La Norvège, Oslo et les Palestiniens : une histoire pourrie

Près de trente ans après les accords d’Oslo, la Norvège reste une contributrice active à l’oppression des Palestiniens, puisque qu’elle encourage la colonisation juive de leur pays depuis 1947.

Théâtre de rue réalisé par des activistes à Oslo pour souligner l'impact du commerce d'armes entre la Norvège et Israël.

Théâtre de rue réalisé par des activistes à Oslo pour souligner l’impact du commerce d’armes entre la Norvège et Israël.

 

Joseph Massad, 18 juillet 2023

La ministre norvégienne des Affaires étrangères, Anniken Huitfeldt, ne tolère aucune violence contre les civils palestiniens.

Le 5 juillet, lors du tout dernier massacre perpétré par Israël, elle a tweeté « la solidarité norvégienne avec les gens de Jénine » et a « condamné le niveau de violence élevé ainsi que toutes les attaques contre des civils ».

Au cas où la « neutralité » de l’expression « toutes les attaques » ne serait pas bien comprise par les Israéliens, Anniken Huitfeldt répète la formule libérale occidentale qui place sur un pied d’égalité les Palestiniens colonisés et leurs colonisateurs prédateurs israéliens, en ajoutant : « Le cycle de la violence doit prendre fin. » Néanmoins, un haut fonctionnaire norvégien et plusieurs dizaines de diplomates étrangers avaient visité le camp de réfugiés de Jénine afin d’en inspecter les ruines.

Ne tolérant pas la moindre critique des présentes tueries de civils palestiniens perpétrées par Israël, le ministre israélien des Affaires étrangères avait riposté immédiatement, accusant Anniken Huitfeldt d’encourager le « terrorisme » en l’ignorant.

« De telles déclarations ne favorisent en aucun cas un environnement propice à la désescalade et, en lieu et place, elles promeuvent la radicalisation et l’incitation dans le camp palestinien »,

avait affirmé le porte-parole, ajoutant que

« les propos de Huitfeldt pouvaient saper tout dialogue sensé entre Israël et la Norvège ».

 

Des amis proches

Avant déjà et depuis son émergence soudaine en tant que pays sponsor d’un accord de « paix » entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Israël, en 1993, la Norvège s’est toujours présentée comme une bienfaitrice neutre dont le seul but était de réconcilier les parties en guerre et de mettre un terme aux conditions d’oppression auxquelles est soumis le peuple palestinien.

Cette description, toutefois, contredit le rôle historique de la Norvège consistant à aider activement la colonisation sioniste de la Palestine et à perpétuer les conditions coloniales oppressives sous lesquelles vit le peuple palestinien. Une historienne norvégienne, Hilde Henriksen Waage, a publié les comptes rendus les plus dignes de foi concernant cette histoire mouvementée.

Non seulement la Norvège a voté pour la partition de la Palestine en 1947 entre la minorité de colons juifs et la majorité des Palestiniens autochtones, mais elle allait devenir l’une des plus proches amies d’Israël au lendemain de 1948. En effet, le premier secrétaire général des Nations unies, le Norvégien Trygve Lie, fut un partisan « passionné » des sionistes au point d’agir comme un informateur, sinon un espion, à leur service.

Dans ses prérogatives en tant que secrétaire général de l’ONU, Lie rencontra secrètement des représentants de l’Agence juive quasiment chaque jour à son domicile, après avril 1947. Plus tard, il soutint sans réserve le plan de partition et fut un « fervent avocat » de l’affiliation d’Israël aux Nations unies, au point de considérer Israël comme son « propre bébé ».

Au contraire du Danemark et de la Suède, la Norvège soutint la demande d’affiliation d’Israël à l’ONU en mai 1949 et elle le reconnut officiellement, après avoir déjà accordé à la colonie de peuplement juive sa reconnaissance de facto quelques mois plus tôt.

Lie alla même jusqu’à transmettre des renseignements top secret britanniques à l’Agence juive « par le biais d’un fonctionnaire de l’ONU à Jérusalem que lui-même avait préalablement désigné ». Il fit également passer des informations militaires et diplomatiques secrètes au représentant d’Israël à l’ONU, Abba Eban.

Le fait que les terroristes sionistes assassinèrent le médiateur de l’ONU désigné par Lie, le comte suédois Folk Bernadotte, ne tempéra aucunement son soutien au colonialisme sioniste. Lie était si partial à l’égard d’Israël qu’il conseilla les Israéliens sur la façon de traiter avec Bernadotte durant les négociations d’une trêve. Comme l’a rapporté l’Agence juive :

« Le conseil de M. Lie est que, vu que nous avons été modérés, nous devrions entamer la question principale avec une attitude d’intransigeance plus grande. Il a dit que si nous ne faisions pas, le comte saurait très bien comment exploiter la chose. »

Lie transmit même aux Israéliens des rapports officiels de l’ONU sur des discussions confidentielles entre les gouvernements arabes et l’ONU au cours des pourparlers d’armistice de 1949, à Rhodes. Il utilisa également les informations confidentielles qu’il avait reçues à Rhodes « pour influencer le résultat des négociations à l’avantage d’Israël » et partagea de même des informations confidentielles avec la délégation américaine à l’ONU.

 

Le « kibboutz Norvège »

Après la conquête sioniste de la Palestine, les Norvégiens, une fois que le spectre politique se fut élargi depuis la droite religieuse et conservatrice jusqu’à la gauche travailliste, accueillirent Israël avec enthousiasme. En 1949, le Parti travailliste norvégien lança une campagne de collecte de fonds afin d’établir en Israël un « kibboutz Norvège », également connu sous l’appellation de « village norvégien ». La colonie financée par la Norvège se fit connaître plus tard sous le nom de Moshav Yanuv.

Par contre, à l’égard des réfugiés palestiniens chassés par les Israéliens au cours de la guerre, les Norvégiens n’éprouvèrent aucune sympathie. Israël ne fut pas à blâmer et, selon la ligne sioniste, les Norvégiens insistèrent même pour que les Palestiniens fussent intégrés aux pays arabes.

À la fin des années 1940 et au début des années 1950, en contraste avec leur attitude envers les Palestiniens, les organisations norvégiennes aidèrent les sionistes à acheminer les Juifs tunisiens vers Israël au cours de la lutte de libération et d’indépendance de la Tunisie vis-à-vis du colonialisme de peuplement français. Cet effort se poursuivit malgré le mouvement nationaliste tunisien et son successeur, le gouvernement indépendant de la Tunisie, qui assurait aux Juifs tunisiens une citoyenneté égale au sein d’une Tunisie indépendante tout en les intégrant totalement au tissu de la société tunisienne.

Même si la Tunisie avait adopté sa population juive, son futur président, Habib Bourguiba, avait réclamé la reconnaissance d’Israël dès 1952, c’est-à-dire quatre ans avant l’indépendance de la Tunisie. Pourtant, au contraire des Juifs tunisiens qui n’étaient pas sans toit mais qui furent quand même transportés en Israël par la Norvège, ni vols ni fonds ne furent proposés pour transporter ou prendre soin des réfugiés palestiniens où qu’ils se soient trouvés.

La Norvège envoya plusieurs surplus de poissons, dont certains étaient pourris, afin de nourrir un certain nombre de ces réfugiés. En effet, alors que du bois, une marchandise rare en Norvège, après la guerre, était envoyé en Israël pour la construction du kibboutz à son nom, la Norvège refusa d’autoriser l’exportation de matériaux de construction à l’usage des réfugiés palestiniens.

 

Aide et encouragement

Comme le reste de l’Europe et les EU, la Norvège avait toujours gardé ses lois restrictives sur l’immigration, après l’Holocauste, refusant de laisser entrer chez elle la masse des survivants juifs. En fait, la police norvégienne sous le régime de Vidkun Quisling avait aidé la Gestapo à rassembler des centaines de Juifs norvégiens qui, plus tard, allaient périr dans les camps d’Hitler. Durant ces années terribles, les Norvégiens ordinaires ne s’étaient guère empressés non plus à aider leurs compatriotes juifs à échapper à la traque de la Gestapo.

La Norvège choisit de soutenir la solution sioniste et de faire payer aux Palestiniens autochtones ses propres crimes contre les juifs, comme le firent d’ailleurs la plupart des pays qui avaient fermé leurs frontières aux réfugiés juifs avant et après la Seconde Guerre mondiale.

Alors que, de 1942 à 1948, moins de 300 Juifs tunisiens avaient quitté le pays pour devenir des colons en Palestine, entre 1948 et 1957, juste avant et dans le sillage immédiat de l’indépendance de la Tunisie, ils furent approximativement 26 625 à émigrer.

L’émigration des juifs de Tunisie, toutefois, ne fut pas spontanée, mais plutôt le résultat des efforts de nombreuses organisations sionistes regroupées au sein de la Fédération sioniste de Tunisie, dont l’Agence juive, nombre d’organisations juives américaines et d’organisations humanitaires européennes, surtout norvégiennes, comme Europahjelpen (qui allait devenir plus tard le Conseil norvégien des réfugiés), qui contribuèrent au transport des Juifs tunisiens en Israël en passant par la Norvège.

En Norvège, les Juifs tunisiens furent hébergés dans des camps de formation où ils étudièrent l’hébreu et furent endoctrinés dans le sionisme en préparation de la colonisation à venir de la Palestine. Mais, en 1952-1953, les Juifs tunisiens en Israël, ironiquement, adressèrent des pétitions à la France dans l’espoir d’être renvoyés en Tunisie – toujours sous domination française, à l’époque – en raison du racisme ashkénaze européen qu’ils rencontraient dans la colonie de peuplement juive.

Les Norvégiens, par contestation envers l’internationalisation de Jérusalem par l’ONU, soutinrent même la division de Jérusalem après la guerre et allèrent plus loin que la plupart des pays dans la reconnaissance du fait accompli illégal d’Israël en proclamant Jérusalem-Ouest comme sa capitale, fin 1949.

Les délégués de la Norvège à l’ONU se mirent à recevoir des instructions des Israéliens afin d’insister en faveur de la « paix » avec les pays arabes en s’appuyant sur des négociations directes. Les pays arabes refusèrent, toutefois, et l’effort des Norvégiens et des Israéliens en vue d’imposer la normalisation au monde arabe échouèrent, cette fois.

Le Parti travailliste de Norvège a continué à insister en 1956 en sous-traitant l’Internationale socialiste pour qu’elle mette sur pied une campagne internationale de soutien à Israël. L’un de ses slogans était : « Laissez vivre Israël. »

Depuis 1959, les Norvégiens ont même fourni à Israël plus de 20 tonnes d’eau lourde pour son programme nucléaire en devenir, à l’époque, lequel programme devait prendre son envol avec le réacteur israélien de Dimona fourni par la France.

 

Un rôle renforcé

Le soutien norvégien à Israël persista pendant et après ses conquêtes de 1967. Dans le sillage de la guerre de 1967, toutefois, les Palestiniens intensifièrent tellement leur présence sur le radar politique de la Norvège qu’en 1970, le Premier ministre norvégien de l’époque, Per Borten, fit référence à eux en tant que « Palestiniens » et non plus comme Arabes, tout simplement – ignorant donc ainsi le lexique colonial d’Israël.

Ceci, toutefois, n’allait pas restreindre le soutien de la Norvège à Israël au cours de la guerre de 1973, et on assista même à la réincarnation de la campagne « Laissez vivre Israël ». En 1974, quand une majorité à l’Assemblée générale de l’ONU vota pour accorder à l’OLP le statut d’observatrice, la Norvège rejoignit Israël et cinq autres colonies de peuplement blanches aux Amériques et en Islande en votant contre la résolution.

L’implication de la Norvège dans la force de maintien de la paix de l’ONU au Liban (Unifil) depuis la fin des années 1970 aboutit à des contacts entre ses officiels et l’OLP à Beyrouth, même si la Norvège allait rester l’un des rares pays européens à refuser de reconnaître l’organisation palestinienne. Pourtant, en 1988, la Norvège allait assurer la médiation entre les EU et le chef de l’OLP, Yasser Arafat, ce qui aboutit à la capitulation infâme d’Arafat face au diktat américain en « renonçant au terrorisme » et en abrogeant la charte de l’OLP pour satisfaire les EU et les conditions israéliennes.

Le rôle de la Norvège fut renforcé en 1992 et 1993 quand elle arrangea des rencontres entre des officiels de l’OLP et des universitaires israéliens non officiels (dont, entre autres, Yair Hirschfeld, un Autrichien né en Nouvelle-Zélande qui quitta Vienne pour Israël en 1967, et Ron Pundak, fils de colons danois, dont le père fut un espion du Mossad tout en travaillant à temps partiel comme journaliste). Ils furent rejoints plus tard par un couple norvégien, le chercheur et futur diplomate Terje Rod-Larsen et son épouse Mona Juul, future ambassadrice de Norvège en Israël.

Les règles fondamentales de la Norvège à propos des pourparlers secrets comprenaient une interdiction de « s’attarder sur les torts du passé ». À l’époque, le ministre norvégien des Affaires étrangères Johan Jorgen Holst fut engagé comme courrier entre l’OLP et les Israéliens et il allait agir davantage comme consultant et informateur des Israéliens qu’en tant que médiateur, comme l’avait fait avant lui le secrétaire général de l’ONU, Trygve Lie.

Holst allait écrire à Shimon Peres, ministre israélien des Affaires étrangères, à l’époque, pour l’informer du ton « amical mais ferme » qu’il utilisait avec Arafat. En fait, Holst fournissait aux Israéliens des « informations cruciales sur les points où les Palestiniens seraient disposés à faire des concessions ».

 

L’oppression incessante

Dans son évaluation complète du rôle de la Norvège, Waage démontre que, contrairement à l’effort de la Norvège en vue de persuader les Palestiniens d’accepter les exigences d’Israël,

« il n’existe pas de preuve permettant de suggérer des tentatives norvégiennes en vue de persuader les Israéliens de tenir compte du point de vue palestinien ou de dire aux négociateurs de l’OLP où il pourrait y avoir certaines possibilités ‘d’abonder dans le sens’ des positions israéliennes ou de voir quelles contre-propositions pourraient s’avérer fructueuses »,

comme la Norvège l’avait fait avec les Israéliens que Holst et ses collègues « conseillaient ».

Au cours des trois dernières décennies écoulées depuis que la Norvège a appuyé l’accord d’Oslo qui a causé et continue de causer plus de souffrance et d’oppression chez le peuple palestinien, elle s’est mise à vendre des armes à Israël par des moyens détournés. Elle s’est en outre mise à exercer un contrôle sur les manuels scolaires palestiniens en raison de leur opposition au sionisme, mais pas sur les manuels scolaires israéliens qui sont dominés par le racisme colonial à l’encontre des Palestiniens.

Sa loi récente consistant à passer à l’étiquetage, plutôt qu’à l’interdiction, des marchandises israéliennes produites dans les colonies illégales d’Israël, n’a en fait rien d’une loi propalestinienne. Pas plus que ne l’est le message de solidarité émis voici quinze jours par la ministre des Affaires étrangères, Anniken Huitfeldt.

La Norvège est une contributrice importante et active à l’oppression des Palestiniens depuis 1947 et elle continue de leur faire du mal et d’encourager la colonisation de leur pays. Ses réglementations de base pour l’OLP en 1993 ont pu consister à interdire de « s’attarder sur les torts du passé », mais le peuple palestinien, lui, doit s’attarder sur le passé de la Norvège et sur les crimes actuels qu’on commet contre lui, et qui n’ont nullement l’air de vouloir s’apaiser.

Les tentatives de la Norvège en vue de se faire passer pour une médiatrice humanitaire qui aime la paix peuvent satisfaire un public norvégien crédule, mais elles ne convainquent personne parmi le peuple palestinien, hormis les collabos de l’Autorité palestinienne, que la Norvège finance afin qu’elle réprime la résistance anticoloniale palestinienne et qu’elle sauvegarde le colonialisme israélien.

À l’instar du poisson pourri envoyé par la Norvège aux réfugiés palestiniens, ses efforts en vue de négocier une « solution pacifique » se sont avérés tout aussi pourris, et le peuple palestinien ne pourra que se tirer mieux d’affaire sans l’un et l’autre.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 2023 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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