Nahr el-Bared : Premier contact avec un camp de réfugiés palestiniens

Visite d’une délégation carolo au camp de Nahr el-Bared (un des deux camps de réfugiés palestiniens à Tripoli) le mardi 5 mars 2019. Cette visite lors d’un voyage solidaire, organisé à l’initiative de la Plate-forme Charleroi-Palestine

Notre premier contact avec un camp de réfugiés. Après un voyage en minibus de Beyrouth à Tripoli qui nous confirme (l’absence de) les règles de code de la route au Liban (c’est le premier qui klaxonne qui passe), nous arrivons au camp de Nahr el-Bared, camp gardé par l’armée libanaise.

L’entrée dans le camp est chahutée. Nous patientons d’abord, à distance du camp, qu’un représentant d’une ONG de contact (Al Azahir) dans le camp nous rejoigne au check-point, pour nous faciliter l’entrée dans le camp. Dès notre approche du camp, nous sommes épiés par les soldats libanais en faction dans leur casemate. Après un contrôle de nos passeports, deux d’entre nous se voient interdire l’accès au camp. Elles devront utiliser un subterfuge pour y entrer quand-même et nous rejoindre à l’intérieur du camp.

Photo : Karin Lameir

Ce camp a été en grande partie détruit  par des bombardements et des combats de l’armée libanaise en 2007 lors de l’infiltration d’un groupe islamiste dans ce camp. Nous y verrons encore de nombreuses ruines, un important cimetière des victimes palestiniennes (civils) et une activité importante de reconstruction financée par l’UNRWA (et quelques beaux bâtiments construits par des « privés »).

Le cimetière. Photo : Karin Lameir

Ce qui nous esbaudira, c’est la nuée d’enfants au sortir des écoles en fin de matinée, enfants qui nous aborderont et entoureront aussi chaleureusement qu’avec curiosité, réclamant de se faire photographier.

Photo : Karin Lameir

Le dispensaire (plus qu’hôpital) du camp

Don de médicaments

Nous avions décidé, avant notre voyage, de collecter des médicaments (suivant une liste fournie par les hôpitaux des camps palestiniens au Liban) auprès des Maisons Médicales de Charleroi. Certains médecins de ces Maisons Médicales ne recevant pas les délégués des firmes pharmaceutiques (action de contestation instaurée dans les années 1980 contre la désinformation orchestrée par les firmes pharmaceutiques), ce sont les patients fréquentant ces Maisons Médicales qui y apportent leurs médicaments non utilisés. La Maison Médicale La Glaise a généreusement participé à la récolte que j’ai organisée. Les participants de notre groupe ont participé (à leur frais par l’achat de médicaments prescrits) à une récolte complémentaire. Le don fut donc conséquent.

Nous avons décidé au Liban, en groupe et à l’unanimité, de tout remettre au dispensaire de Nahr el-Bared qui est bien un centre de soins de première ligne (d’où proviennent les médicaments récoltés en Belgique).

Organisation du dispensaire

Une garde est assurée 24 heures sur 24. Des soins y sont administrés pour les urgences avant le transport, si nécessaire à l’hôpital (le plus proche est à 8 km et le plus proche et de bonne qualité est distant de 14 km). Le dispensaire ne dispose pas d’une ambulance ; il doit faire appel au privé.

En 2007, lors de la destruction du camp, le dispensaire (construit en 1978) a dû être déplacé et sa reconstruction a débuté en 2008 sur une nouvelle implantation. Le dispensaire espère pouvoir évoluer, si des moyens financiers sont fournis, vers des fonctions hospitalières (salles d’opération construites mais non outillées).

Les personnes qui consultent sont les habitants du camp : des réfugiés palestiniens, Palestiniens venant de Syrie, Libanais, Syriens.
Le transfert à l’hôpital ou d’un hôpital à un autre est coûteux et nécessite de nombreuses démarches administratives ; un enfant du camp est récemment décédé dans ces circonstances. Une directive ministérielle, adoptée suite à de nombreuses contestations, enjoint aux hôpitaux d’assurer les soins avant l’administratif ; un n° vert est mis à disposition pour signaler des manquements à cette règle.

L’UNWRA finance à 60 % les opérations et nuitées (avec une limite fixée à 5000 $) dans les hôpitaux privés. Pour une intervention cardiaque coûtant 7000 $, l’UNRWA prend en charge 2600 $.
Les différentes tâches sont assumées dans le dispensaire par des membres de la communauté dans le camp.

La récolte de fonds est assurée par diverses associations du camp, auprès de mosquées et de personnes riches au Liban.

Les hôpitaux publics libanais sont quasi gratuits (pour les Libanais, mais aussi, selon notre interlocuteur pour les Palestiniens et les Syriens) mais de moindre qualité que les hôpitaux privés, n’assurant pas, par exemple, les actes chirurgicaux très spécialisés. Il y a 2 hôpitaux publics pour 40 hôpitaux privés. Dans les hôpitaux publics, les médecins sont payés par l’Etat, dans les hôpitaux privés ils sont payés par l’hôpital.

Si un patient ne peut payer, il est « gardé » par l’hôpital jusqu’au paiement de la dette.

Le personnel du dispensaire est constitué d’un directeur bénévole, de 2 infirmiers, d’une laborantine, d’un poste de médecine générale (assuré par plusieurs médecins), d’un dentiste.

Le patient doit payer, par consultation, une somme de 7000 Livres Libanaises (15.000 LL = 8 €) ; à titre de comparaison dans le privé c’est 50 $ (75.000 LL).

Il y a des consultations assurées par des médecins spécialistes qui acceptent de pratiquer des prix accessibles pour les réfugiés : une consultation est facturée environ 10$ (pour 70 $ en dehors du camp).

Les principaux motifs de consultation sont : des problèmes digestifs ou des infections des voies respiratoires supérieures (IVRS) pour tous les âges, des blessures domestiques, des fractures, une hypertension artérielle, des urgences cardiaques.

Étonnamment, notre interlocuteur ne reprend pas les autres affections respiratoires que les IVRS parmi les problèmes fréquents. Il me semble improbable que dans une population adulte de 80 % de fumeurs (tabac ou chicha) il n’y ait pas beaucoup de BPCO (BronchoPneumopathies Chroniques Obstructives, formes précises de « bronchite chronique ») et de cancers bronchiques. Le tableau des spécialistes consultant au dispensaire renseigne 2 pneumologues.

Le directeur administratif ne dispose pas de chiffres concernant la mortalité infantile. Il souligne que le taux de cancers est élevé (comme ailleurs au Liban), particulièrement pour le cancer du sein. Le dispensaire n’assure pas de traitement par médicaments anticancéreux.

Une fois tous les 2 mois, le dispensaire offre 1 jour de consultation et de médicaments gratuits.

Les programmes de vaccination sont assurés directement par l’UNRWA.

Il existe, dans le camp, un centre réservé aux personnes âgées, avec consultation médicale régulière.

Le problème de la toxicomanie (au Captagon® principalement selon notre interlocuteur) n’est pas spécifiquement pris en charge, sinon qu’il fait l’objet d’un travail de prévention (comme le diabète, par exemple).

Il n’existe pas, dans ce dispensaire, de programme d’information concernant la contraception, la directive étant “on veut des bébés ! “. Ce sont les hôpitaux et services des NU qui gèrent les problèmes de contraception (préservatifs gratuits mais pas de gratuité pour la contraception orale qui peut cependant être obtenue sans prescription en pharmacie).

Al Azahir

Photo publié sur la page FB d’Azahir

L’association accueille de jeunes enfants après l’école, qui ne s’occupe des enfants que le matin. Elle vise un rôle psychosocial : créer des liens avec la famille, dépister des problèmes psychologiques importants, afin de pouvoir référer. Le passé de conflits armés entre les différentes communautés au Liban est parfois répercuté par les parents sur leurs enfants. Al Azahir organise des activités communes entre Palestiniens et Syriens, par exemple une activité extérieure dans un village multiculturel.

L’endroit est une sécurité pour ces enfants tous les après-midis.

Ce sont des bénévoles formés par l’ONG qui assurent les activités d’art-thérapie, de musique, de danse, de sport.

Photo publiée sur la page FB d’Azahir

Alexandra, Libanaise américaine, animatrice fort active pour cette ONG et dans le camp, chercheuse aussi de subsides, se dit bien acceptée dans le camp.

Les finances proviennent d’un « trust fund » de fonds privés (Londres, New York), d’héritages ; les dons se font actuellement plus rares, l’attention du monde étant plus focalisée sur les problèmes en Syrie.

Pour un groupe de jeunes plus âgés, l’association développe des activités formatives sur leur propre histoire, la drogue, la violence, BDS. Ce groupe est désireux d’établir des échanges par Skype avec des jeunes à l’étranger (par exemple en Belgique).

Rencontre avec des jeunes du FPLP dans le camp

Ils sont 28 membres dans cette association; 20 ont terminé leurs études mais ne trouvent pas de travail; ils cherchent à se spécialiser. Huit sont encore étudiants (dont 6 filles).

Ils organisent des commémorations et des activités utiles pour le camp (collecte de déchets par exemple, un problème libanais très important, apporter des moyens (extincteurs) de lutte contre l’incendie, distribution de vêtements chauds en hiver, concours de photos du camp.

Le niveau culturel est élevé chez les jeunes Palestiniens ; leurs études « supérieures » leur coutent de 10.000 à 18.000$ par année.

De nombreux jeunes Palestiniens quittent les camps et le Liban grâce à des passeurs (coût= 10.000 $).

Ils manquent d’outils pour leurs activités et souhaiteraient pouvoir acheter un local.

Dans leur local, les photos de Ghassan Kanafani, de Georges Habache et d’Ahmed Jibril

Entretien avec un réfugié de 1967

Ahmed a fui la Palestine en 1967 et est dans le camp depuis 1974.

Il insiste sur le fait que certaines professions sont interdites pour les Palestiniens au Liban mais qu’ils travaillent quand-même, pour des salaires très faibles. Les Palestiniens rapporteraient ainsi (avec la diaspora) 1 milliard de $ par an au Liban.

Avant les évènements de 2007, les réfugiés palestiniens étaient 35.000 dans le camp. La vie sociale était importante dans le camp, avec un marché même fréquenté par des étrangers au camp ; les commerces étaient nombreux ; une majorité de jeunes étaient diplômés.

En 2007, des intrus armés se sont introduits dans le camp, palestiniens pour certains originaires de Saïda, avec une volonté d’affirmer l’Islam, ce qui a provoqué des combats avec l’armée libanaise, de nombreux décès, la destruction d’une grande partie du camp. Ahmed pense que les Services Secrets libanais et d’autres pays étaient derrière cette infiltration dans le camp pour provoquer un rejet des Palestiniens par les Libanais, sorte de répétition avant les évènements actuels en Syrie.

Il insiste sur le rôle de l’UNRWA, indispensable pour maintenir le droit au retour. Il déplore que les pays occidentaux (France, Angleterre, USA) soutiennent Israël et appelle au boycott d’Israël.

Pierre Chevalier

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