Smotrich ne fait que répéter ce que les sionistes ont toujours dit

Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, descendant de colons originaires de la ville ukrainienne de Smotrich, a déclaré la semaine dernière à Paris qu’il n’y a « pas de Palestiniens parce qu’il n’y a pas de peuple palestinien ». Ses propos ont été accueillis par des applaudissements nourris.

Des femmes palestiniennes tiennent des banderoles sur lesquelles on peut lire en arabe "Déclaration Balfour, nous ne pardonnerons ni n'oublierons et la Palestine sera victorieuse" lors d'une manifestation marquant son 103e anniversaire, le 2 novembre 2020 à Naplouse.

Des femmes palestiniennes tiennent des banderoles sur lesquelles on peut lire en arabe “Déclaration Balfour, nous ne pardonnerons ni n’oublierons et la Palestine sera victorieuse” lors d’une manifestation marquant son 103e anniversaire, le 2 novembre 2020 à Naplouse (AFP).

 

Joseph Massad, 24 mars 2023.

Qualifiant les Palestiniens de « peuple inventé », Smotrich a affirmé que c’était, en fait, lui et sa famille qui étaient les « vrais Palestiniens ».

Cela a toujours été une affirmation en vogue chez les responsables israéliens et leurs partisans juifs américains.

Parmi les dirigeants israéliens actuels, Smotrich n’est pas le seul à émettre cette affirmation. En 2019, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, un descendant de colons polonais qui ont changé leurs noms de Mileikowsky en « Netanyahu », a tweeté :

« Il n’y a aucun lien entre les anciens Philistins et les Palestiniens modernes, dont les ancêtres sont venus de la péninsule arabique au pays d’Israël des milliers d’années plus tard. »

Netanyahu a affirmé plus récemment que lorsque les juifs européens ont commencé leur projet de colonisation en Palestine, le pays était « vide à toutes fins utiles ».

 

« Une terre sans peuple »

De peur que quiconque ne pense qu’il s’agit d’une spécialité de la droite israélienne, c’est la coloniste de gauche et ukrainienne Golda Meir (née Mabovitch), Premier ministre socialiste du Parti travailliste israélien, qui a déclaré au London Sunday Times en juin 1969 que « il n’y avait pas de Palestiniens en tant que tel. » Elle a précisé que

« Ce n’était pas comme s’il y avait un peuple palestinien en Palestine qui se considérait comme un peuple palestinien et que nous venions les chasser et leur enlever leur pays. Ils n’existaient pas. »

Mais où ces colons juifs ukrainiens et polonais ont-ils appris à proférer de telles affirmations ? La réponse est brève : des sionistes protestants britanniques.

En 1843, le membre du clergé évangélique de l’Église d’Écosse, Alexander Keith, qui croyait en la « restauration » des juifs européens en Palestine, a écrit dans l’un de ses livres évangéliques populaires que les juifs étaient

« un peuple sans patrie ; même si leur propre terre, comme on le verra plus loin, est dans une grande mesure un pays sans peuple ».

Keith avait visité la Palestine en 1839 et en 1844. Sa phrase a été reprise par de nombreux sionistes protestants anglais ou américains pendant le reste du 19e siècle jusqu’à ce qu’elle soit reprise par le mouvement sioniste juif au 20e comme slogan de mobilisation.

C’est Israël Zangwill, un Anglais, qui est devenu en 1901 le premier sioniste juif à propager le slogan selon lequel la Palestine était « un pays sans peuple (…) pour un peuple sans pays ». Plus tard, après avoir admis qu’il y avait bien un peuple en Palestine, il a encouragé le « transfert » des Arabes palestiniens hors de leur pays pour faire de la place aux colonisateurs juifs.

Quant aux Palestiniens, pour prouver leur absence de nationalité, l’idéologue sioniste Nahum Sokolow cite le sioniste protestant britannique Sir B. Arnold qui, en 1903, a écrit une chronique s’adressant aux lecteurs juifs : « Vous avez un pays, l’héritage de vos pères », ajoutant que « la Palestine a une faible population ». Arnold a conclu

« qu’aucune nation ne peut revendiquer le nom de Palestine. Un mélange chaotique de tribus et de langues, des vestiges de migrations du nord et du sud (…)»

Le chef de l’Organisation sioniste, Chaim Weizmann, répétera la formulation sioniste protestante de Zangwill en 1914 lorsqu’il déclara que

« il y a un pays qui se trouve être appelé la Palestine, un pays sans peuple, et, d’autre part, il existe le peuple juif, et il n’a pas de patrie ».

Le ministre britannique des Affaires étrangères antisémite et évangélique protestant sioniste, Arthur Balfour, a emboîté le pas dans sa tristement célèbre déclaration de novembre 1917 lorsqu’il a brièvement qualifié les centaines de milliers de Palestiniens autochtones de « communautés non juives existantes » dont les « droits civils et religieux » devaient être respectés, mais qui n’avait manifestement aucun droit national.

À l’époque, les colons juifs représentaient environ 9 % de la population palestinienne, soit environ 50.000 colons vivant parmi une population palestinienne indigène de musulmans et de chrétiens de plus d’un demi-million.

Peu importe, Balfour a plus tard insisté sans remords sur le fait que les Palestiniens n’étaient rien de plus que des habitants de la terre qu’il avait promise aux Juifs européens :

« Le sionisme, qu’il soit juste ou injuste, bon ou mauvais, est enraciné dans des traditions séculaires, dans les besoins actuels, dans les espoirs futurs, d’une importance bien plus profonde que les désirs et les préjugés des 700.000 Arabes qui habitent maintenant cette terre antique ».

Niant que les Palestiniens soient une nation, Weizmann vocifère en 1929 qu’on ne peut pas considérer les Palestiniens eux-mêmes comme « possédant le pays au sens où les habitants de l’Irak ou de l’Égypte possèdent leurs pays respectifs ». Leur accorder l’autodétermination ou l’autonomie gouvernementale ou une « Assemblée législative (…) reviendrait à attribuer le pays à ses habitants actuels », et à annuler « en sous main » l’engagement de la Déclaration Balfour en faveur d’un foyer national juif en Palestine.

Le déni de la nationalité (*) des Palestiniens persistera cependant jusqu’à la fin des années 1970. Golda Meir a nié l’existence des Palestiniens en 1969, dénégation réfutée une décennie plus tard lorsque le Premier ministre du Likoud, Menahem Begin, a reconnu que les Palestiniens existaient bien.

La première fois qu’Israël a officiellement accepté l’existence d’un peuple palestinien, ou plus précisément de « gens palestiniens », qu’il n’a pas inclus dans la catégorie « le peuple arabe », c’était dans les accords de Camp David en 1978.

Les Accords appelaient à « l’autonomie » de la Cisjordanie et de Gaza comme réalisation de ce que l’accord appelait

« le droit légitime du peuple palestinien et ses justes exigences. De cette manière, les Palestiniens participeront à la détermination de leur propre avenir »,

bien que le reste des Accords fasse référence aux « habitants de la Cisjordanie et de Gaza » plutôt qu’aux « Palestiniens ».

Mais les responsables israéliens ont continué à tergiverser sur la question. En 1984, un journaliste juif américain mineur inconnu a publié un livre de propagande intitulé From Time Immemorial, [Depuis des temps immémoriaux, ndt] basé sur des preuves trafiquées affirmant que les Palestiniens n’existaient en effet pas et qu’ils avaient émigré en Palestine après que les juifs européens aient commencé à la coloniser, attirés comme ils l’étaient prétendument par le capital colonial juif et les emplois disponibles. Même si les principaux universitaires juifs américains pro-sionistes ont fait l’éloge du livre, il serait bientôt révélé comme étant basé sur des preuves fabriquées et de la propagande.

Enfin, c’est dans les accords d’Oslo de 1993, en réponse à la reconnaissance par le président de l’OLP, Yasser Arafat, du « droit de l’État d’Israël à exister dans la paix et la sécurité » que les Israéliens ont reconnu l’existence du peuple palestinien, mais seulement par inadvertance.

Dans le cadre de l’accord, les Israéliens

« ont décidé de reconnaître l’OLP en tant que représentant du peuple palestinien et d’entamer des négociations avec l’OLP dans le cadre du processus de paix au Moyen-Orient »,

mais certainement pas en dehors de celui-ci, auquel cas cette reconnaissance contingente ne tiendrait pas. C’était, en fait, un recul par rapport à la reconnaissance israélienne que les Palestiniens avaient un « droit légitime », qu’Israël avait reconnu à Camp David.

Mais reconnaître l’existence des Palestiniens et même de l’OLP après 1993 n’engageait pas Israël à reconnaître les droits que les premiers pourraient revendiquer, c’est pourquoi, une fois que Netanyahu a mis fin au soi-disant « processus de paix » en 2014, il n’a même plus eu besoin de parler avec l’Autorité Palestinienne, née des Accords d’Oslo en tant que substitut de l’OLP.

 

Les délires d’indigénéité

En ce qui concerne le sionisme officiel et Israël au cours des 125 dernières années, il peut exister un peuple qui se désigne étrangement et à tort, de façon illusoire, comme des « Palestiniens », mais ils n’ont aucune revendication sur la Palestine ou Israël, et en effet en dehors de leurs propres délires, ils n’existent pas.

Cependant, ce que l’obstiné déni officiel sioniste et israélien affirme en fin de compte, c’est que les juifs colonisateurs sionistes n’auraient été rien de moins que des criminels sauvages s’ils avaient effectivement colonisé le pays des Palestiniens, mais comme les Palestiniens n’existaient pas, les juifs colonisateurs n’ont pas à se sentir coupable, jamais.

Quelques dirigeants sionistes, cependant, admettront que les Palestiniens avaient des revendications sur leur patrie, mais que les sionistes veilleraient à les en priver, et qu’en faisant cela ils ne se sentaient pas coupables.

Le leader juif ukrainien des sionistes révisionnistes, Vladimir Jabotinsky, par exemple, a reconnu très tôt l’indigénéité des Palestiniens, qu’il a comparés aux Indiens Sioux des États-Unis. Il était consterné par l’hypocrisie des sionistes travaillistes :

« S’imaginer, comme le font nos arabophiles, que [les Palestiniens] consentiront volontairement à la réalisation du sionisme, en échange des commodités morales et matérielles que le colon juif apporte avec lui, est une idée puérile, qui a au fond une sorte de mépris pour le peuple arabe ; cela signifie qu’ils méprisent la race arabe, qu’ils considèrent comme une horde corrompue qui peut être achetée et vendue, prête à abandonner sa patrie pour un bon système ferroviaire (…). Rien ne justifie une telle croyance. Il se peut que certains Arabes reçoivent des pots-de-vin, mais cela ne signifie pas que le peuple arabe de Palestine dans son ensemble vendra ce fervent patriotisme qu’il garde si jalousement, et que même les Papous ne vendront jamais. Chaque population indigène dans le monde résiste aux colons tant qu’elle a le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisée. »

Jabotinsky n’était pas le seul à comprendre clairement ce que faisaient les sionistes. Il en était de même du chef juif polonais des colons, David Ben Gourion (né Grun), qui, en toute bonne conscience, a également déclaré :

«  Pourquoi les Arabes devraient-ils faire la paix ? Si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais d’ accord avec Israël. C’est normal, nous avons pris leur pays. C’est vrai que Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela les concerne ? Notre dieu n’est pas le leur. Nous venons d’Israël, c’est vrai, mais il y a deux mille ans, et qu’est-ce que cela représente pour eux ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce de leur faute ? Ils ne voient qu’une seule chose : nous sommes venus ici et nous avons volé leur pays. Pourquoi devraient-ils l’accepter ? »

Quant aux mythes bibliques et aux grandes illusions qu profèrent de nombreux sionistes juifs européens et leurs enseignants sionistes protestants, à savoir que ce sont eux qui sont originaires de Palestine plutôt qu’en Europe, et non les Palestiniens autochtones, ces fictions restent la pierre angulaire des « valeurs » dont on dit qu’Israël les partage avec l’Europe chrétienne et les très chrétiens États-Unis.

Ce sont ces colons juifs et leurs descendants qu’on demande au peuple palestinien d’accepter comme leurs occupants et colonisateurs légitimes, et que s’ils leur résistent, les États-Unis, par l’intermédiaire de leur vice-roi local, le lieutenant-général Michael Fenzel, coordinateur de la sécurité des États-Unis, se chargeront (de) et parraineront leur répression par une force mercenaire de la sécurité de l’AP, entraînée et financée par les Américains et leurs alliés jordaniens et égyptiens.

En réponse à la dernière déclaration de Smotrich, les États-Unis ont tenu une réunion il y a quelques jours dans l’ancienne colonie de peuplement israélienne de Charm el-Cheikh, et ont donné des directives aux Égyptiens, aux Jordaniens et à l’Autorité palestinienne, sur la meilleure façon d’aider Israël pour mettre fin une fois pour toutes à la résistance palestinienne.

Si le peuple palestinien n’existe pas, présument les Américains et les Israéliens, pourquoi la résistance palestinienne devrait-elle exister ?

*****

Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

*****

Publié le 24 mars 2023 sur Middle East Eye
Traduction : MR, ISM France

*****

(*) L’auteur utilise le terme « nationness », que nous traduisons par commodité par « nationalité ». Mais ce terme laisse à désirer, car en anglais, trois termes existent pour désigner ce concept et en distinguer les nuances : nationness, nationhood et nation. Nationness pourrait se traduire par « nationité », si le mot existait.

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...