L’Irlande et l’UE en désaccord à propos de l’étiquetage des organisations des droits comme « terroristes »

 

Le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Coveney critique publiquement Israël pour n’avoir pas pu fournir des preuves confirmant que les six organisations palestiniennes de défense des droits sont des façades du « terrorisme ».

Dans un même temps, l’Union européenne continue de couvrir ses amis de Tel-Aviv. Ceci montre qu’il y a un désaccord entre Dublin et Bruxelles quant à la façon de traiter la question.

3 octobre 2021. Des soldats israéliens montent la garde pendant qu’un bulldozer détruit une habitation palestinienne dans le village de Jawaya, en Cisjordanie occupée. Dernièrement, Israël a désigné comme « terroristes » plusieurs organisations qui dénoncent ses nombreux crimes. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

 

Ali Abunimah, le 3 novembre 2021

« Comme l’UE l’a fait, nous avons nous aussi réclamé la base des preuves nécessaires pour cataloguer comme terroristes ces organisations non gouvernementales »,

a déclaré Coveney dans The Jerusalem Post lors d’une visite dans l’État d’apartheid ce mardi.

 « Mais nous n’avons pas obtenu la moindre preuve digne de foi permettant d’associer les ONG au terrorisme, et certainement pas dans ce que j’ai eu sous les yeux »,

a ajouté le chef de la diplomatie de Dublin.

Le pro-israélien obstiné qu’est Coveney n’est pourtant pas l’ami des droits palestiniens.

N’empêche que sa patience a quand même été mise à rude épreuve par les allégations israéliennes du mois dernier disant que les six organisations – Al-Haq, Addameer, Defense for Children International Palestine, l’Union des comités des femmes palestiniennes, l’Union des comités du travail agricole et le Centre Bisan de recherche et de développement – faisaient parvenir des fonds au Front populaire pour la libération de la Palestine.

Comme c’est le cas pour tous les partis politiques palestiniens qui résistent à l’occupation militaire israélienne, Tel-Aviv a fait figurer le FPLP sur sa liste des organisations « terroristes ».

Un document livré à l’Irlande par Israël « ne justifiait pas une telle accusation » à l’adresse des six organisations, a rapporté The Jerusalem Post, reprenant les propos du ministre irlandais des Affaires étrangères.

« Deux organisations auxquelles nous consentons un financement modeste et qui représentent surtout des gens du territoire occupé de Cisjordanie sont désormais accusées de soutenir effectivement des organisations terroristes et nous aimerions en voir les preuves »,

a déclaré Coveney.

Plusieurs des organisations de défense ses droits perçoivent un financement de la part de l’UE ou de certains de ses gouvernements membres et trois d’entre elles travaillent avec la Cour pénale internationale pour faire progresser l’enquête de cette dernière sur les crimes de guerre commis en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

 

L’UE met les Palestiniens en danger

Au contraire de l’Irlande, la Commission européenne – le corps exécutif de l’UE – continue de couvrir Israël.

The Electronic Intifada a demandé au porte-parole des Affaires étrangères de l’UE de confirmer la déclaration de Coveney selon laquelle l’UE, à l’instar de l’Irlande, avait demandé aux Israéliens, sans toutefois les recevoir, des preuves étayant leurs allégations.

« Pour l’instant, l’UE sollicite toujours les autorités israéliennes dans l’espoir qu’elles lui fourniront plus d’informations concernant les éléments sur lesquelles s’appuie la liste des ‘terroristes’ »,

a répondu mercredi un porte-parole de l’UE.

Il n’y a pas eu de commentaire à propos de ce que l’UE a pu recevoir d’Israël – pour autant qu’elle ait reçu quoi que ce soit et que cela ait vraiment constitué une preuve.  

En d’autres termes, l’UE va continuer à faire semblant qu’il y a du feu sous l’écran de fumée déployé par Israël et faire comme si Israël, comme par magie, allait d’une façon ou d’une autre présenter des preuves convaincantes.

Voici une dizaine de jours au moins, des responsables israéliens de la « sécurité » expliquaient aux médias que les preuves qu’ils avaient contre les organisations étaient « en béton armé ».

Un responsable a prétendu qu’Israël détenait

« des preuves irréfutables, dont une vidéo, des photos, des reçus de paiement liant les organisations en question au soutien d’activités de terrorisme ».

Logiquement, cela ne devrait certainement pas prendre autant de temps prendre – et les bureaucrates de l’UE le savent pertinemment bien ! – pour qu’Israël fournisse ces preuves prétendument solides à ses amis et alliés.

Mais la seule chose que Bruxelles ne fera jamais, c’est de risquer de mettre en colère Israël et son lobby en criant au mensonge.

En se montrant en permanence indulgent avec Israël, Bruxelles met en danger les défenseurs des droits humains palestiniens qui pourraient être confrontés à des arrestations, et à pire encore, à tout moment, du fait qu’Israël les considère comme des « terroristes ».

La désignation par Israël des organisations comme « terroristes » est un prétexte pour que les forces d’occupation arrêtent le personnel de ces organisations, ou ferment leurs bureaux et saisissent leurs avoirs à tout moment.

Son but était également de diaboliser, isoler, tout en les privant de leur financement, les organisations qui examinaient et dénonçaient les violations commises par Israël.

Cette démarche a été dénoncée en long et en large par les organisations internationales des droits humains.

Michelle Bachelet, la responsable des droits de l’homme au sein des Nations unies, a qualifié la chose d’« attaque injustifiée » contre « certaines des plus respectables des organisations des droits de l’hommes et organisations humanitaires » à avoir travaillé avec l’ONU ces dernières décennies. Elle a invité Israël à annuler immédiatement cette mesure.

 

Une scission au sein de l’UE

La patience de Bruxelles à l’égard des calomnies sans fondement d’Israël semble confirmer que certains responsables de l’UE opèrent en qualité d’avocats d’Israël plutôt que de servir les intérêts des États membres du bloc européen.

La semaine dernière, The Electronic Intifada a révélé que l’ambassade de l’UE à Tel-Aviv avait reçu une mise en  garde préalable de la part d’Israël concernant son plan de désigner comme terroristes les organisations palestiniennes, mais qu’elle n’avait pas partagé cette information avec les gouvernements membres de l’UE.

Shawan Jabarin, directeur d’Al-Haq, l’une des plus anciennes organisations des droits de l’homme du monde arabe, a déclaré que l’UE « ne soutenait pas pleinement ses propres valeurs, principes ou même partenaires ».

« Ce n’est pas qu’une question financière. Il s’agit également de se tenir complètement derrière eux face à l’oppression et aux campagnes de calomnie »,

a-t-il ajouté à l’adresse de The Electronic Intifada.

Ce sont les Palestiniens qui continueront à payer le prix fort pour la profonde complicité de l’Union européenne dans les crimes d’Israël et ses attaques contre ceux qui tentent de lui réclamer des comptes.

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Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

 

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Publié le 3 novembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Israël a informé l’UE au préalable de son intention de cataloguer les organisations des droits comme “terroristes”.

 

 

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