Les États qui veulent liquider l’UNRWA sont complices du génocide

En dehors du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou qui a condamné la cour comme « antisémite », la principale réponse d’Israël à la décision de la Cour internationale de Justice a consisté à changer de sujet. En s’appuyant sur des allégations dont il est à craindre qu’elles découlent de la torture, Israël a prétendu que 12 employés de l’UNRWA avaient participé à l’offensive militaire palestinienne qui avait débuté le 7 octobre.

 

Les EU ont suspendu leur financement de l’UNRWA en plein génocide.

Les EU ont suspendu leur financement de l’UNRWA en plein génocide. (Photo : Ismael Mohamad / UPI)

 

Michael F. Brown, 1er février 2024

Vendredi, le gouvernement américain a répondu promptement à la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) disant qu’Israël commettait vraisemblablement un génocide contre le peuple palestinien à Gaza.

Cette réponse a consisté en un défi à l’adresse des décisions de la CIJ.

Il n’a fallu que quelques heures à l’administration du président Joe Biden pour suspendre temporairement le financement de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens.

La CIJ, une institution des Nations unies qu’on désigne également sous l’appellation de Cour internationale, a ordonné qu’

« Israël doit prendre des mesures immédiates et efficaces pour faciliter la livraison de services de base et d’aide humanitaire d’une nécessité urgente »

aux Palestiniens de la bande de Gaza.

En dehors du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou qui a condamné la cour comme « antisémite », la principale réponse d’Israël a consisté à changer de sujet. En s’appuyant sur des allégations dont il est à craindre qu’elles découlent de la torture, Israël a prétendu que 12 employés de l’UNRWA avaient participé à l’offensive militaire palestinienne qui avait débuté le 7 octobre.

Alors que, durant de longs mois, l’administration Biden a refusé de mettre un terme au massacre de Palestiniens à Gaza, on ne peut être que frappé par la promptitude de sa réponse à la proposition israélienne de changer de sujet.

 

Sous leur président précédent, Donald Trump, les EU avaient mis un terme au financement de l’UNRWA en 2018. En 2021, l’administration Biden avait redémarré l’aide économique à l’agence mais à la moitié, initialement du moins, du niveau de ce qu’elle était avant Trump.

Cherchant à avoir une longueur d’avance, le directeur de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, annonçait vendredi qu’il avait licencié plusieurs employés et qu’il lançait une enquête – apparemment pour confirmer ce qu’il avait déjà fait.

« Pour protéger la capacité de l’agence à fournir de l’assistance humanitaire, j’ai pris la décision de mettre immédiatement un terme aux contrats de ces membres du personnel et de lancer une enquête en vue d’établir la vérité sans retard »,

a-t-il dit.

« Tout employé de l’UNRWA qui a été impliqué dans des actes de terrorisme en sera tenu responsable, y compris via des poursuites pénales ».

Lazzarini n’a pas précisé quel tribunal se chargerait de ces poursuites.

Cela semble impliquer que la chose pourrait avoir lieu dans les tribunaux de l’apartheid israélien. Ces tribunaux, qui dépossèdent les Palestiniens depuis des décennies, administrent un système juridique à deux vitesses, avec un système de « justice » militaire et un taux de condamnation de 99,7 pour 100 des Palestiniens qui subissent cette « justice » en Cisjordanie occupée.

La tentative de préemption de Lazzarini n’a pas retenu les EU de suspendre l’aide aux Palestiniens au beau milieu d’un génocide.

 

Au moins dix autres pays se sont empressés d’emboîter le pas aux EU, dont le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce groupe d’agresseurs historiques et actuels est aujourd’hui surnommé l’Axe du génocide.

 

Samedi, Francis Boyle, le premier juriste à avoir argumenté sur un génocide à la CIJ, a déclaré à Ayman Mohyeldin, le présentateur de MSNBC, qu’en cessant leur financement, ces pays s’étaient mués d’eux-mêmes en participants actifs au génocide.

« Les gouvernements qui ont mis un terme au financement de l’UNRWA sans procédure légale régulière, sans enquête, sans rien du tout de ce genre, contreviennent ainsi à l’article 2-c de la Convention sur le génocide, « en infligeant délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour amener sa destruction physique en tout ou en partie », a déclaré Boyle.

 

 

Israël a longtemps cherché à perturber et détruire l’UNRWA, l’agence de l’ONU spécifiquement instaurée en 1949 afin de protéger les réfugiés palestiniens expulsés par Israël lors de la Nakba.

L’UNRWA fournit des services de santé et éducationnels essentiels aux réfugiés palestiniens en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza, ainsi qu’en Jordanie, au Liban et en Syrie.

L’intention nourrie de longue date par Israël de détruire l’UNRWA a repris du poil de la bête l’an dernier quand le ministère israélien des affaires étrangères a élaboré en privé des plans prévoyant d’expulser pour de bon l’agence de Gaza.

Mercredi, Netanyahou a déclaré que

« le temps était venu pour la communauté internationale et l’ONU même de comprendre que la mission de l’UNRWA devait se terminer ».

Il avait ajouté :

« L’UNRWA se perpétue. Elle cherche à préserver la question des réfugiés palestiniens. »

Bien sûr, Netanyahou veut faire un sort une fois pour toutes au droit des réfugiés palestiniens de rentrer dans leurs foyers et dans leurs biens dont ils ont été expulsés en 1948.

La crise de l’UNRWA a désormais explosé dans le cycle des informations et ce, au moment précis où l’attention s’était focalisée brièvement sur les préoccupations de la CIJ au sujet des actions d’Israël à Gaza.

Les accusations politisées d’Israël ont été examinées de façon critique par ma collègue Maureen C. Murphy et par Ryan Grim, de The Intercept.

Les médias occidentaux se sont précipités afin de concentrer sur les accusations contre l’UNRWA.

Dans les médias traditionnels, cela a grandement éloigné de l’attention suscitée par les gros titres la décision de la CIJ disant qu’Israël commet vraisemblablement un génocide. Au lieu de cela, on a droit à des reportages haletants sur les allégations concernant l’UNRWA.

Kaitlan Collins, de CNN, a interviewé Dan Senor, ancien porte-parole en chef des autorités américaines d’occupation en Irak, sur les développements autour de l’UNRWA. Senor a effectivement proposé que les Palestiniens fassent l’objet d’un nettoyage ethnique vers les pays arabes. Il n’a pas été question de leur retour à Gaza, encore moins d’un retour aux terres dont leurs familles ont été expulsées en 1948.

Dans une déclaration publiée samedi sur le canal Telegram du Hamasn l’organisation affirmait que la nouvelle campagne d’Israël contre l’agence de l’ONU constituait

« un épisode d’une attaque organisée lancée par l’État occupant contre l’UNRWA, pour cibler son existence, assécher ses sources de financement et liquider la cause palestinienne ainsi que le droit au retour des réfugiés palestiniens ».

On ne dit pour ainsi dire pas un mot aux EU de l’endroit d’où sont venus ces réfugiés ni de l’importance continue des Israéliens qui vivent dans des maisons et propriétés palestiniennes depuis plus de 75 ans. C’est le genre d’histoire qu’il ne convient pas de raconter.

 

Détruire l’UNRWA

Israël fait savoir clairement qu’il ne veut pas que l’UNRWA fasse partie de l’effort en vue de reconstruire Gaza suite à la politique de la terre brûlée appliquée ces quelques derniers mois par l’armée d’apartheid.

Les hauts responsables israéliens – même s’ils ne sont pas parvenus à imposer une nettoyage ethnique « volontaire » des Palestiniens de Gaza – espèrent enterrer pour de bon le droit des réfugiés palestiniens de rentrer chez eux dans leurs foyers et propriétés de 1948.

Mardi, des témoins ont témoigné devant le Sous-Comité de la Chambre sur la surveillance et la responsabilité, présidé par le congressiste Brian Mast. Un peu plus tôt, au moment de l’offensive israélienne, Mast avait accusé tous les Palestiniens d’être des « nazis arabes ».

Mast a émis des doutes sur la présence d’« innocents civils palestiniens », s’en tenant initialement à sa déclaration avant de tenter plus tard de revenir sur ses allégations après avoir subi des pressions politiques pour avoir ouvertement exprimé son racisme antipalestinien.

 

Deux poids et deux mesures

Israël a tué plus de 150 employés de l’UNRWA, depuis le 7 octobre. Ce massacre n’a pas amené les EU ou les alliés européens d’Israël à cesser de fournir soutien et assistance militaire à Israël.

Mais les allégations d’Israël à la chronologie douteuse, disant que 12 employés de l’UNRWA ont été impliqués dans des activités armées, ont rapidement mené onze pays au moins à suspendre leurs contributions à l’UNRWA.

 

Il convient de remarquer qu’il n’y a pas eu de cris d’orfraie à propos des enseignants et techniciens israéliens qui ont participé à l’offensive militaire génocidaire d’Israël contre Gaza.

L’UNRWA n’a pas fait de commentaire sur la question posée par The Electronic Intifada quant à savoir si Lazzarini avait réclamé des poursuites pénales contre ces soldats et politiciens israéliens impliqués dans le meurtre des membres du personnel de l’UNRWA.

Pas plus que l’agence n’a fait de commentaire sur la question de savoir combien, parmi les plus de 10 000 enfants palestiniens tués par l’offensive israélienne, avaient été élèves dans les écoles de l’UNRWA.

Lazzarini a utilisé le mot « odieux » (abhorrent, en anglais) pour décrire l’offensive militaire palestinienne qui a débuté le 7 octobre. L’agence n’a pas eu de commentaire sur la question de savoir quelle terminologie Lazzarini applique à la politique génocidaire d’Israël contre les Palestiniens à Gaza.

Juliette Touma, directrice des communications pour l’UNRWA, a adressé un courriel à The Electronic Intifada disant qu’

« une enquête de l’ONU est en cours et que tant qu’elle durera, je ne suis pas en mesure de fournir plus d’informations sur les allégations ou sur cette même enquête de l’ONU ».

Il n’y a pas eu de commentaire non plus à propos du tribunal auquel pensait Lazzarini pour de possibles « poursuites pénales » contre les employés de l’UNRWA – y compris, éventuellement, le système juridique à deux vitesses d’Israël.

À l’instar de Lazzarini, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a invoqué de possibles « poursuites pénales » à l’encontre des employés de l’ONU. Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général, a déclaré : « Nous n’avons pas d’autre commentaire sur ce sujet », faisant allusion par là à la localisation du tribunal et à la question de savoir si les poursuites pénales pourraient avoir lieu dans un tribunal israélien.

L’UNRWA se trouve à coup sûr dans une situation délicate, désespérée qu’elle est de garder le soutien de ses donateurs afin d’éviter de tomber à court d’argent en février. Cette interruption tomberait au beau milieu de la pire crise à avoir frappé Gaza depuis la Nakba de 1948, quand quelque 800 000 Palestiniens avaient fui les milices sionistes pour aller à Gaza, en Cisjordanie et ailleurs dans la région.

Mais se recroqueviller devant les partisans du génocide mené par Israël s’est rapidement avéré une stratégie perdante.

L’un des ordres de la CIJ portait sur l’augmentation de l’aide humanitaire à Gaza et, pourtant, les EU, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont répondu en fait en supprimant cette aide humanitaire.

Reste à voir si la CIJ répondra oui ou non à cela.

 

Nancy Pelosi

Au moment où l’administration Biden met en danger l’aide humanitaire passant par l’UNRWA, l’ancienne présidente de la Chambre, Nancy Pelosi a ciblé les manifestants du cessez-le-feu lors d’une interview réalisée dimanche par Dana Bash, de CNN, qui est peut-être bien la présentatrice antipalestinienne de pointe du réseau.

Dérangée par les manifestants anti-génocidaires à l’extérieur de sa maison, Pelosi a cherché à jeter le blâme sur le président russe Vladimir Poutine.

« Mais le fait qu’ils réclament un cessez-le-feu, c’est un message de M. Poutine »,

a-t-elle dit.

« Ne vous y trompez pas, c’est directement lié à ce qu’il aimerait voir. La même chose avec l’Ukraine. C’est à peu près le message de Poutine. Je pense que certains de ces manifestants sont spontanés, naturels et sincères. Certains, je crois, sont liés à la Russie. Et je dis cela en ayant observé ces choses depuis très longtemps, déjà, comme vous le savez. »

Ils ont été nombreux à prendre cela pour des infos.

 

Le discours de Pelosi pousse davantage de démocrates vers la sortie, un processus déjà en cours avec les pasteurs noirs qui poussent le président Joe Biden vers un cessez-le-feu.

En octobre, toutefois, Pelosi avait affirmé que les protestataires devaient retourner en Chine, appuyant apparemment son commentaire sur un article à sensation d’août 2023 publié par The New York Times contre CODEPINK. L’organisation, « une organisation féministe de masse œuvrant pour mettre un terme au bellicisme et à l’impérialisme américains », avait riposté à l’attaque du journal en publiant des déclarations de solidarité sur son site internet.

 

Medea Benjamin, cofondatrice de CODEPINK, a déclaré à The Electronic Intifada :

« Les accusations de Pelosi disant que les protestataires contre le génocide d’Israël sont des agents russes qui devraient être poursuivis par le FBI sont grotesques et c’est un camouflet au visage de millions d’Américains qui, en payant fortement de leur personne, tentent de faire cesser le massacre israélien. »

Et d’ajouter :

« Si quelqu’un a pris des fonds pour soutenir un gouvernement étranger, ce ne sont pas les protestataires propalestiniens, mais des hauts responsables comme Nancy Pelosi, qui sont dans la poche des lobbyistes israéliens. »

Ce sont les hauts responsables comme Pelosi, a-t-elle affirmé, qui

« devraient faire l’objet d’une enquête, et non des gens comme nous qui voulons mettre un terme aux tueries d’innocents Palestiniens ».

Les démocrates, de Biden à Pelosi, ignorent la première règle à suivre quand on est dans un trou : Cesser de creuser.

Les octogénaires du parti, toutefois, semblent incapables d’inverser la politique qui aliène les importantes circonscriptions électorales. Pourtant, des représentants à la Chambre plus neufs, plus récents comme le leader démocrate Hakeem Jeffries sont déterminés à se raccrocher à la même politique que leurs prédécesseurs démocrates, ce qui met en colère la base politique.

C’est une recette pour que les circonscriptions incontournables restent chez elles en novembre.

Bien des hommes politiques démocrates ont effectivement jeté leur dévolu sur le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et, par extension, sur ses partenaires de coalition de l’extrême droite, qui veulent chasser les Palestiniens de Gaza et y reconstruire des colonies illégales.

 

La complicité dans le génocide sur laquelle insistait Francis Boyle est chaque jour de plus en plus profonde.

Maintenant, trois soldats américains ont été tués en Jordanie lors d’une attaque de drone, prétendument des œuvres d’une milice soutenue par l’Iran, au moment où les EU sont confrontés à un retour de flamme régional concerté dans leur soutien à la campagne génocidaire israélienne à Gaza. La présentatrice de CNN, Abby Phillip, a parlé lundi soir des options que Biden pourrait ruminer afin de « venger leur mort ».

Les coûts s’additionnent, pour Biden, aussi bien dans la région qu’à domicile. Il a été mis en garde à maintes reprises contre les actions génocidaires d’Israël et a néanmoins choisi de doubler la mise en soutien des crimes de guerre d’Israël et de son gouvernement d’extrême droite.

Pour ses efforts, sa principale critique et congressiste démocrate, Rashida Tlaib, a été censurée par ses collègues, dont certains dans son propre parti.

Il convient de remarquer que, mardi, Biden a déclaré :

« Je tiens l’Iran responsable dans le sens qu’ils fournissent les armes aux gens »

qui ont tué les trois soldats américains en Jordanie. Mais ce n’est manifestement pas l’approche qu’il adopte à l’encontre du gouvernement américain qui fournit à Israël les armes servant à massacrer les Palestiniens.

Biden est coauteur du génocide avec Netanyahou et il a la pleine responsabilité des morts américains – dont les trois militaires noirs tués en Jordanie – résultant de sa poursuite de l’Empire et de son refus obstiné de dire non au Premier ministre israélien.

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Publié le 1er février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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