Entretien avec Leila Khaled lors de la Première Intifada

En 1967, des fedayins palestiniens entreprenaient, pour la première fois dans l’histoire, de détourner un avion de ligne. L’un des membres de ce commando palestinien est une femme : Leila Khaled. Lucien Materne et moi-même avons rencontré Leila lors de la Conférence d’urgence internationale pour la solidarité avec la révolte populaire en Palestine, en juillet 1988 à Benghazi en Libye. Lors de notre entretien, elle a tenu un playdoyer en faveur d’une plus large solidarité et une aide plus directe à l’Intifada, la « révolte des pierres » dans les territoires occupés, où femmes et enfants sont les premiers rangs dans la lutte contre l’occupant sioniste. Elle était à ce moment-là la présidente de l’organisation des femmes du FPLP.

Trouvez ci-dessous quelques extraits de cet entretien. Myriam De Ly.

Photo : Lucien Materne pour Solidaire

Photo : Lucien Materne pour Solidaire

Vous êtes devenue célèbre après avoir participé au premier détournement d’avion effectué par un commandement palestinien en 1967. Pouvez-vous nous expliquer ce que ces détournements signifiaient comme moyen de lutte pour la révolution palestinienne de la fin des années 60 ?

Leila Khaled : Au fond, je n’aime pas d’en parler. Pour nous, c’est de l’histoire ancienne. Mais puisque vous me le demandez… Nous avons utilisé ce type d’action durant trois ans : de 1968 à 1970. La raison en était que, de 1948 en 1967, le monde entier nous considérait comme des « réfugiés ». Nous criions depuis nos camps : « Nous ne sommes pas des réfugiés ; nous sommes des Palestiniens et nous voulons retourner sur notre terre.” Et pour toute réponse, nous ne recevions que quelques tentes, des médicaments, de la nourriture.
Après la grande défaite de 1967, nous devrions réagir. Dans le monde entier, nous devions susciter cette question : « Qui sont les Palestiniens ? ». Les détournements d’avion ont abouti à cette interrogation. Partout sur la terre, ils se sont demandés : « Mais qui sont-ils ces Palestiniens ? ». Et nous y avons répondu par la suite. Certains disaient : ce sont des terroristes. D’autres nous donnaient raison. Nous avons arrêté ce genre d’action en 1970. Le but était atteint.
Nous avions des instructions très strictes pour ces actions : pas d’effusion de sang. Seulement nous défendre, si nous étions attaqués. Deux de nos camarades ont été tués. Nous, nous n’avons descendu personne.

Leila Khaled : Nous avons protégé la vie de nos otages. Prenons l’exemple de l’année 1970. Il y avait trois détournements d’avion. C’était le moment où la Jordanie a organisé une campagne militaire contre la résistance palestinienne. Des milliers de Palestiniens ont péri sous les coups du régime jordanien durant le « septembre noir » de 1970. Même dans cette situation, nous continuions à protéger nos otages. Et nous essayions de faire comprendre au monde entier que nous sommes des combattants de la liberté. Nos actions se dirigeaient uniquement vers de avions « spéciaux », comme ceux de la TWA américaine et ceux d’El Al. Le premier détournement fut celui d’un avion de la TWA. Normalement, Yitzhak Rabin aurait dû être à bord. Mais il a changé d’appareil à Rome. Dans le deuxième avion détourné, se trouvait le chef de la sécurité israélienne. Après chaque détournement d’avion, je me suis retrouvée en prison : d’abord en Syrie, puis à Londres.

Pourquoi vous et votre organisation avez-vous laissé tomber ce moyen d’action ?

Leila Khaled : Maintenant, ce genre d’action n’est plus nécessaire. « Qui est le peuple palestinien ?”, c’est devenu beaucoup plus évident. Aujourd’hui, la lutte a pris d’autres formes, politique, diplomatique, militaire, internationale, et ce combat peut compter sur le soutien des forces progressistes dans le monde. L‘Intifada est un stade dans cette lutte où les masses, les peuples entières, entrent en révolte.

Comment se fait-il que les femmes palestiniennes jouent un rôle si actif dans cette lutte et qu’elles semblent plus émancipées que les femmes des autres pays arabes ?

Leila Khaled : Notre société est différente de celle des autres pays arabes. Depuis 1990, les Palestiniens ont dû faire face à l’invasion sioniste. La première implantation de ce type date de 1882. C’est ainsi que notre peuple possède plusieurs spécificités. L’invasion sioniste nous a chassé de nos terres au profit d’un autre peuple.

Ainsi les femmes palestiniennes ont eu d’autres traditions et idées que les autres femmes arabes, parce que leur situation et leurs luttes étaient différentes. Bien sûr, nous avions des points communs, comme la religion… Mais nous, en 48, nous étions chassés, les femmes aussi bien que les hommes. Les femmes devaient aller vivre dans des tentes. Elles devaient aller travailler. C’était une nécessité. Nos familles sont grandes et nos maris étaient souvent absents, soit qu’ils étaient partis pour des actions militaires, soit qu’ils étaient en prison.
Ainsi, elles avaient plus de contacts, d’autres idées et elles sont devenues économiquement plus interdépendantes. Au niveau social, femmes et hommes se rencontraient au travail, dans les écoles. Les Palestiniens étaient d’accord que leurs filles aillent à l’école et obtiennent des diplômes, non pas parce qu’ils étaient conscients du rôle de la femme dans la société, mais parce que c’était nécessaire. Ainsi les femmes acquièrent une expérience politique, économique et sociale. Mais il restait plusieurs obstacles à la participation des femmes dans la lutte.
Après 1967, les femmes jouèrent également du fusil. Mais après la défaite, les femmes retournaient dans leurs maisons. C’est un point faible. Quand il y une attaque contre la révolution, les femmes se joignent aux résistants. Quand il y a une défaite, elles retournent chez elles. Nous comprenons cela et nous travaillons à changer cette mentalité. Les femmes peuvent faire la même chose dans la révolution que les hommes. Regardez dans les territoires occupés. Les femmes se retrouvent dans les prisons comme les hommes. Le problème se pose quand nous avons une défaite. Alors les femmes se retirent. Pas celles qui sont organisées, mais les masses. Après le retour de l’unité dans l’OLP, en 1987, plus de femmes sont revenues : parce que le but a été atteint. Pour l’Intifada dans les territoires occupés, les femmes se battent avec le même acharnement que les hommes. Dans les camps du Liban, les femmes défendent leur territoire.

Que voudriez-vous dire aux femmes de Belgique afin qu’elles comprennent mieux la lutte des Palestiniens ?

Leila Khaled : Je voudrais leur demander de bien regarder ce qui se passe dans le monde. Je voudrais qu’elles étudient l’histoire de l’Europe et, en particulier celle de la seconde guerre mondiale. Afin qu’elles sachent combien de souffrances ont accompagné cinq années d’occupation hitlérienne pour tous les hommes, femmes et enfants. Ainsi, elles comprendrons non seulement mieux notre situation, mais aussi le sort de tous les autres peuples d’Afrique, et spécialement l’Afrique du Sud, d’Amérique Latine et d’Amérique centrale.


Le texte complet a été publié dans le n°28 de l’hebdomadaire Solidaire6 juillet 1988
Photo à la Une : Lucien Materne pour Solidaire

Lisez également : Le droit de narration des féminismes palestiniennes

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...