Israël a-t-il construit un bunker sous l’hôpital al-Shifa ?

Étant donné la propension au mensonge d’Israël, il serait très capable de « découvrir » une installation souterraine qu’il a lui-même bâtie et de tenter de la présenter au monde en guise de revanche contre les accusations qui pèsent sur lui.

 

Hôpital al-Shifa

 

Ali Abunimah, 16 novembre 2023

Le présent assaut mené par Israël contre l’hôpital al-Shifa – où, actuellement, 7 000 personnes sont assiégées dans des conditions désespérées – peut faire partie de sa tentative en vue d’étayer ses allégations disant que le Hamas utilise un bunker de commandement sophistiqué sous l’hôpital.

Ce repaire, digne des méchants des films de James Bond, a été dépeint dans une animation diffusée le mois dernier par l’armée israélienne.

Israël n’a jamais proposé la moindre preuve de ce qu’il affirme. Mais, comme je l’explique dans la vidéo reprise en bas du présent article et enregistrée mercredi, ses affirmations remontent à 2009 au moins.

 

Cette année, The New York Times faisait savoir que,

« dans un rapport adressé au cabinet israélien, le chef des renseignements israéliens, Yuval Diskin, a dit que la direction du Hamas à Gaza était logée dans des locaux souterrains situés sous le bâtiment n° 2 de l’hôpital al-Shifa, le plus important de Gaza. Cette allégation ne peut être confirmée ».

En 2009 également, Haaretz faisait savoir que

« des hauts responsables du Hamas à Gaza se terrent dans un ‘bunker’ construit par Israël, soupçonnent des responsables des renseignements ».

« On croit qu’il y a beaucoup de monde, dans les sous-sols du complexe hospitalier al-Shifa à Gaza, lesquels avaient été remis à neuf au cours de l’occupation par Israël de la bande de Gaza »

ajoutait le quotidien de Tel-Aviv.

Et, en 2014, la publication pro-israélienne Tablet affirmait :

« Les Israéliens sont tellement sûrs de l’emplacement du bunker du Hamas (…) non pas parce qu’ils essaient de marquer des points avec leur propagande, ni parce qu’il a été mentionné à de multiples reprises en passant par des journalistes occidentaux, mais parce que c’est eux-mêmes qui l’ont construit. »

« En 1983, quand Israël gouvernait encore Gaza, il avait construit une salle d’opération souterraine et un réseau de tunnels sous l’hôpital al-Shifa – ce qui est l’une des multiples raisons pour lesquelles les sources de la sécurité israélienne sont si sûres qu’il existe un important bunker de commandement du Hamas à l’intérieur ou dans les parages du vaste sous-sol en béton sous l’emplacement du Bâtiment 2 de l’hôpital »,

ajoutait Tablet.

 

Israël prétend avoir détruit ces infrastructures souterraines en 2021

Lors de son offensive contre Gaza, en mai 2021, Israël avait lourdement bombardé la zone entourant al-Shifa, perpétrant ce qui est resté connu comme « le massacre de la rue al-Wihda ».

« Les raids aériens ont transformé l’une des rues les plus animées de Gaza et le principal point d’accès à al-Shifa, le plus important hôpital de l’enclave, en un paysage lunaire truffé de cratères »,

avait rapporté à l’époque le journal britannique The Independent.

« Au lieu des immeubles à appartements, il n’y a plus désormais que des masses informes de béton bordées d’un fouillis d’armatures de barre de fer et de restes d’effets personnels. »

Quand on l’avait abordée à propos de la mort et de la dévastation semées par ses attaques contre les immeubles à appartements et leurs résidents civils à proximité d’al-Shifa, l’armée israélienne avait prétendu qu’elle avait attaqué « des infrastructures militaires souterraines » situées sous la route.

« Les installations militaires souterraines se sont effondrées, ce qui a provoqué à son tour l’effondrement des fondations des logements civils construits au-dessus et, partant, des pertes involontaires en vies humaines »,

avait ajouté l’armée.

Israël n’a jamais présenté la moindre preuve susceptible d’étayer ces allégations.

Mais, aujourd’hui, comme il assiège et attaque à nouveau l’hôpital, Israël compte bien que le monde va croire que le Hamas a gardé son principal centre de commandement précisément à l’endroit où les journaux israéliens et américains prétendent depuis des années qu’il se trouve et qu’Israël a affirmé avoir détruit en grande partie en 2021.

De plus, étant donné la propension au mensonge d’Israël, il serait très capable de « découvrir » une installation souterraine qu’il a lui-même bâtie et de tenter de la présenter au monde en guise de revanche contre les accusations qui pèsent sur lui.

 

Israël diffuse d’autres vidéos encore

Jeudi soir, l’armée israélienne diffusait une vidéo montrant une cache d’armes étalée sur le sol d’un espace extérieur et qu’elle prétendait avoir découverte à l’intérieur de l’hôpital al-Shifa.

L’armée n’a pas présenté de preuve que les armes – environ une demi-douzaine de fusils, quelques chargeurs, des grenades à main et, apparemment, une perceuse – aient été découvertes à l’intérieur de l’hôpital.

L’armée a également diffusé une vidéo montrant ce qu’elle prétend être l’entrée d’un tunnel à proximité de l’hôpital. La vidéo, très brève, montre un trou dans le sol, entouré de terre remuée et de débris, ce qui fait qu’il est malaisé de discerner ce qui est montré.

Plus tôt ce mois-ci, Israël a prétendu avoir trouvé l’entrée d’un tunnel du Hamas non loin de l’hôpital Sheikh Hamad, financé par le Qatar. En fait, l’ouverture était un réservoir d’eau servant à l’hôpital.

 

Biden admet « les bombardements israéliens effectués sans discernement »

Piégées à l’intérieur d’al-Shifa, quelque 7 000 personnes sont confrontées à une situation catastrophique et à une mort lente, sans fourniture d’eau, sans nourriture, sans médicaments, sans oxygène médical, sans carburant, sans électricité.

Jeudi, Israël a poursuivi son siège d’al-Shifa. Ses troupes ont mis à sac des bâtiments et ses bulldozers ont creusé des excavations autour de l’hôpital et de ses terrains, tout en détruisant la principale conduite de distribution d’eau.

Tout cela s’est passé au moment où le président américain Joe Biden continuait de soutenir les allégations d’Israël prétendant que le Hamas utilisait l’hôpital comme centre de commandement.

Biden a également répété une propagande sur les atrocités qui avait déjà été démystifiée et qui prétendait que les combattants du Hamas avaient décapité et brûlé des douzaines de bébés israéliens le 7 octobre.

Et, malgré d’autres commentaires mercredi soir montrant un Biden complètement déconnecté des réalités de la situation, notre homme a admis par inadvertance qu’Israël avait bombardé Gaza sans aucun discernement.

Défendant ce qu’il prétendait être une offensive israélienne menée avec prudence contre al-Shifa, le président a déclaré :

« C’est une histoire différente de ce que je croyais qu’il se passait avant cela, un bombardement sans discernement. »

Cet aveu signifie qu’il ne peut y avoir de doute que Biden ait armé Israël tout en sachant que les Israéliens tuaient des civils sans discernement, dont des milliers d’enfants – un aveu qui sera d’un grand intérêt pour les gens qui tentent de lui demander juridiquement des comptes pour crimes de guerre et de mettre un terme au massacre à Gaza.

 

Des patients qui meurent

Jeudi, au cours d’un entretien avec Al Jazeera en version arabe, le directeur de l’hôpital al-Shifa, le Dr Muhammad Abu Salmiya, a déclaré qu’un patient à dialyse était mort un peu plus tôt dans la journée et que quatre autres étaient voués au même sort d’ici très peu de temps.

En tout, l’hôpital soigne 45 patients qui nécessitent des dialyses – et ils ne peuvent recevoir ces soins puisqu’il n’y a pas de courant pour faire fonctionner les appareils.

 

Deux des quelque 650 personnes blessées sont décédées parce que le personnel médical ne pouvait leur fournir de traitement efficace. Les blessures, a dit le Dr Abu Salmiya, s’infectent dangereusement, parfois avec des asticots.

Des 39 bébés prématurés à l’hôpital, trois étaient morts ces derniers jours, d’après le Dr Abu Salmiya.

Sans électricité ni carburant, les incubateurs ont cessé de fonctionner. L’eau purifiée nécessaire à la préparation d’une formule spéciale pour les bébés est épuisée, de sorte que le personnel utilise de l’eau ordinaire et certains des enfants en bas âge souffrent désormais de diarrhée, d’infections et de fièvre.

Des milliers de personnes déplacées, dont un grand nombre d’enfants n’ont rien à manger et souffrent de plus en plus du désespoir et de la faim.

Entre-temps, dit encore le Dr Abu Salmiya, l’hôpital est assiégé de tous côtés par les chars et les bulldozers, mais personne ne peut voir clairement ce qu’ils font.

Le docteur a encore dit que toute personne qui essayait de se déplacer d’un bâtiment à l’autre de l’hôpital se faisait automatiquement tirer dessus par des snipers ou des drones.

 

Les Israéliens refusent de discuter

Selon le Dr Abu Salmiya, les administrateurs de l’hôpital ont essayé d’envoyer une délégation discuter avec l’armée israélienne et demander de la nourriture, de l’eau, du carburant, des médicaments et d’autres fournitures de secours d’urgence.

Mercredi, Israël a montré quelques armes à feu et autres équipements qu’il prétend avoir trouvés dans l’un des bâtiments de l’hôpital al-Shifa.

Cette prétendue preuve ne corroborait en aucun cas les sempiternelles allégations d’Israël disant que le Hamas occupait un bunker de commandement très sophistiqué sous l’hôpital.

Elle a été accueillie avec les mêmes scepticisme et dérision partagés que les « preuves grotesques » d’activité du Hamas qu’Israël avait proposées après avoir envahi l’hôpital Rantisi des enfants quelques jours plus tôt.

Pendant les 48 heures d’occupation par les forces israéliennes de certaines parties du complexe d’al-Shifa, aucun coup de feu n’a été tiré sur eux, déclare le Dr Abu Salmiya.

Les organisations de la résistance palestinienne ont nié catégoriquement qu’elles utilisaient des hôpitaux pour leurs activités militaires et elles ont régulièrement demandé que des institutions internationales impartiales viennent visiter les hôpitaux et enquêter à propos des allégations d’Israël.

« Des soldats israéliens ont eu de brefs échanges de tirs avec des hommes armés en dehors de l’hôpital, avant d’y entrer, a déclaré un officier supérieur de l’armée, mais plus de 12 heures après son début, il s’avère que l’opération ressemblait davantage à un raid policier qu’à une bataille rangée »,

rapportait The New York Times mercredi.

Le journal citait un témoin à l’intérieur de l’hôpital qui avait raconté que les Israéliens

« creusaient et se livraient à des excavations et qu’ils brisaient des carrelages afin de poursuivre leur examen des lieux ».

Alors que l’attention se concentre particulièrement sur al-Shifa, Israël a également entamé le siège de l’hôpital al-Ahli à Gaza.

 

Biden répète servilement les mensonges israéliens

Mercredi soir, le président Joe Biden a répété les affirmations israéliennes disant que le Hamas disposait d’un important centre de commandement situé sous l’hôpital al-Shifa.

« Voilà la situation », a déclaré Biden aux journalistes après sa rencontre avec le président de la Chine Xi Jinping à San Francisco.

« Vous avez une circonstance dans laquelle le premier crime de guerre est commis par le Hamas, puisqu’il a ses quartiers généraux et son armée dissimulés sous un hôpital. Et c’est un fait. C’est ce qui s’est passé. »

Les officiels de l’administration y sont allés d’assertions similaires, ces derniers jours, mais ont catégoriquement refusé de proposer la moindre preuve les étayant. Néanmoins, elles constituent un feu vert pour l’attaque d’al-Shifa par Israël.

« Nous avons discuté de la nécessité pour eux d’être incroyablement prudents », a ajouté Biden.

« Vous avez une circonstance où vous savez qu’il y a un assez grand nombre de terroristes. Le Hamas a déjà dit publiquement qu’il avait l’intention d’attaquer de nouveau Israël comme ils l’ont fait précédemment, là où ils ont tranché les têtes des enfants pour brûler… pour brûler vifs des femmes et des enfants. »

Le mois dernier, Biden a déclaré notoirement qu’il avait vu des photos corroborant les allégations d’Israël selon lesquelles les combattants palestiniens avaient décapité des douzaines de bébés, avant que la Maison-Blanche ne soit contrainte d’admettre que l’on n’avait jamais présenté ce genre de photos au président.

Israël n’a présenté aucune preuve de cette allégation et de bien d’autres de ses affirmations. Entre-temps, il existe un corps croissant de preuves que les forces israéliennes ont tué un grand nombre de leurs propres civils le 7 octobre et les jours qui ont suivi.

Prenant la défense des actions d’Israël a al-Shifa, Biden a affirmé :

« Ils [les Israéliens] font également venir des incubateurs. Ils apportent d’autres…d’autres moyens d’aider les gens dans l’hôpital et ils ont donné aux médecins – m’a-t-on dit –, aux infirmières et au personnel une opportunité de se mettre à l’abri du danger. »

Si Biden était bien informé, il saurait qu’al-Shifa et d’autres hôpitaux de Gaza ne manquent pas d’incubateurs, mais de l’électricité et du carburant pour les faire fonctionner.

Notoirement, le directeur d’al-Shifa, le Dr Abu Salmiya a dit précédemment à Al Jazeera que les Israéliens n’avaient livré aucune fourniture à l’hôpital – malgré la propagande de l’armée israélienne destinée à faire passer son attaque contre l’hôpital pour une opération « humanitaire ».

Le Dr Abu Salmiya a déclaré que malgré les circonstances particulièrement pénibles, le personnel médical n’abandonnerait pas ses patients et qu’il resterait avec eux et mourrait avec eux s’il fallait en arriver là.

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Vidéo  : L’histoire des mensonges israéliens à propos de l’hôpital al-Shifa à Gaza.

 

 

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 16 novembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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