Abbas reprend là où Israël a laissé tomber à Jénine

La seconde partie de l’offensive aérienne et terrestre d’Israël contre le camp de réfugiés de Jénine s’avère avoir commencé : Dans le nord de la Cisjordanie, les forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne arrêtent des activistes de la résistance appartenant au Djihad islamique.

 

Le 3 juillet, des Palestiniens armés affrontent l’armée israélienne en pleine offensive militaire à Jénine

Le 3 juillet, des Palestiniens armés affrontent l’armée israélienne en pleine offensive militaire à Jénine. (Photo : Alaa Badarneh / EFE)

 

Maureen Clare Murphy, 18 juillet 2023 

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, avait espéré que les deux journées d’opération à Jénine du début de ce mois allaient stimuler l’Autorité palestinienne qui, dans cette ville, a perdu depuis longtemps sa capacité d’arrêter des Palestiniens pour le compte d’Israël.

De façon plus générale, l’Autorité palestinienne à Ramallah en est à son point le plus faible jamais atteint. Son avenir est douteux, sans successeur bien précis à Mahmoud Abbad, son dirigeant de 87 ans, et sa légitimité est de plus en plus remise en question.

Comme le disait Omar Karmi, de The Electronic Intifada :

« Sous la surveillance d’Abbas, l’AP est devenue antidémocratique et répressive et elle en est réduite à n’être guère plus qu’un récipiendaire de l’aide internationale et un sous-traitant sécuritaire très peu efficace d’Israël. »

Non qu’il ait été jamais prévu qu’elle fût autre chose. Mais ce rôle est devenu de plus en plus manifeste et intenable.

L’Autorité palestinienne n’est pas parvenue à protéger les Palestiniens en Cisjordanie des récents pogroms des colons destinés à terroriser les gens et à leur faire quitter leurs terres. À maintes reprises, Israël a effectué des raids dans des villes sous le contrôle nominal de l’Autorité palestinienne, parfois en plein jour, et ces raids se sont fréquemment soldés par de multiples pertes en vies palestiniennes.

Sans parler des abus quotidiens commis par les forces d’occupation.

On ne sera guère surpris que la résistance armée s’intensifie. Après que le « processus de paix » d’Oslo n’a fait qu’accélérer la colonisation israélienne et consolider le contrôle de Tel-Aviv, bien des Palestiniens voient peu d’autres alternatives pour garantir leur liberté et leurs droits fondamentaux.

 

Une bataille très difficile

Réaffirmer son contrôle va constituer une bataille très difficile pour le gouvernement de Ramallah et ne fera sans doute que le rendre plus impopulaire encore, particulièrement s’il cible la résistance armée.

Les forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne se sont déployées lundi soir dans les centres des villes de Cisjordanie en anticipation des protestations soulevées par l’arrestation des activistes de la résistance.

 

« Nous ne demandons pas aux services de sécurité de combattre en notre nom ou de se ranger à nos côtés, mais nous leur demandons de ne pas nous poignarder dans le dos. »

Tel a été l’appel émanant lundi des Brigades de Jénine :

 

L’actuelle répression exercée par l’Autorité palestinienne – et c’est loin d’être la première – a débuté alors que le siège de Jénine était encore en cours.

Les forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne ont arrêté début juillet deux Palestiniens qui étaient en route pour aller défendre le camp de réfugiés de Jénine contre les envahisseurs israéliens, ce qui a déclenché l’indignation du public.

Ainsi donc, on ne sera guère surpris que trois hauts responsables du parti Fatah, la faction dominante au sein de l’Autorité palestinienne, aient été conspués et chassés de l’enterrement de masse de plusieurs des 12 Palestiniens tués au cours de l’offensive militaire.

CNN a rapporté que les cortèges funéraires

« se sont rapidement mués en une manifestation massive de résistance, avec les factions armées palestiniennes qui proclamaient la victoire précisément pour avoir résisté à la puissance de feu israélienne ».

Quelques jours plus tard, l’Autorité palestinienne a envoyé une délégation en ville, historiquement un foyer de résistance contre l’occupation et la colonisation – que ce soit par la Grande-Bretagne ou par Israël, ainsi que contre l’oppression de l’Autorité palestinienne.

Abbas s’est rendu à Jénine à bord d’un hélicoptère jordanien, pour sa première visite à la ville depuis 2012. C’était même sa toute première visite au camp de réfugiés de Jénine depuis son élection à la présidence de l’Autorité palestinienne en 2005 (il n’y a plus eu d’élections depuis lors).

La rareté des incursions d’Abbas en dehors de sa bulle de Ramallah et les mesures extraordinaires qui ont dû être prises pour rendre de tels voyages possibles soulignent l’impopularité de l’AP, son isolement et la distance qui la sépare du peuple qu’elle est censée représenter.

Flanqué de hauts responsables, dont Hussein al-Sheikh et Majed Faraj, Abbas a tenté de réaffirmer l’autorité de Ramallah et de consolider son pouvoir en ville – une démonstration s’adressant à la fois au public palestinien et aux interlocuteurs israéliens de l’AP ainsi qu’à ses sponsors américains et européens.

« Nous sommes venus dire que nous sommes une autorité, un État, une loi et une sécurité et stabilité »,

a déclaré Abbas, sa remarque s’adressant aux factions opposées à la collaboration de l’Autorité palestinienne avec Israël.

« Nous couperons la main à ceux qui touchent à l’unité et à la sécurité de notre peuple »,

a-t-il ajouté.

The New York Times a rapporté que la vidéo de la visite d’Abbas montrait les forces sécuritaires de l’AP

« empêchant un convoi militaire d’entrer [dans Jénine] – une scène tellement rare que bien des gens se sont demandé dans les médias sociaux si elle n’avait pas été montée de toutes pièces ».

Lundi, les Brigades de Jénine – affiliées au Djihad islamique – ont accusé Abbas d’avoir rompu un accord disant que l’AP allait libérer les personnes arrêtées au cours de l’opération de Jénine en échange de quoi Abbas pourrait visiter la ville sans qu’il y ait de perturbations.

 

Un appel à la transparence

Pendant ce temps, certains Palestiniens de Jénine réclament la transparence de la part de l’AP – largement perçue par ses électeurs comme corrompue – à propos de la reconstruction du camp de réfugiés de Jénine qui, aux dires de Ramallah, va demander quelque 15,5 millions de USD.

Ce qui n’aide pas la perception du public, c’est la récente annonce par l’AP qu’elle va augmenter les salaires des forces de sécurité près de dix fois plus que le taux d’augmentation des salaires alloués aux enseignants, qui s’étaient mis en grève un peu plus tôt cette année.

Les besoins des gens du camp de réfugiés Jénine sont indéniablement importants, après l’offensive d’Israël.

Quelque 460 maisons ont été endommagées, dont 70 détruites ou à peu près. Des infrastructures de première importance, comme les routes, doivent être reconstruites. Une clinique de soins de santé doit également être reconstruite, après avoir été mise hors d’état de fonctionnement.

 

Une fois encore, les États tiers paieront les dégâts occasionnés par Israël, mais la prétendue communauté internationale finit par se lasser de fournir de l’aide humanitaire aux Palestiniens.

L’UNRWA, l’agence de l’ONU responsable de quelque six millions de réfugiés palestiniens, est au bord de l’effondrement financier, avec un manque de financement actuel qui signifie qu’elle parviendra à peine à couvrir ses dépenses jusqu’en septembre.

En juin, le secrétaire général de l’ONU a prévenu de ce que la suspension des opérations de l’UNRWA aurait des conséquences « catastrophiques » et inverserait des décennies de gains sur le développement humain.

Abandonnés par les puissances mondiales et trahis par les dirigeants, les Palestiniens sont pour l’essentiel livrés à eux-mêmes.

Tel était le message du nord de la Cisjordanie ce lundi :

« Nous ne demandons pas à l’Autorité palestinienne d’être avec nous, mais de se tenir à l’écart de nous (…) Nous sommes très capables de nous protéger nous-mêmes. »

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 3 juillet 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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