La vie sous les drones

Les drones israéliens sont une constituante omniprésente de la vie à Gaza et ils ne servent qu’à déclencher des souvenirs de guerre des plus pénibles.   

31 octobre 2011. Un drone israélien survole la ville de Gaza. (Photo : Majdi Fathi / APA Images)

Par Noura Selmi, 17 août 2021

Israël ne loupe jamais une occasion de ruiner les matins de Gaza. Après l’arrêt de la guerre des onze jours, les drones n’ont pas cessé de vrombir dans notre ciel. Après quoi, ils ont disparu quelque temps. Ou, pour être plus précis, ils ont volé plus haut dans le ciel de sorte qu’on n’entendait plus leur vrombissement réellement horrible. Toutefois, ce matin, j’ai été réveillée par cet affreux bruit si typique. Je savais que c’était un drone mais il faisait trop de bruit pour que je puisse me rendormir. J’ai fourré ma tête sous l’oreiller. Peine perdue. Pourquoi devrais-je débuter ma matinée de cette façon ? Mes oreilles tentent d’éviter de l’entendre, mais ma tête essaie de gérer la chose du mieux qu’elle peut.

Quelques minutes plus tard, j’ai renoncé et j’ai ouvert un œil à demi. Ma mère était assise sur le coin de mon lit. « Ce boucan me vrille la tête », a-t-elle dit. Qu’est-ce qu’ils mijotent ? Serait-ce un signe d’une nouvelle guerre ?  « Dieu nous en garde ! », a lâché ma mère brusquement. Elle était capable d’entendre mes pensées et avait répondu comme si je les avais exprimées de vive voix. À Gaza, une fois qu’il est question de guerre, nous partageons tous les mêmes pensées et craintes.

La matinée a ramené les souvenirs du plusieurs situations pénibles qui se sont produites durant la guerre. Cela nous a rappelé que le matin, qui, en principe, doit être lumineux, était un peu plus miséricordieux envers nous que la nuit. La nuit, les bombardements étaient plus lourds. Tout est noir. L’obscurité complète. Pas d’électricité. La connexion Wifi a bien du mal à faire passer un message. Nous étions des oiseaux de nuit. Nous restions assis, immobiles, dans la salle de séjour. Pas un souffle. Rien que le bombardement et nous.

Nous avions un groupe de discussion WhatsApp, pour les amis et la famille, pour nous enquérir les uns des autres. Si nous envoyons un message et que tout le monde, nous nous sentons un peu plus à l’aise. Tous sont en vie. Mais si c’est le contraire, nous commençons à avoir des accès de panique et à vérifier les infos. Et s’ils avaient bombardé leur maison ? Mon oncle vit en Suède ; il a vécu trois guerres. Il nous adressait sans arrêt des messages et nous téléphonait toute la nuit pour s’assurer que nous respirions toujours. Une fois, il nous a même adressé un message disant : 

« Je voudrais être à Gaza ; au moins, j’aurais le cœur moins lourd. Je ne puis rien faire, dans ma vie. J’ai cessé de me rendre au travail. Je suis les infos en permanence, mais tout est si horrible ! »

Après la guerre, nous avons tous convenu de lancer un nouveau groupe WhatsApp et de supprimer cette conversation. Nous savons tous à quel point il est pénible de lire d’anciens messages. Surtout quand il s’agissait d’un événement désagréable.

Une nuit, les bombardements ont été plus lourds que jamais, à Rafah. Quand j’ai pris les infos et Twitter, il n’y avait toujours rien d’écrit, à ce propos. Tout ce que les nouvelles disaient, c’était ceci : « Lourds bombardements à Rafah. » Bien, bien. Nous le savons tous. Il y a des bombardements à Rafah, mais où ? Qui est mort ?  Qui ont-ils visé, cette fois ? Y a-t-il une famille qui a besoin d’aide sous les décombres ? Que se passe-t-il ? La presse ne pouvait rejoindre ma ville. J’ai paniqué et je suis allée chez tous les gens des médias que je connais et j’ai même tweeté que, si nous mourions, personne ne saurait que nous sommes morts ! « Nous avons besoin de couverture médiatique, là, tout de suite ! » Nous n’avons eu connaissance de l’emplacement exact du bombardement que deux heures plus tard.

« Ils ont déjà détruit notre maison auparavant, je ne pense pas qu’ils le referont. N’est-ce pas ? » Une question sérieuse, de la part d’une fille de 25 ans qui connaît la réponse, mais qui essaie de se réconforter. Ma mère s’est moquée de moi. Elle a répondu gentiment plus tard gentiment que, puisque nous sommes ici à Gaza, il faut s’attendre à tout.

À cause du vrombissement des drones, Israël a fait ressurgir ces horribles souvenirs dans ma tête, ce matin. Au moment où j’écris ces lignes, les drones sont toujours en vol stationnaire. C’est comme ça tous les jours.

Hier, mon oncle paternel et sa famille nous ont rendu visite. Et, bien sûr, parler de la guerre est un sujet que nous aurions du mal à éviter. Sa fille nous expliquait comment ils s’étaient retrouvés dans deux guerres, et pas qu’une seule.  

« Les gens vivaient une guerre et nous en vivions deux. Ma mère était une bombe dans la maison, et elle explosait à chaque minute. Nous étions déjà nerveux et effrayés, mais elle était bien plus que cela. Elle nous criait dessus tout le temps et s’attendait aux pires scénarios possibles. Quand est-ce que ça va finir ? Nous devrions quitter la maison maintenant. Nous pouvons rester chez ma sœur jusqu’à ce que ce soit fini. Y aura-t-il une trêve ? C’est ce qu’elle faisait en permanence.  Elle nous rendait plus nerveux encore que nous ne l’étions déjà. »

Mon amie Rawan m’a dit l’autre jour qu’elle et sa famille se préparaient à quitter Gaza. Il est facile de deviner pourquoi. Son père rejetait l’idée de quitter sa maison et Gaza. Mais, après la dernière agression, il a dit à sa famille qu’elle devait se préparer à partir pour la Turquie. Elle m’a dit :

« Mon père n’a jamais voulu partir, mais quand il a vu ses petits-enfants et leur peur de la guerre, il a décidé de nous emmener tous vivre avec nos proches en Turquie. »

J’ai plaisanté avec elle et lui ai dit de me mettre dans un de leurs bagages et de m’emmener avec eux. J’ai regardé le sol, et j’ai pensé, si ce que je fais est inutile ici à Gaza, peut-être que je devrais m’en aller dans un autre endroit, puisque chaque rêve que j’échafaude va disparaître sous une roquette.

Ici, à Gaza, nous disons au revoir aux choses que nous aimons – à nos rêves, à nos espoirs, à nos amis que nous ne pouvons blâmer d’essayer de trouver un endroit sûr.

Bah ! Je sais qu’un jour je pourrai voyager comme le font les gens normaux. Mais d’abord, ici, dans le plus bel endroit que j’aie jamais connue, dans mon pays, je nourrirai un rêve jusqu’à ce que je l’attrape. Quoi qu’il advienne.


Publié le 17 août 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Samedi 4 septembre, de 15 h a 17 h 30 : stand Palestine contre le blocus de Gaza, sur la Place Verte, Charleroi.

Produits palestiniens, actions de solidarité.
Organisation : Plate-forme Charleroi-Palestine.

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