L’UE déforme l’histoire de la façon dont elle a transformé en arme l’antisémitisme

La principale arme utilisée par Israël contre le mouvement de solidarité avec la Palestine ces dernières années a consisté en une définition hautement politisée de l’antisémitisme.

 

Katharina von Schnurbein, coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, y est allée de commentaires trompeurs sur son travail dans ce domaine. (Photo : Commission européenne)

Katharina von Schnurbein, coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, y est allée de commentaires trompeurs sur son travail dans ce domaine. (Photo : Commission européenne)

 
David Cronin, 18 janvier 2023
 
 Est-il possible de renier son travail tout en le promouvant à chaque occasion qui se présente ?
C’est le genre d’acte d’équilibriste que tente pour l’instant une institution de l’Union européenne.

La principale arme utilisée par Israël contre le mouvement de solidarité avec la Palestine ces dernières années a consisté en une définition hautement politisée de l’antisémitisme.

Elle a d’abord été essayée dans le cadre d’un exercice sponsorisé par l’UE avant d’être finalement approuvée par un éventail plus large de gouvernements sous l’appellation d’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA).

N’empêche qu’en fait, l’histoire de l’IHRA a été récrite de la manière la plus malhonnête qui soit.
Un document obtenu via une requête au nom de la liberté d’information montre que l’Agence des droits fondamentaux de l’UE avait préparé en 2018 des réponses à ce qu’elle avait qualifié de « questions critiques ».

L’une de ces questions fait remarquer que l’Agence des droits fondamentaux considère désormais la validation de l’IHRA comme positive. Dans ce cas, pourquoi, poursuivait la question, la même agence avait-elle « honteusement éliminé cette définition de son site internet » ?

La réponse toute préparée – voir ci-dessous – dit que la définition de l’IHRA a été « adoptée en mai 2016 et qu’elle n’a jamais été supprimée » sur le site de l’agence.

L’Agence des droits fondamentaux utilise la vérité avec parcimonie.
Une version quasiment identique de la même définition avait en effet été effacée du site de l’agence quelques années plus tôt.
La définition de l’IHRA n’est pas sortie de nulle part, en mai 2016. La définition figurait à l’origine dans un document de 2005 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, qui s’appelle aujourd’hui… l’Agence des droits fondamentaux.
Le document de 2005 résultait de discussions entre l’UE, le Comité juif américain et quelques autres organisations de lobbying pro-israélien. Plutôt que de se concentrer sur le sectarisme à l’égard des juifs à propos de leur religion ou de leur ethnicité, il prétendait que le fait de dénoncer la fondation d’Israël comme une « entreprise raciste » était un exemple d’antisémitisme.

Une réponse trompeuse

Bien qu’elle essaie de se distancier de la définition de l’IHRA, l’Agence des droits fondamentaux oriente son propre travail selon cette définition.
L’agence a été de connivence dans les efforts en vue de confondre le sectarisme antijuif et les dénonciations de l’apartheid israélien.
On peut le voir dans un rapport qu’elle a publié à propos des prétendus incidents antisémites qui ont eu lieu entre 2011 et 2021.
La section pour la Belgique prétend que

« l’antisémitisme idéologique et les incidents antisémites sur Internet ont constitué les proportions les plus élevées d’incidents rapportés au cours de la plupart des années ».

Citant également un site internet belge, le rapport prétend que

« l’antisémitisme idéologique se traduit souvent par l’expression de sentiments hostiles à Israël ».

 

Katharina von Schnurbein, la coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, est une promotrice particulièrement zélée de la définition de l’IHRA.

En novembre dernier, elle a été impliquée dans un débat public autour de la définition en compagnie de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et Gaza occupées et défenseuse inconditionnelle du droit de critiquer Israël.

Quand Francesca Albanese a demandé sur Twitter si l’UE avait examiné l’impact potentiel que la définition pourrait avoir sur les droits humains, von Schnurbein a répondu : « Oui, nous l’avons évalué. »
 
La réponse de von Schnurbein était trompeuse.

J’ai soumis une requête d’information au nom de la liberté d’expression à la recherche des documents étudiés par von Schnurbein et ses collègues de l’UE à propos de la définition de l’IHRA.

Aucun des documents identifiés par la Commission européenne – l’exécutif de l’UE – comme étant concernés par ma requête ne contenait le genre d’évaluation faisant l’objet de la demande de Francesca Albanese.

L’organisation Law for Palestine a introduit une requête similaire. En réponse, la Commission européenne a déclaré qu’elle ne « possédait aucun document » concernant ce genre d’évaluation.

La seule conclusion qu’on a pu tirer, c’est que la Commission européenne veut que soient muselées les critiques à l’égard d’Israël ou, du moins, qu’elle ne s’inquiète pas du tout quand la chose a lieu.
Von Schnurbein et son équipe n’ont jamais dit quand la définition avait été invoquée pour censurer ou licencier des journalistes et des universitaires quand ils y allaient de commentaires absolument légitimes sur Israël et son idéologie d’État, le sionisme. Au contraire, son ancien adjoint, Johannes Börmann, a même applaudi à une chasse aux sorcières contre un professeur antisioniste.
 
Favoriser la violence israélienne

Les assurances exprimées par von Schnurbein et disant que la définition n’est pas juridiquement contraignante sont absolument sans valeur.
 


 
La Commission européenne a organisé des ateliers de formation policière en tandem avec le Congrès juif mondial, une organisation de lobbying pro-israélien.
Un but déclaré de ces sessions consiste à aider la police à « reconnaître et aborder l’antisémitisme sous toutes ses formes ». Comme le Congrès juif mondial prétend que qualifier Israël d’État d’apartheid pourrait être une forme d’antisémitisme, selon la définition de l’IHRA, il importe de se demander si cela encourage la répression contre le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Il y a même des raisons de craindre que l’activisme anti-israélien ne soit traité comme étant assimilable au terrorisme.
Le coordinateur du contreterrorisme pour l’UE participe à des discussions sur l’antisémitisme guidées par la définition de l’IHRA.
Le « terrorisme » s’est vu conférer une priorité absolue dans les arrangements entre Israël et l’UE.
En lui accordant une priorité aussi élevée, l’UE met Israël en mesure d’utiliser la lutte contre le « terrorisme » comme un prétexte pour faire monter en puissance sa violence envers les Palestiniens.
Gilles de Kerchove, à l’époque coordinateur du contreterrorisme de l’UE, « a délivré des discours en Israël à quatre occasions 2008 et 2017 », m’a-t-on dit suite à une requête d’information.
Son successeur Ilkka Salmi s’est rendu une fois à Tel-Aviv pour un prétendu dialogue sur le contreterrorisme et, l’an dernier, il a pris la parole lors de la conférence de Herzliya – un événement important du calendrier politique israélien – par le biais d’une vidéo.
L’UE a refusé de livrer de plus amples détails sur ces discussions en prétendant que le faire « allait nuire gravement » à ses relations avec Israël.
En fait, cette explication est particulièrement révélatrice.

La principale arme utilisée par Israël contre le mouvement de solidarité avec la Palestine ces dernières années a consisté en une définition hautement politisée de l’antisémitisme.

 

Katharina von Schnurbein, coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, y est allée de commentaires trompeurs sur son travail dans ce domaine. (Photo : Commission européenne)

Katharina von Schnurbein, coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, y est allée de commentaires trompeurs sur son travail dans ce domaine. (Photo : Commission européenne)

 
David Cronin, 18 janvier 2023
 
Est-il possible de renier son travail tout en le promouvant à chaque occasion qui se présente ?
C’est le genre d’acte d’équilibriste que tente pour l’instant une institution de l’Union européenne.

La principale arme utilisée par Israël contre le mouvement de solidarité avec la Palestine ces dernières années a consisté en une définition hautement politisée de l’antisémitisme.

Elle a d’abord été essayée dans le cadre d’un exercice sponsorisé par l’UE avant d’être finalement approuvée par un éventail plus large de gouvernements sous l’appellation d’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA).

N’empêche qu’en fait, l’histoire de l’IHRA a été récrite de la manière la plus malhonnête qui soit.
Un document obtenu via une requête au nom de la liberté d’information montre que l’Agence des droits fondamentaux de l’UE avait préparé en 2018 des réponses à ce qu’elle avait qualifié de « questions critiques ».

L’une de ces questions fait remarquer que l’Agence des droits fondamentaux considère désormais la validation de l’IHRA comme positive. Dans ce cas, pourquoi, poursuivait la question, la même agence avait-elle « honteusement éliminé cette définition de son site internet » ?

La réponse toute préparée – voir ci-dessous – dit que la définition de l’IHRA a été « adoptée en mai 2016 et qu’elle n’a jamais été supprimée » sur le site de l’agence.

L’Agence des droits fondamentaux utilise la vérité avec parcimonie.

Une version quasiment identique de la même définition avait en effet été effacée du site de l’agence quelques années plus tôt.

La définition de l’IHRA n’est pas sortie de nulle part, en mai 2016. La définition figurait à l’origine dans un document de 2005 de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, qui s’appelle aujourd’hui… l’Agence des droits fondamentaux.

Le document de 2005 résultait de discussions entre l’UE, le Comité juif américain et quelques autres organisations de lobbying pro-israélien. Plutôt que de se concentrer sur le sectarisme à l’égard des juifs à propos de leur religion ou de leur ethnicité, il prétendait que le fait de dénoncer la fondation d’Israël comme une « entreprise raciste » était un exemple d’antisémitisme.

Une réponse trompeuse

Bien qu’elle essaie de se distancier de la définition de l’IHRA, l’Agence des droits fondamentaux oriente son propre travail selon cette définition.

L’agence a été de connivence dans les efforts en vue de confondre le sectarisme antijuif et les dénonciations de l’apartheid israélien.

On peut le voir dans un rapport qu’elle a publié à propos des prétendus incidents antisémites qui ont eu lieu entre 2011 et 2021.

La section pour la Belgique prétend que

« l’antisémitisme idéologique et les incidents antisémites sur Internet ont constitué les proportions les plus élevées d’incidents rapportés au cours de la plupart des années ».

Citant également un site internet belge, le rapport prétend que

« l’antisémitisme idéologique se traduit souvent par l’expression de sentiments hostiles à Israël ».

 

Katharina von Schnurbein, la coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme, est une promotrice particulièrement zélée de la définition de l’IHRA.

En novembre dernier, elle a été impliquée dans un débat public autour de la définition en compagnie de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et Gaza occupées et défenseuse inconditionnelle du droit de critiquer Israël.

Quand Francesca Albanese a demandé sur Twitter si l’UE avait examiné l’impact potentiel que la définition pourrait avoir sur les droits humains, von Schnurbein a répondu : « Oui, nous l’avons évalué. »
 
La réponse de von Schnurbein était trompeuse.

J’ai soumis une requête d’information au nom de la liberté d’expression à la recherche des documents étudiés par von Schnurbein et ses collègues de l’UE à propos de la définition de l’IHRA.

Aucun des documents identifiés par la Commission européenne – l’exécutif de l’UE – comme étant concernés par ma requête ne contenait le genre d’évaluation faisant l’objet de la demande de Francesca Albanese.

L’organisation Law for Palestine a introduit une requête similaire. En réponse, la Commission européenne a déclaré qu’elle ne « possédait aucun document » concernant ce genre d’évaluation.

La seule conclusion qu’on a pu tirer, c’est que la Commission européenne veut que soient muselées les critiques à l’égard d’Israël ou, du moins, qu’elle ne s’inquiète pas du tout quand la chose a lieu.
Von Schnurbein et son équipe n’ont jamais dit quand la définition avait été invoquée pour censurer ou licencier des journalistes et des universitaires quand ils y allaient de commentaires absolument légitimes sur Israël et son idéologie d’État, le sionisme. Au contraire, son ancien adjoint, Johannes Börmann, a même applaudi à une chasse aux sorcières contre un professeur antisioniste.
 
Favoriser la violence israélienne

Les assurances exprimées par von Schnurbein et disant que la définition n’est pas juridiquement contraignante sont absolument sans valeur.
 


 
La Commission européenne a organisé des ateliers de formation policière en tandem avec le Congrès juif mondial, une organisation de lobbying pro-israélien.

Un but déclaré de ces sessions consiste à aider la police à « reconnaître et aborder l’antisémitisme sous toutes ses formes ». Comme le Congrès juif mondial prétend que qualifier Israël d’État d’apartheid pourrait être une forme d’antisémitisme, selon la définition de l’IHRA, il importe de se demander si cela encourage la répression contre le mouvement de solidarité avec la Palestine.

Il y a même des raisons de craindre que l’activisme anti-israélien ne soit traité comme étant assimilable au terrorisme.

Le coordinateur du contreterrorisme pour l’UE participe à des discussions sur l’antisémitisme guidées par la définition de l’IHRA.

Le « terrorisme » s’est vu conférer une priorité absolue dans les arrangements entre Israël et l’UE.
En lui accordant une priorité aussi élevée, l’UE met Israël en mesure d’utiliser la lutte contre le « terrorisme » comme un prétexte pour faire monter en puissance sa violence envers les Palestiniens.

Gilles de Kerchove, à l’époque coordinateur du contreterrorisme de l’UE, « a délivré des discours en Israël à quatre occasions 2008 et 2017 », m’a-t-on dit suite à une requête d’information.

Son successeur Ilkka Salmi s’est rendu une fois à Tel-Aviv pour un prétendu dialogue sur le contreterrorisme et, l’an dernier, il a pris la parole lors de la conférence de Herzliya – un événement important du calendrier politique israélien – par le biais d’une vidéo.

L’UE a refusé de livrer de plus amples détails sur ces discussions en prétendant que le faire « allait nuire gravement » à ses relations avec Israël.

En fait, cette explication est particulièrement révélatrice.

Des Palestiniens – dont de nombreux enfants – se font tuer avec une régularité effrayante, ces derniers temps.

C’est Israël qui les tue. Et l’UE veut éviter de nuire à ses relations avec cet État assoiffé de sang.

 

 

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

*****

Publié le 18 janvier 2023 sur The Electronic Intifada  
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 18 janvier 2023 sur The Electronic Intifada  
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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