait délibérément le samedi, parce que je savais qu’ils seraient à la synagogue et qu’ils ne pourraient rien sortir. Ainsi, le lundi ou le mardi, il avait récolté environ 700 £, mais j’ai écrit à chaque personne en disant : Envoyez-moi votre adresse courriel, ça va être supprimé, il n’y aura pas moyen de le laisser dessus. Mais alors je pourrai vous écrire et organiser un autre moyen de paiement. Et, naturellement, j’ai bloggé à propos du sionisme qui s’en prenait à la liberté d’expression. C’est ainsi que j’ai récolté environ la moitié des coûts simplement de cette façon. Ainsi, essentiellement, les sionistes m’ont aidé sans le vouloir, parce que cela leur a pris trois jours pour liquider le CrowdFunder. Et nous savons, naturellement, pourquoi ils ont fait cela. Ainsi donc, voilà comment vont les choses. Mais, parfois, ils sont si prévisibles, et ils sont prévisiblement stupides aussi.

 

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Nora Barrows-Friedman est l’une des rédactrices de l’équipe et responsable associée de l’édition de The Electronic Intifada, et elle est l’autrice de In Our Power : US Students Organize for Justice in Palestine (En notre pouvoir : des étudiants américains s’organisent pour la justice en Palestine) (Just World Books, 2014).

 

Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienne) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.or

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Publié le 2 novembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Trouvez ici la première partie de l’entretien
Trouvez ici la deuxième partie de l’entretien

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