Les Palestinien.ne.s relâché.e.s révèlent les horreurs des prisons israéliennes

Quand des femmes et des adolescents palestiniens ont été libérés lors d’un accord d’échange de prisonniers qui fera date entre le Hamas et Israël, des récits à tout le moins effrayants sont apparus à propos des conditions très sévères imposées dans les prisons israéliennes.

 

Les Palestiniens relâchés révèlent les horreurs des prisons israéliennes. Photo : Un jeune Palestinien est accueilli par ses proches et ses amis après avoir été relâché d’une prison israélienne, dans le cadre d’un accord d’échange entre le Hamas et Israël.

Un jeune Palestinien est accueilli par ses proches et ses amis après avoir été relâché d’une prison israélienne, dans le cadre d’un accord d’échange entre le Hamas et Israël. (Photo : Ayman Nobani / DPA via ZUMA Press / APA images)


Tamara Nassar
, 4 décembre 2023

Des détenus y sont allés de témoignages sur la façon dont les autorités carcérales israéliennes les ont soumis à des privations de nourriture, à des négligences médicales, à des tabassages réguliers et à des menaces visant aussi bien leurs familles qu’eux-mêmes.

Malgré le fait que de nombreux prisonniers ont été relâchés de diverses prisons situées en Palestine historique et sans avoir eu en aucun cas la possibilité de communiquer entre eux avant leur libération, leurs récits présentent pas mal de constantes.

Pendant sept jours consécutifs à dater du 24 novembre, des prisonniers ont été échangés entre le Hamas et Israël dans le cadre d’une trêve temporaire qui a été prolongée deux fois mais a cessé pour de bon le 1er décembre, quand Israël a repris son massacre des Palestiniens à Gaza.

En tout, 240 prisonniers palestiniens ont été relâchés par Israël, dans le cadre de cet accord. Ils se répartissent comme suit : 107 enfants, 65 adolescents de 18 ans et plus, et 68 femmes.

La grande majorité des Palestiniens libérés n’avaient jamais été accusés du moindre délit et la plupart étaient en détention depuis moins d’un an, a rapporté The New York Times.

Durant les sept jours de l’échange de prisonniers, Israël a arrêté plus de Palestiniens qu’il n’en a relâché, dans ce que le bureau des droits humains en Palestine de l’ONU a qualifié de

« hausse dramatique du nombre de Palestiniens arrêtés et enfermés par les forces sécuritaires israéliennes en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est ».

Six Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre, a déclaré le bureau de l’ONU. C’est « le nombre le plus élevé de cas rapporté dans une période aussi courte, et ce, depuis des décennies », a ajouté le bureau.

L’ONU a déclaré que les témoignages qu’elle avait collectés

« s’avèrent constants dans leurs nombreux clips vidéo et photos publiés ces dernières semaines par les soldats israéliens dans les médias sociaux et qui dépeignent les violences et les humiliations subies par les Palestiniens ».

Des prisonniers palestiniens ont également rapporté qu’ils

« avaient été menacés de viol en représailles des attaques du 7 octobre ».

Le Hamas a libéré 105 captifs, dont des femmes, des enfants et des citoyens de Thaïlande, des Philippines et de Russie. On prétend que plus de 120 captifs en provenance d’Israël restent à Gaza. Salah al-Arouri, le chef adjoint du bureau politique du Hamas, a expliqué que ceux qui restaient étaient des soldats et d’anciens soldats.

 

Les tabassages

Des Palestiniens libérés ont expliqué par le détail comment les gardiens de prison israéliennes les battaient régulièrement.

L’adolescent Muhammad Nazzal a été libéré le quatrième jour des échanges avec les bras et les doigts brisés. Il a déclaré que ses geôliers israéliens ne lui avaient pas fourni le moindre traitement médical.

Muhammad Nazzal, originaire de Qabatiya, une petite ville à proximité de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, a décrit comment les gardiens de prison israéliens étaient entrés pour un comptage des prisonniers dans la cellule qu’il partageait avec d’autres Palestiniens.

Ils avaient ordonné aux prisonniers de placer les mains sur la tête mais, quand les géôliers israéliens n’ avaient pas obtenu de lui la réponse qu’ils escomptaient, Nazzal a déclaré qu’ils s’étaient mis à le frapper sur la tête, dans le dos et sur les bras.

« J’ai passé toute une semaine à souffrir, cloué sur mon matelas »,

a-t-il expliqué, ajoutant que ses compagnons de détention l’avaient alimenté et aidé à boire de l’eau.

Nazzal a dit que les autorités carcérales israéliennes ne lui avaient fourni aucun traitement médical et qu’ils ne l’avaient pas emmené dans une clinique. Et d’ajouter que les gardiens étaient revenus quelques jours plus tard pour cogner à nouveau sur les prisonniers, dont certains étaient restés avec le visage ensanglanté.

« Cela s’est transformé en un champ de bataille entre eux et nous »,

a affirmé Nazzal.

« Ils entraient dans l’intention de tuer, en maniant des bâtons métalliques qu’ils abattaient sur nous. »

Nazzal a dit des conditions de la prison du Néguev, où il était détenu, qu’elles étaient particulièrement pénibles. Il a expliqué qu’un de ses compagnons de détention était mort, après quoi les tabassages avaient diminué, mais la nourriture était restée extrêmement rationnée. Il n’était pas enfermé avec d’autres jeunes prisonniers, mais avec des détenus adultes ou plus âgés, a-t-il encore dit.

Dès que le témoignage de Muhammad Nazzal a gagné de l’audience, la propagande israélienne est entrée en action et a diffusé une vidéo montrant la libération de prison de l’adolescent et son transfert au Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

 

« La prise de vue de CCTV montre Muhammad Nazzal sortant de prison et s’apprêtant à monter dans le bus, avec ses deux bras parfaitement intacts »,

déclare le compte rendu officiel israélien sur Twitter (X).

Le porte-parole en arabe de Benjamin Netanyahou, Ofir Gendelman, a posté la même vidéo, en ajoutant : « Voici la démystification d’un autre mensonge palestinien » et « Pallywood est pris sur le fait une fois de plus ».

Il a déclaré que Nazzal avait dit aux médias

« que les gardiens de prison israéliens lui avaient brisé les bras mais que, lorsqu’il était monté dans le bus de la Croix-Rouge à la prison, ils étaient absolument intacts ! »

La vidéo ne montre que Nazzal occupé à transmettre ses informations à un officier israélien et, après cela, il a été cédé à la Croix-Rouge, les bras le long du corps, sans le moindre bandage. Rien dans la vidéo, en fait, ne contredit en fait le témoignage de Nazzal.

Un prisonnier palestinien, dit-on, a perdu connaissance lors de sa libération et ce, en raison de soins inadéquats et de nourriture insuffisance.

L’un des plus jeunes Palestiniens à avoir été libérés de leur détention, Saif al-Din Darwish, a raconté les conditions exécrables imposées à la prison d’Ofer en Cisjordanie occupée.

 

Il a déclaré qu’on leur servait des aliments secs et non cuits, comme des saucisses et des falafels crus.

Il a décrit comment des jeunes Palestiniens nouvellement écroués arrivaient dans la section bien visiblement couverts d’hématomes, les visages et les yeux tuméfiés, ce qui suggérait qu’ils avaient été tabassés par les Israéliens qui les avaient capturés.


Des menaces de s’en prendre à la famille

Ahed Tamimi, devenue une personnalité iconique en 2018 quand son arrestation et ses huit mois de détention avaient fait la une au niveau international, a été réarrêtée en novembre et libérée dans le cadre de l’échange de prisonniers.

Lors de sa libération, Ahed Tamimi a parlé des douzaines de femmes toujours emprisonnées dans les geôles israéliennes et qui « subissaient des mauvais traitements quotidiennement ».

Elle a également fait état des conditions extrêmement pénibles imposées aux détenu.e.s palestinien.ne.s par les autorités carcérales israéliennes.

« Il n’y a pas de nourriture, pas d’eau, rien du tout, pas de vêtements. Ils dorment à même le sol »,

a expliqué Ahed Tamimi. Son père, Bassem Tamimi, est emprisonné sous le régime de la détention administrative.

« Quand j’ai quitté [la prison], ils m’ont menacée en invoquant mon père. Ils ont dit : ‘Nous avons ton père, en prison, et si tu dis un seul mot, nous tuerons ton père en prison. »

 

Ahed Tamimi a exposé le sentiment de défi et la dignité qu’on retrouvait en permanence chez les prisonniers palestiniens de l’échange.

« Malgré tout, nous sommes plus forts que l’occupation [israélienne] et nous continuerons sans cesse. »

Alors qu’elle était toujours une gamine, en 2018, elle avait été accusée d’avoir poussé et giflé un soldat lourdement armé de l’occupation après que les forces israéliennes avaient abattu et grièvement blessé son cousin Muhammad Fadel Tamimi, qui avait 15 ans à l’époque.

Marah Bakir, qui a elle aussi été libérée dans l’échange, a parlé de l’importance de concentrer ses efforts sur l’inclusion des prisonnières condamnées à vie, dans l’échange de prisonniers.

 

Marah Bakir était une écolière, quand elle avait été arrêtée en octobre 2015, accusée d’avoir eu l’intention de poignarder un soldat israélien à proximité de son école, à Jérusalem-Est occupée. Elle avait été criblée de balles par les forces israéliennes.

Bien que Marah Bakir ait insisté en disant qu’elle n’avait nullement l’intention de se livrer à une telle agression, elle avait été condamnée à plus de huit ans de prison.

Iman Nafi, la femme de Nael Barghouti, le plus ancien prisonnier en détention en Israël, a expliqué à Al Jazeera qu’elle avait pris la parole pour remercier la résistance de ses sacrifices et pour accueillir les prisonniers libérés.

Elle a expliqué que sa sœur avait été libérée dans le cadre de l’échange et qu’elle avait espéré que son mari allait être inclus comme faisant partie de l’arrangement.

 

« Un cimetière pour les vivants »

Un Palestinien libéré a raconté aux médias à quel point la nourriture était rationnée et que le seul traitement médical que leur accordaient les autorités carcérales israéliennes se limitait à des antidouleurs.

« Un tas de prisonniers ont des côtes fracturées. Il y a quelque temps, un prisonnier est mort en détention. Ils lui avaient asséné des coups sur la tête et il n’avait plus cessé de saigner. Personne ne s’était enquis de lui. »

 

Un autre, qui était détenu à la prison de Nafha, dans le sud d’Israël, a décrit la « catastrophe » des conditions de vie en prison.

Il a expliqué qu’il avait été battu juste avant sa libération parce qu’il avait refusé de signer des documents que lui avaient présentés les autorités carcérales israéliennes peu avant qu’il ne sorte, et il a ajouté qu’il s’était senti mal dans l’autobus.

 

Le prisonnier libéré Ramzi al-Absi a raconté avec verve les conditions épouvantables endurées par les Palestiniens à la prison du Néguev, dans le sud également, disant d’elle que c’était « un cimetière pour les vivants ».

Al-Absi a déclaré que les prisonniers étaient battus et agressés sexuellement par les autorités de la prison.

« Les prisonniers sont agressés sexuellement, et cela va jusqu’au viol. Je n’exagère pas. Cela va jusqu’au viol ! »,

a-t-il dit.

« Pendant 60 jours, nous n’avons pas vu le soleil. Pendant 60 jours, nous avons eu droit à trois séances quotidiennes de tabassage : le matin, l’après-midi et en soirée. Et d’une manière qui dépasse toute imagination, avec des coups sur toutes les parties du corps. »

Al-Absi a expliqué par le menu comment les autorités carcérales israéliennes insultaient très régulièrement les prisonniers et profanaient le Coran pour les rabaisser.

Il a également expliqué comment les détenus étaient forcés de dormir sur de simples matelas dans le froid, sans même une couverture. Les autorités de la prison confisquaient tout, aux prisonniers, même les fenêtres des cellules, en dépit du temps froid du désert dans cette zone du sud du Néguev.

Les autorités carcérales limitaient également l’eau à une heure par jour, au point qu’une simple hygiène élémentaire était devenue impossible, pour les prisonniers. Al-Absi a ajouté qu’il n’avait même pas pu prendre une douche pendant quinze jours.

Il a imploré les avocats et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de visiter les prisons et de prendre note des conditions déplorables qui y règnent.

Un autre enfant récemment libéré, Ahmad Salaymeh, a raconté comme les autorités carcérales israéliennes avaient fermé complètement des sections entières de la prison de Damon, après le 7 octobre. Il a dit qu’ils entendaient les cris des femmes prisonnières que l’on battait. Il a également décrit comment les prisonniers étaient privés d’une alimentation suffisante.

 

Lama Khater, une Palestinienne libérée, a expliqué qu’elle avait été menacée de viol par ses interrogateurs israéliens.

« J’ai été traitée avec une grande brutalité et une cruauté excessive, au début de ma détention »,

a dit Lama Khater, ajoutant qu’elle avait été complètement entravée, avec un bandeau sur les yeux et emmenée à l’interrogatoire sans savoir qui lui parlait ou qui enquêtait sur elle. Ils l’avaient menacée de viol, avait dit Lama Khater au journaliste.

Quand le journaliste lui avait demandé d’en dire un peu plus, elle avait ajouté : « Honnêtement, j’ai été menacée de viol » en guise de représailles pour les événements du 7 octobre.

Elle avait déclaré que son interrogateur israélien lui avait dit : « J’ai ici une vingtaine de soldats qui sont présents, en ce moment », suggérant qu’ils auraient très bien pu l’agresser sexuellement.

« Bien sûr, manifestement, le but consistait à m’intimider, ce qui voulait dire qu’il s’agissait d’une séance d’intimidation psychologique. »

Elle avait ajouté que son interrogateur israélien l’avait menacée de brûler ses enfants.

« Ils m’ont dit qu’ils allaient se rendre chez moi et y brûler mes enfants, qu’ils allaient refermer les portes sur eux et brûler les petits enfants »,

avait-elle encore ajouté.

Puis elle avait expliqué que les Israéliens qui l’avaient arrêtée lui avaient dit qu’ils la traiteraient comme ils le feraient avec un prisonnier de guerre.

« Ils m’ont dit dès les tout premiers instants que j’étais désormais une prisonnière de guerre, qu’auparavant, j’étais une simple prisonnière, mais qu’aujourd’hui, cela s’appliquait à moi. Nous étions tous des prisonniers de guerre et, de ce fait, il n’y avait pas de lois »,

avait-elle encore déclaré.

Les prisonniers vivent dans un état « proche de la famine », avait encore dit Lama Khater.

« On peut dire qu’en général, les prisonniers sont retournés à la case départ, avec des restrictions à tous les égards »,

avait poursuivi Lama Khater. Les prisonniers palestiniens ont acquis beaucoup de leurs droits à l’intérieur des prisons pendant leur détention en Israël et ce, par le biais de leurs grèves de la faim, de leur résistance et de leur organisation.

« L’occupation tire profit de la préoccupation de la guerre »,

avait-elle dit, et elle annule

« toutes les réalisations que les prisonniers ont arrachées avec leur sang, leurs luttes et leurs sacrifices ».

Lama Khater avait expliqué qu’il n’y avait pas moyen d’avoir des nouvelles et de communiquer avec la famille.

Les autorités israéliennes ont arrêté quelque 3 400 Palestiniens, depuis le 7 octobre, y compris des douzaines d’entre eux un peu partout en Cisjordanie occupée, même si l’échange de prisonniers étaient en cours.

 

Pas de célébrations

Bien des Palestiniens ont déclaré qu’on ne leur avait dit qu’ils seraient libérés que juste quelques instants avant d’être renvoyés dans leurs foyers.

Un prisonnier palestinien qui a quitté la détention nu-pied et en ne portant que sa tenue de prisonnier, a raconté que, le jour de sa libération, les autorités carcérales israéliennes lui avaient dit qu’on l’emmenait pour un interrogatoire.

« L’homme m’avait dit : ‘Ne rêve pas de sortir un jour d’ici’ »,

a-t-il dit à Al Jazeera.

Il a en outre décrit comment les autorités carcérales israéliennes avaient menacé de le réarrêter s’il y avait des célébrations pour sa libération.

Sa mère, visiblement dans tous ses états à ses côtés, s’est mise à pleurer quand elle a remarqué à quel point son fils avait perdu du poids et n’avait pas l’air d’aller bien.

Le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, de l’extrême droite, a ordonné à la police de réprimer toute célébration, l’assortissant même d’une interdiction de distribuer des friandises.

Les forces israéliennes ont

« décrété une interdiction empêchant les journalistes de se rassembler sur le site de toute libération et ont décidé de lancer des grenades incapacitantes et des gaz lacrymogènes sur les foules en attente »,

a rapporté Addameer, l’organisation de défense des droits des prisonniers.

Les prisonniers palestiniens ont été menacés d’être arrêtés de nouveau s’ils fêtaient leur libération publiquement.

Bien des gens ont exprimé à quel point leur joie d’être libérés étaient incomplète étant donné l’actuel génocide perpétré par Israël à Gaza et le fait qu’ils ont laissé derrière eux nombre de leurs camarades dans les chambres d’horreur d’Israël.

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Publié le 4 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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