La bataille du mont Naalan : le combat d’une ville contre la pleine puissance du projet colonial israélien

La petite ville de Mazraa Qabaliya, dans le nord de la Cisjordanie, combat pour l’instant l’armée et les colons armés israéliens afin de protéger une ressource à la fois respectée et essentielle pour la communauté palestinienne – le mont Naalan.

 

Jaafar Ladadweh, 55 ans, et Yousef Ali observent les colonies depuis Naalan, en septembre 2022. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

Jaafar Ladadweh, 55 ans, et Yousef Ali observent les colonies depuis Naalan, en septembre 2022. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

Mariam Barghouti, 16 septembre 2022

Le 26 octobre 2018, la petite ville de Mazraa Qabaliya, à 11 km au nord-ouest de Ramallah, assistait à une violente offensive des colons israéliens et de leur avant-garde militaire.

Au moment où les Palestiniens se rassemblaient pour les prières du vendredi sous un groupe de leucaenas (arbres locaux, NdT) bruns et verts, ils ont reçu des gaz lacrymogènes de l’armée israélienne qui opérait en tandem avec une attaque organisée des colons israéliens. Les jeunes ripostaient en lançant des pierres aux colons et aux soldats.

« Il y a eu un bain de sang, ce jour-là »,

rappelle Jaafar Ladadweh, 55 ans, à Mondoweiss près de quatre ans plus tard, au même endroit, au sommet du mont Laanan, où deux hommes avaient été mortellement abattus.

Deux Palestiniens du village avaient été effectivement abattus – Othman Ahmad Ladadweh, 33 ans, avait été touché à la cuisse et était mort ce vendredi soir, alors que Mohaammed Ibrahim Shreiteh, 28 ans, touché à la tête, succombait à ses blessures deux semaines plus tard, le 10 novembre 2018. Plus d’une douzaine d’autres hommes avaient été blessés par les gaz lacrymogènes et les balles enrobées de caoutchouc.

La vue depuis le mont Naalan surmontant les colonies israéliennes dans le nord de la Cisjordanie. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

La vue depuis le mont Naalan surmontant les colonies israéliennes dans le nord de la Cisjordanie. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)


Les gardiens de la montagne : « Nous devons maintenir la lumière allumée »

Les confrontations à Naalan allaient s’intensifier en 2018. Des protestations étaient organisées en tandem avec la Grande Marche du Retour à Gaza, où les Palestiniens par milliers défilaient chaque vendredi afin de protester contre le siège de Gaza et de sa population de deux millions d’habitants.

De même que lors de la riposte militaire israélienne aux protestations non armées à Gaza, les jeunes et les résidents de Mazraa ont été confrontés à la force meurtrière – les tirs étaient à balles réelles.

Quatre ans plus tard, depuis le sommet du mont Naalan, le coucher de soleil est calme et l’air est frais, avec une légère brise qui rappelle les soirées venteuses de Ramallah. Le contraste des couleurs qui s’éteignent – orange, rouge, jaune et bleu pourpre – avec un ciel plus sombre et une pleine lune presque jaune mérite d’être apprécié.

Sous la pleine lune des récoltes de septembre, un groupe de onze hommes se rassemblent en s’asseyant sur des chaises de plastique et des bancs en bois qu’ils ont installés au fil des années afin de faire revivre la montagne et de la sauvegarder.

« Nous assurons tous un tour de garde afin d’être sûrs que l’électricité soit transmise et que les lumières sur cette montagne soient allumées à tout moment, de façon à nous assurer qu’il y a au moins un signe de vie ici »,

explique Ahmaad Obeid, 62 ans, un sourire aux lèvres.

Enthousiaste et passionné de partager cette histoire consistant à se raccrocher avec succès à leurs foyers, Obeid désigne l’une des lumières clignotantes accrochées à une cabane dans les arbres qu’ils ont construite il y a plusieurs mois afin d’encourager les visiteurs à venir et à les aider à protéger la montagne et empêcher les colons de s’en emparer.

« Nous devons garder la lumière allumée », dit Obeid, d’un ton passionné.

« Nous devons garder la lumière allumée ici sur la montagne en permanence. Une fois éteinte, on sait que quelque chose va mal, qu’il y a eu une attaque »,

dit-il à l’adresse de Mondoweiss.

Accrochée dans le bureau de la communauté, au sommet du mont Naalon, une affiche avec les photos des deux martyrs tués au cours des attaques de l’armée et des colons le 26 octobre 2018. Mohammad Shreiteh, 28 ans, à gauche, et Othman Ladadweh, 33 ans, à droite. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

Accrochée dans le bureau de la communauté, au sommet du mont Naalon, une affiche avec les photos des deux martyrs tués au cours des attaques de l’armée et des colons le 26 octobre 2018. Mohammad Shreiteh, 28 ans, à gauche, et Othman Ladadweh, 33 ans, à droite. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

 

Abandonné par les partis et acteurs censés en être responsables, dont l’Autorité palestinienne (AP), le mont Naalan a été alimenté et s’est développé via le pouvoir des initiatives communautaires et des volontaires de la jeunesse.

Via des conversations collectives, le village de Mazraa Qabaliya s’est organisé en comités afin de rénover, de sauvegarder et de répertorier les artefacts archéologiques qui foisonnent sur la montagne comme dans son sous-sol.

« Quand nous prions ici, vous trouveriez des colons également venus pour prier »,

raconte Ali Shreiteh, 54 ans, à Mondoweiss. Shreiteh avait répertorié l’importance historique et la richesse archéologique qui se cache sous le sommet de la montagne, depuis des puits romans jusqu’à des antiquités vieilles de plusieurs siècles.

Au cours des quatre années écoulées, les visites organisées et les attaques du site par les colons en coordination avec l’armée israélienne se sont intensifiées. Ces visites cherchent à établir une présence sur les terres, ce qui, à son tour, créerait une justification de l’annexion et de la reprise de force des terres palestiniennes via un décret judiciaire.

Pourtant ces pratiques sinistres ne sont pas des phénomènes isolés. Elles sont enracinées dans une politique israélienne plus large – qui les soutient – consistant à refuser aux Palestiniens la possibilité d’utiliser leurs ressources et leurs terres afin de développer et de bâtir des communautés prospères et unies.

Les forces israéliennes arrêtent un Palestinien non armé au cours de confrontations en 2018. (Photo : Mohammad Shreiteh)

Les forces israéliennes arrêtent un Palestinien non armé au cours de confrontations en 2018. (Photo : Mohammad Shreiteh)


Le feu vert au nettoyage ethnique en Zone B

Le mont Naalan se trouve à Mazraa Qabaliya, une ville connue pour ses produits agricoles et la capacité de son infrastructure hydraulique durable.

Mazraa Qabaliya et son mont Naalan sont également classés comme « Zone B » sous les accords d’Oslo, qui les place sous le contrôle civil et administratif de l’AP et sous le contrôle militaire de l’armée israélienne. Ce vide au niveau du pouvoir, combiné avec l’absence de soutien étranger, a signifié que les résidents de la ville ont dû assumer eux-mêmes de contrer l’impunité continuelle des agressions armées israéliennes et des crimes organisés des colons.

Depuis la croissance de l’extension du peuplement dans les Zones B en 2017, à laquelle est venue s’ajouter le pic de violence des colons en 2018, les gens de la ville ont concentré leurs efforts sur leur volonté de s’assurer que le mont Naalan allait rester vivant et accessible aux Palestiniens. Cela n’a été possible en grande partie que via des confrontations constantes durant lesquelles les Palestiniens doivent affronter des colons et des soldats armés, soit avec leur voix et leur corps, soit en lançant des pierres, un délit punissable de jusqu’à 10 ans de prison, selon les règlements militaires israéliens.

« Ils veulent prendre cette montagne par tous les moyens, même s’il s’agit de fabriquer de toutes pièces une association historique avec elle »,

a déclaré Yousef Ali, 45 ans, à Mondoweiss.

Le mont Naalan, 2018. (Photo : Mohammad Shreiteh)

Le mont Naalan, 2018. (Photo : Mohammad Shreiteh)

Selon les accords d’Oslo, les colons en expansion en Zone B ne violent pas seulement les lois internationales, mais aussi les lois israéliennes. La façon clandestine dont Israël reprend les terres a bien été rapportée, mais sans grandes répercussions. En 2018, l’ancien président américain Barack Obama a paraît-il été « choqué » par la nature systémique des colonies israéliennes et par leur fragmentation des Palestiniens les uns des autres,

Cette expansion du peuplement a été dévastatrice, pour les fermiers palestiniens.
Déjà privés économiquement de plus de 63 %de leurs terres les plus fertiles et de leurs pâturages ainsi que de leurs ressources agricoles en Zone C, les fermiers de Mazraa Qabaliya et du reste de la Zone B souffrent des restrictions dues au pouvoir du veto israélien dans la construction ainsi que dans l’aménagement des puits à eau et dans le forage dans les réservoirs ou sources.

Un puits rénové au sommet du mont Naalan. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

Un puits rénové au sommet du mont Naalan. (Photo : Mariam Barghouti / Mondoweiss)

Les puits qui entourent le sommet du mont Naalan fournissent à la communauté les ressources qui lui permettraient la durabilité et la production de revenu face à la dépression économique qui accable les communautés palestiniennes. En fait, les familles et communautés des environs de Naalan ont rénové nombre de vieux puits, mais les énergies des citadins continuent d’être occupées surtout par leur survie et leur confrontation aux efforts israéliens en vue de s’emparer de leurs terres dans le but d’étendre les colonies illégales.

De la sorte, non seulement les colonies prolongent le vol et l’abus par Israël des ressources naturelles, mais elles empêchent également les capacités palestiniennes de développer les ressources dont elles disposent.

Des colons israéliens protégés par l’armée marchent sur les flancs du mont Naalan. (Photo : Shreiteh Photo)

Des colons israéliens protégés par l’armée marchent sur les flancs du mont Naalan. (Photo : Shreiteh Photo)

Par contre, les colons illégaux israéliens se voient non seulement fournir la protection des forces armées sur ordonnance des tribunaux israéliens, mais ils bénéficient aussi du soutien financier de la « division peuplement » de l’Organisation sioniste mondiale (la WZO) afin de contribuer à relier les réseaux agricoles et ceux des ressources naturelles à une infrastructure de peuplement physique sans cesse croissante.

En juin et juillet de cette année, la WZO a annoncé des plans en vue d’investir 8,5 millions de USD supplémentaires pour relier et légitimer des avant-postes illégaux en Cisjordanie, une politique très encouragée par l’ancien Premier ministre Naftali Bennet. Et, non seulement, les colonies sont en expansion, mais elles s’étendent de plus en direction de la Zone B de la Cisjordanie, et ce, également en violation des accords d’Oslo.

Ce qui complique encore les choses, c’est que les communautés palestiniennes sont démunies de quasiment toute forme de soutien financier, juridique, émotionnel ou logistique dans leurs efforts en vue de défendre leur terre, alors que les colons israéliens sont assurés de l’impunité internationale, d’un financement économique constant et croissant ainsi que de la protection de leur armée, qui est l’une des plus sophistiquées au monde.

Appel à la solidarité

Avec le peu qui reste, les villes et villages palestiniens tentent constamment de sauver ce qu’ils ont été à même de garder face à une population de colons de plus en plus audacieuse, qui maintient en outre une forte emprise sur la force militaire et sur l’opinion publique internationale.

Comme les communautés palestiniennes tentent de se sauvegarder des attaques des colons, elles appellent leurs sympathisants à les joindre afin de s’assurer que les terres palestiniennes resteront vivantes en même temps que les Palestiniens le resteront eux aussi.

« Venez, seulement, rejoignez-nous, bâtissez avec nous, n’apportez rien d‘autre que de la volonté et de la joie »,

dit Ladadweh au moment où le soir bascule dans la nuit et qu’une ampoule électrique se met à clignoter derrière lui.

C’est le moment où les mots prononcés un peu plus tôt dans la soirée semble être suspendus en l’air et résonner en compagnie des onze hommes fermement installés au sommet du mont Naalan :

« La lumière doit rester allumée. »

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Publié le 16 septembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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