Des enfants israéliens ont été oubliés dans la crise du COVID ? Dites-le aux Palestiniens !

Un nouveau cri retentit dans tout le pays, celui des enfants en confinement, et il est bruyamment répété par leurs parents. Ravit Hecht en parle avec retenue dans ce journal, un jour après qu’Uri Misgav (qui écrit en hébreu) a un peu dépassé les bornes. Tous deux sont les porte-parole de nombreux parents en exprimant une détresse qui ne devrait pas être prise à la légère, et surtout pas par les gens qui n’ont pas d’enfants sous leur propre toit. Hecht écrit ceci : « Mais ce manquement nous accompagnera pendant toutes les années à venir – comment des enfants et leurs parents ont été abandonnés lors de la pandémie. »

Des enfants palestiniens palestiniens de 3 et 4 ans, à un checkpoint près de Bethléem. Photo : Palestine Advocacy Project

Des enfants palestiniens palestiniens de 3 et 4 ans, à un checkpoint près de Bethléem. Photo : Palestine Advocacy Project

Gideon Levy, 13 février 2021

Misgav y est allé d’une octave plus haut dans la dramatisation, prétendant que non seulement l’Etat les a abandonnés, mais que le gouvernement les a également tourmentés. « Après les gens décédés, les gens sous respirateur et les gens qui ont fait faillite, [les enfants et les parents] sont les véritables victimes de la débâcle du coronavirus en Israël. » Vous n’en avez pas encore eu assez ? En voici une couche de plus, avec un relent de règlement de comptes avec le Premier ministre, naturellement : « Ils sont la véritable chair à canon de Benjamin Netanyahou et de son cabinet. (…) Ils n’ont pas d’horizon ; pour eux, le confinement est éternel. »

Cela me rappelle un sketch de la série télévisée satirique « Eretz Nehederet » (Un pays merveilleux) diffusée le 10 juillet 2020 : « Ecoutez, ce n’est pas facile. Nous sommes enfermés à cinq dans 7 000 mètres carrés. (…) Je ne peux prendre personne de plus, je suis en train de suffoquer. Nous ne sommes pas des gens capables de vivre en quarantaine, nous sommes des gens de plein air, vivant dans l’atmosphère ! »

En effet, les Israéliens sont des gens de plein air et d’atmosphère et ils trouvent que le confinement est insupportable – qui dirait le contraire ? – mais, au contraire des gens de la plupart des nations, les Israéliens devraient compter jusque dix avant d’oser se plaindre du confinement, des enfants sans avenir, des adolescents qui servent de chair à canon et d’une génération dénuée d’horizon, pour laquelle le confinement ne finit jamais. Un peu de sens des proportions, un peu de honte, un peu de culpabilité et, par-dessus tout, une petite goutte de conscience de soi ne feraient pas de mal, ici. Il est vrai que souffrir, c’est souffrir et que les gens pensent avant tout à eux-mêmes et à leurs enfants mais, de la part d’une société qui peut infliger des dégâts aussi horribles à des générations d’enfants tout en ignorant les faits et en gardant le silence, on est en droit d’exiger un minimum d’humilité et d’intégrité avant de se laisser aller à l’apitoiement sur soi-même et aux lamentations.

En parlant de lamentations, on devrait peut-être adresser ses doléances au système éducatif, et précisément au moment où les écoles ont rouvert leurs portes. Qu’est-ce qu’elles enseignent – et, surtout, qu’est-ce qu’elles n’enseignent pas ? Il y a là tant d’ignorance, en même temps que de lavage de cerveau, mais de cela, on se plaint beaucoup moins. Les écoles israéliennes servent avant tout de crèches et de garderies d’enfants pour les parents qui travaillent.  

Israël a une arrière-cour, à partir de laquelle le confinement vécu par les Israéliens ressemble au traitement de luxe que « subit » la famille de ce sketch satirique. Et voilà bien pourquoi les cris des Israéliens ne semblent pas moins ridicules que ceux des Tortelim, la famille dont il est question dans ce sketch. Ce n’est pas que les parents israéliens devraient regarder constamment du côté de Deheisheh, un camp de réfugiés palestiniens près de Bethléem et tirer du réconfort de la comparaison. Bien sûr que non ! Ce n’est pas que nous ne pouvons pas nous plaindre de l’impact calamiteux du confinement sur nos enfants. Nous pouvons et nous devons nous en plaindre. Mais Deheisheh n’est pas un camp de personnes déportées situé au Myanmar ; c’est un camp de réfugiés sous contrôle israélien, à une demi-heure en voiture de la capitale et à une heure du centre du pays, et il a été créé par Israël.

Il est difficile de prêter l’oreille à l’Etat quand il est responsable du sort des enfants de Deheisheh, du fait qu’ils sont réfugiés et de leur incarcération, et en même temps de se lamenter uniquement sur son propre sort. Les enfants de Deheisheh ne peuvent que rêver de vivre dans un confinement israélien. Il y a là des enfants qui n’ont jamais vu la mer, bien qu’ils vivent à une heure de trajet de là, qui n’ont jamais vu un bout de gazon, qui n’ont jamais mis les pieds dans un autre pays et qui ne les y mettront jamais. Ce sont des enfants qui voient leurs parents et leurs frères et sœurs arrachés de leurs lits au beau milieu de la nuit, et certains se font arrêter, à l’occasion. Il y a là des enfants qui décrochent des diplômes universitaires, et tout cela pour finir comme plâtriers en Israël, pour autant qu’ils aient de la chance ; des enfants qui, même lorsque l’école fonctionne, n’ont pas d’endroit où passer l’après-midi, après la fin des cours. Ces enfants, ce sont ceux de Deheisheh.

Voici quelques semaines, au plus fort de la pandémie, alors que je me rendais au camp de réfugiés d’al-Arroub, j’avais émis le souhait que la réunion puisse avoir lieu à l’extérieur, de façon à ne pas risquer une infection. Dans ce vaste camp surpeuplé, il n’y avait pas un seul endroit à l’extérieur où nous aurions pu nous asseoir. C’est cela, la réalité à al-Arroub et nous, les Israéliens, en sommes responsables. Quand nous parlons, avec nos hyperboles si typiques, de nos enfants qui constituent des générations perdues et qui servent de chair à canon, nous n’avons pas le droit d’oublier ce fait, ne serait-ce même qu’un seul instant.


Publié le 13 février 2021 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal

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