Le Ku Klux Klan juif accède au pouvoir en Israël

Le président de l’Union américaine pour la réforme du judaïsme a déclaré que la désignation par Netanyahou de Ben-Gvir comme ministre de la sécurité publique équivalait à « désigner David Duke, l’un des chefs du Ku Klux Klan, comme ministre [américain] de la Justice ».

 


Que va signifier pour les Palestiniens le fait que Benjamin Netanyahou est sur le point de redevenir le Premier ministre d’Israël et de diriger un gouvernement d’extrême droite ?

Rania Khalek m’a invité à son émission Dispatches, sur Breakthrough News, à ce propos, et nous avons également commenté les autres développements récents dans la région. Vous pouvez assister à notre conversation sur la vidéo (en anglais, en bas de l’article).

Ali Abunimah, 21 décembre 2022

Au sein de la coalition de Netanyahou figurera Itamar Ben-Gvir, un raciste antipalestinien qui passe pour extrémiste même selon les normes en vigueur en Israël.

Ben-Gvir est tristement célèbre, entre autres, pour avoir érigé en idole Baruch Goldstein, le colon juif américain qui, en 1994, avait massacré 29 Palestiniens, hommes et garçons, à la mosquée Ibrahimi (tombeau des Patriarches) de Hébron.

Comme autre ministre important, on attend Bezalel Smotrich, un fanatique religieux dont les points de vue sont si répréhensibles et embarrassants que même le lobby israélien britannique, pourtant très antipalestinien, a dû s’en distancier et le dénoncer lors de sa visite au Royaume-Uni un peu plus tôt cette année.

Le président de l’Union américaine pour la réforme du judaïsme a déclaré que la désignation par Netanyahou de Ben-Gvir comme ministre de la sécurité publique équivalait à « désigner David Duke, l’un des chefs du KKK, comme ministre [américain] de la Justice ».

J’ai expliqué à Rania Khalek que de telles réactions sont typiques des libéraux tant américains qu’israéliens. Elles constituent un reflet de la réponse des États-Unis à l’élection de Donald Trump.

Parmi les libéraux américains traditionnels, l’accès à la présidence de Trump est perçu comme une insulte intolérable à l’âme de l’Amérique et, partant, à éliminer. Dès qu’un démocrate a été réélu à la Maison-Blanche, les libéraux ont donc pu pousser un soupir de soulagement et se sentir à nouveau fiers d’être américains.

Mais les dérives du gouvernement américain qui avaient eu lieu avant l’élection de Trump allaient se poursuivre durant sa présidence et n’ont pas cessé depuis son départ.

Parmi ces dérives, figurent le Nouveau Jim Crow – portant sur l’incarcération de masse et la violence étatique systématique envers les noirs – et la mécanique de guerre inarrêtable sortie tant bien que mal de vingt années de désastre en Afghanistan pour rebondir presque aussitôt dans une horrible guerre par procuration en Ukraine, avec à la clef une menace d’anéantissement nucléaire.


Terminé, l’enrobage de sucre

Mais, selon la perspective et l’expérience des Palestiniens, tout changement dans le gouvernement israélien ne constitue qu’un changement de la paire de mains qui tiennent la hache. Cela reste la même hache et elle retombe toujours sur les cous des Palestiniens, quel que soit le bourreau qui la manie.

C’est pourquoi, cette année, sous un gouvernement prétendument « centriste » dirigé par Yair Lapid et Naftali Bennett, Israël a tué plus de Palestiniens en Cisjordanie occupée que durant toute autre année depuis 2005.

Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de différences entre un gouvernement israélien « centriste » et un « de droite », mais ces différences portent surtout sur les apparences.

Les dirigeants et électeurs juifs israéliens ne perçoivent plus le besoin d’édulcorer leur violence coloniale par une rhétorique progressiste ou libérale comme ils le faisaient au cours des décennies précédentes.

L’institution du kibboutz, par exemple, était une clef de cette propagande, dans les années 1960 et 1970.

Les kibboutzim sont des implantations coloniales juives et ont joué un rôle clé dans le nettoyage ethnique des Palestiniens, mais ils avaient des allures pseudo-socialistes et collectivistes qui attiraient les gauchistes occidentaux naïfs et idéalistes.

Parmi ces derniers figurait le responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, l’homme politique espagnol prétendument socialiste qui, aujourd’hui, conçoit l’Europe comme un « jardin » divin entouré d’une « jungle » sauvage.

À la fin des années 1960, Borrell avait été bénévole dans un kibboutz fondé par des colons juifs polonais.

C’est le cas également pour Lars Faaborg-Andersen, un ancien ambassadeur de l’UE à Tel-Aviv. Dans une lettre d’amour adressée à Israël au moment où il quittait son poste en 2017, le diplomate danois revenait avec passion sur le temps qu’il avait passé dans l’une de ces colonies sionistes dans les années 1970.

« En ce temps-là, des jeunes Européens et Américains affluaient vers Israël pour participer à l’expérience des kibboutzim socialistes et témoigner leur solidarité avec David dans sa lutte contre les Goliath arabes qui l’entouraient »,

écrivait-il en régurgitant fidèlement l’habituelle propagande israélienne.

Mais, avec la garantie, quoi qu’ils fassent, du soutien des États-Unis, de l’Europe et même des régimes clients arabes de l’Amérique, les dirigeants et les électeurs juifs israéliens ne voient guère plus d’inconvénient à déguiser le caractère véritable de leur entreprise.

Après tout, les armes, le soutien financier et les récompenses politiques continuent d’affluer à Tel-Aviv, quels que soient les crimes commis par Israël contre les Palestiniens.

Israël se sent libre de révéler son véritable visage, celui que les Palestiniens ont toujours vu, mais celui également face auquel aujourd’hui le reste du monde est forcé de s’éveiller.

En fin de compte, toutefois, la trajectoire d’Israël ne va pas changer du fait que Yair Lapid ou Benjamin Netanyahou sont au pouvoir.

Le projet colonial de peuplement israélien se meut vers sa fin. L’idée d’un Israël stable et « normal » assis sur les épaules des Palestiniens est une fantaisie qui ne peut s’accomplir même si Israël parvient pendant de courtes périodes à réprimer çà et là la résistance palestinienne.

Comme je l’ai dit à Rania Khalek, cette résistance finira toujours par émerger à nouveau et elle adoptera de nouvelles formes jusqu’au moment de la libération et du retour de la justice.


L’avenir de la normalisation arabo-israélienne

Nous avons également parlé de la façon dont le retour de Netanyahou est susceptible d’impacter le cours de la normalisation israélo-arabe.

La réalisation clé de Trump et de Netanyahou fut ce qu’on a appelé les accords Abraham, des accords qui normalisaient les liens diplomatiques et économiques entre Israël d’une part et plusieurs régimes arabes d’autre part, à savoir les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc.

L’Arabie saoudite, le poids lourd de la région du Golfe, ne s’est jamais jointe officiellement aux accords, mais aucun de ces traités n’aurait pu se sceller sans la bénédiction de Riyadh.

Il a toujours été implicitement compris que la normalisation saoudo-israélienne constituerait le tout premier prix, mais qu’elle viendrait en dernier lieu.

Les changements géopolitiques des dix-huit mois environ pendant lesquels Netanyahou n’a pas exercé de fonction pourraient toutefois avoir modifié les calculs.

Quel serait l’incitatif pour l’Arabie saoudite de normaliser ses liens avec Israël – une démarche profondément impopulaire dans toute la région et presque certainement aux yeux de la population saoudienne même, comme l’a amplement démontré la toute récente Coupe du monde ?

Ce à quoi cela se résume chaque fois, c’est qu’emboîter le pas à Israël est une façon pour tout État client des EU de se procurer davantage encore de protection et de soutien de la part de ces mêmes EU. Les Saoudiens dépendent de la protection américaine depuis 1945 et cela n’a fait que s’intensifier depuis les années 1990, suite à l’invasion du Koweït par l’Irak.

Alors que ceci n’a pas fondamentalement changé, il s’avère que Riyadh cherche des alternatives, embarrassé peut-être de ce que les EU ne sont plus un protecteur aussi fiable.

Dans le sillage de l’infâme assassinat et dépeçage du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, Joe Biden a été élu président après avoir qualifié le royaume saoudien d’État « paria ».

Mais Biden a dû se rendre à Riyadh en toute humilité, cet été, dans l’espoir que les Saoudiens allaient augmenter leur production pétrolière et contribuer à faire descendre les prix dramatiquement élevés de l’essence dans le préambule des élections américaines de la mi-mandat, en novembre.

Toutefois, les Saoudiens allaient déléguer un responsable de bas format pour recevoir Biden à l’aéroport, et ils allaient ensuite rejeter les demandes de Biden en vue d’augmenter les quotas pétroliers.


On ne peut compter sur l’Amérique

On peut opposer à cela l’accueil particulièrement chaleureux reçu par le président chinois Xi Jinping de la part des Saoudiens un peu plus tôt ce mois-ci, quand CNN a décrit la chose comme

« une pompe et des circonstances normalement réservées à l’allié le plus stratégique du royaume, les États-Unis ».

Beijing et Riyadh ont signé un partenariat stratégique qui suggère que les Saoudiens pourraient tenter de se réaligner – en s’éloignant de leur dépendance totale des EU – vers une intégration à un bloc eurasien dominé par la Chine, laquelle leur procurerait une meilleure sécurité à long terme.

Tout ceci peut se comprendre, selon la perspective saoudienne : Tout régime qui se préoccupe de sa survie va également consulter le palmarès des EU. Si ses dirigeants sont confrontés à une insurrection populaire ou à une invasion extérieure, les Américains vont-ils les sauver ?

Bien sûr, les États-Unis ont libéré le Koweït après l’invasion de l’Irak et ce fut d’ailleurs l’apogée du pouvoir unipolaire américain.

La guerre du Golfe de 1991, censée exorciser le spectre de la défaite américaine au Vietnam, fut une exception.

Depuis lors, les États-Unis ont été incapables de sauver Hosni Mubarak en Égypte ou le dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali.

Washington n’a même pas été capable de soutenir le régime qu’il avait installé en Afghanistan.

Au lieu de cela, le départ des Américains de Kaboul, en août 2021, a suscité des comparaisons avec leur retrait chaotique et humiliant de Saïgon en 1975.

Et, après avoir sponsorisé un coup d’État à Kiev en 2014, Washington a utilisé l’Ukraine comme un pion contre la Russie – en dépit des mises en garde constantes disant que cette stratégie était susceptible de franchir toutes les lignes rouges imposées par Moscou.

Quand la Russie a envahi l’Ukraine en février, les EU ont choisi l’escalade au lieu des négociations, mais ils ont promis à l’Ukraine un soutien militaire qu’ils ne peuvent lui fournir.

Là où les dirigeants américains espéraient une guerre qui allait rendre la Russie exsangue, les faits se sont mués en une catastrophe pour l’Ukraine, mais aussi en une catastrophe économique pour l’Europe, qui souffre bien davantage que la Russie des sanctions imposées à cette dernière.


Un réalignement saoudien ?

Si l’on tient cela à l’esprit, il sera intéressant de voir si les Saoudiens poursuivront la normalisation avec Israël avec le même enthousiasme qu’auparavant, où s’ils la soumettront à une pause.

Après tout, l’un des principaux intérêts communs des EU, d’Israël et de l’Arabie saoudite était de constituer une alliance contre l’Iran. Mais il s’avère que les Saoudiens ne participent plus au jeu, ce qui alarme Washington qui craint que Téhéran et Riyadh n’unissent leurs forces en vue de soutenir la Russie.

« Plusieurs facteurs motivent Riyadh et Téhéran, mais la toute première motivation consiste à consolider leurs propres bras contre les États-Unis dans un ordre mondial de plus en plus multipolaire »,

s’il faut en croire deux commissions d’experts favorables à Washington.

Si l’Arabie saoudite passe à la vitesse inférieure, cela pourrait faire croire en sous-main aux EAU et aux autres acteurs moindres qui ont suivi Israël, que les Saoudiens pourraient très bien les laisser en plan.

 

 

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 21 décembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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